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Les Chroniques de Cybérie
21 novembre 2000

© Les Éditions Cybérie inc.

21 novembre 2000

Salutations à tous les Cybériens et Cybériennes!

Cette Chronique n'est optimisée ni pour Netscape, ni pour Internet Explorer, elle l'est pour ses lecteurs et lectrices.

Cette semaine...

Yahoo! : le juge ordonne le blocage
Yahoo! : chronologie
L'ICANN retient sept nouveaux noms de domaines
Forte croissance du branchement au Québec

 Yahoo! : le juge ordonne le blocage
C'est fait, le juge Jean-Jacques Gomez a donné trois mois à la société américaine Yahoo! Inc.  pour bloquer les accès en provenance de la France à son site d'enchères en ligne, hébergé aux États-Unis, et sur lequel des particuliers échangent et vendent des objets de collection nazis.  À défaut de mettre en place un dispositif de blocage d'accès, Yahoo! fera face à une amende de 100 000 FF (environ 13 000 $ US) par jour. 

Trois méthodes de blocage seront retenues : identification de l'adresse IP du fournisseur français (efficace à 70 % selon les experts); obligation d'une déclaration d'origine géographique par la personne qui consulte le site et surveillance des mots clés (facilement contournable); interdiction d'expédier les objets nazis éventuellement achetés en ligne vers des adresses françaises.

En bourse, le cours de Yahoo! a très légèrement fléchi.  Relativisons la baisse : l'ensemble des titres de l'indice NASDAQ atteignait hier son plus bas niveau en plus d'un an.  On voit peu de cause à effet dans la perte de 2 % de la valeur du titre Yahoo!

Le juge Gomez n'aura donc pas retenu l'argument des procureurs de Yahoo! selon lesquels la loi française ne pouvait s'imposer sur des contenus hébergés à l'étranger en raison de la nature transfrontalière du réseau.

Avec ce jugement, la France devient la première démocratie occidentale à censurer Internet, à déterminer ce que ses citoyens peuvent ou ne peuvent pas voir sur Internet, à nier qu'ils puissent faire preuve de discernement, à leur refuser le libre arbitre en matière de contenus.

Satisfaction, on le comprendra, chez les initiateurs de cette action judiciaire.  L'AFP rapporte les propos de Ygal Le Harrar, président de l'UEJF, qui déclare sentencieusement que la décision du tribunal s'appuie «sur des bases techniques et morales qui marquent la fin du cyber crime contre l'humanité.»

Pour le directeur de Yahoo France, Philippe Guillanton, qui accorde une entrevue à Reuters, le jugement constitue un dangereux précédent et il se dit «très préoccupé par le fait que l'on nous demande de mettre en place une série de mesures préparées par des experts qui eux-mêmes soulignent leur fragilité et leur inefficacité.» Puis, cité par Libération, M.  Guillanton a déclaré : «Cette décision risque de créer un précédent ingérable [...] Tous les éditeurs de contenus devront désormais prendre en compte la législation de plus de 180 pays, parmi lesquels des pays moins démocratiques que la France.»

L'Association française des fournisseurs d'accès Internet (AFA) commente aussi le jugement par la voix de son délégué permanent Jean-Christophe Le Toquin.  En entrevue à l'AFP, il souligne une contradiction importante des autorités françaises : «La décision du juge français Gomez n'est pas en phase avec les positions des pouvoirs publics français, notamment celle exprimée par le ministre de l'Intérieur au G8 à Paris en mai 2000.  Alors que depuis plusieurs années, le département de la Justice américaine pousse pour que des policiers d'un pays puissent directement perquisitionner dans un autre pays, Jean-Pierre Chevènement avait fait savoir au G8 son opposition à ce genre de pratique.  Il faut être cohérent avec soi-même.  Si on dit aux Américains au G8, il est hors de question que votre police fasse son travail directement en France sans passer par notre intermédiaire, il est difficile de demander en revanche que les Américains respectent les décisions de la justice française directement.»

Chez IRIS (Imaginons un réseau Internet solidaire), on dénonce l'infantilisation de la population française : «Ce jugement dénie aux utilisateurs d'Internet leurs droits les plus élémentaires de citoyens, en les obligeant à déclarer leur nationalité ou en la faisant établir sur la foi d'un numéro de machine.  Il les réduit à la condition de mineurs irresponsables soumis à un système de filtrage logiciel sur mots-clés.»

Des suites? Oui, il y en aura.  La décision du juge Gomez ouvre la porte à une série d'autres poursuites que les plaignants dans l'affaire Yahoo!, ou quiconque en mal de publicité, pourraient intenter contre des exploitants de sites Web étrangers, disposant, du moins pour le moment, d'un cas précis de jurisprudence.

Le juge Gomez écrit dans sa décision (cité par Reuters) : «La combinaison des moyens techniques mis à sa disposition et des initiatives qu'elle est à même de prendre au nom de la simple morale publique lui donnent par conséquent la possibilité de satisfaire aux injonctions (...) s'agissant du filtrage de l'accès au service de vente aux enchères d'objets nazis comme du service concernant l'ouvrage Mein Kampf

Eh bien parlons-en.  Le cyberlibraire américain Amazon.Com propose 8 éditions différentes du livre d'Adolf Hitler «Mein Kampf», dont les prix varient de 12 $ US pour un format poche à 400 $ US pour une édition de luxe.  Plus modeste, le canadien Archambault.Ca n'en propose qu'une, à 130 $ CAN.  Verra-t-on un organisme français intenter un procès à Amazon.Com ou à la maison Archambault? Ce n'est bien sûr qu'un exemple, mais qui illustre bien dans quel dédale juridique la décision contre Yahoo! pourrait nous plonger.

En fait, certains se demandent si ce ne serait pas là la solution, soit que de nombreuses poursuites soient lancées et que le débat s'élargisse à l'ensemble des contenus que l'un ou l'autre puisse juger offensant.  Devrait-on tolérer la diffusion d'images de lapidation publique sur les sites de certains gouvernements islamistes? Ces derniers devraient-ils accepter les sites de défense des droits des gais et lesbiennes? Ça permettrait à tout le moins de décloisonner le débat, de le faire sortir des couloirs du Tribunal de grande instance de Paris.

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 Yahoo! : chronologie
En avril dernier, l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) et la Ligue internationale contre le racisme et l'Antisémitisme (LICRA) intentent contre la société américaine Yahoo! Inc.  une action judiciaire devant un tribunal français.  Les deux organismes demandent au tribunal de forcer Yahoo! à «prendre les mesures nécessaires pour empêcher l'exhibition et la vente sur son site d'objets nazis dans tout le territoire national (France métropolitaine et Dom-Tom).  Sur le site d'enchères en ligne de Yahoo!, comme sur tous les autres sites semblables, des collectionneurs vendent, achètent et échangent des objets.  Parmi ces objets, de nombreux souvenirs de guerre nazis (médailles, insignes, drapeaux, etc.) dont la LICRA et l'UEJF dénoncent la présence.  En cours de procédure, le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples, MRAP, se joindra aux deux organismes.

En mai, le juge des référés Jean-Jacques Gomez se prononce en faveur des plaignants et exige qu'avant le 24 juillet, Yahoo! prenne des mesures pour rendre impossible l'accès des utilisateurs français à son site d'enchères, car l'étalage de ces objets de collection «offense la mémoire collective du pays».  Le 24 juillet, les procureurs de Yahoo Inc.  comparaissent devant le juge Gomez, et déclarent qu'en l'état actuel des choses, ils sont incapables sur le plan technique de se rendre à sa demande.  Le juge Gomez annonce alors qu'il rendra sa décision le 11 août. 

Mais, à la date prévue, plutôt que de se prononcer formellement sur la question, le juge Gomez convient de la complexité technique de sa demande de blocage d'accès d'un site américain depuis le territoire national français.  Il demande alors à M. François Wallon, expert en informatique et bureautique à la Cour d'Appel et au Tribunal Administratif de Paris, de s'adjoindre deux autres experts (un Européen et un Américain) pour trouver une solution technique possible au blocage d'accès.  Ce «collège» d'experts a pour mandat de faire rapport au juge le 6 novembre.  Wallon s'adjoint alors deux spécialistes pour étudier la question du blocage, le Britannique Ben Laurie, expert des logiciels serveurs, et l'Américain Vinton Cerf, un des «pères» de l'Internet et concepteur du protocole d'échange TCP/IP.  Le juge décrète également que Yahoo! Inc.  et sa filiale Yahoo! France devront acquitter 40 % des frais de l'expertise technique, et les plaignants 60 % des dits frais. 

Enfin, le 6 novembre, le juge Gomez se fait dire par les experts que s'il est possible de bloquer les accès sur une base géographique, la méthode n'est pas infaillible.  Les experts estiment qu'une méthode de blocage sur une base géographique de provenance des demandes d'accès pourrait être efficace à 80 %.

En marge des audiences et représentations devant le juge Gomez, l'affaire a fait beaucoup de bruit et suscité de nombreux commentaires.  Par exemple, en juin, le Nouvel Observateur lance un appel au boycott de Yahoo!, et titre en page éditoriale «Boycottons Yahoo, protecteur des nazis!».  Jerry Yang, de passage en France, choque le clan des anti-Yahoo! en déclarant : «Si le gouvernement veut que les internautes ne puissent voir aucun de nos contenus, alors il devra bloquer tous les accès, et pas seulement à notre site [...] Vous, Français, vous croyez à la censure.  Parfait, cela ne me pose pas de problème.  Ni à moi, ni aux autres entreprises de l'Internet.»

En juillet, Marc Knobel, attaché de recherches au Centre Simon-Wiesenthal et membre du comité directeur de la LICRA écrit dans le journal Libération : «Depuis que le juge français a ordonné à la toute puissante société Yahoo! de suspendre cette connexion en France, une petite clique d'internautes tonne, éructe et parle de censure.  Assez curieusement, les mêmes ne s'étendent guère sur ce qu'ils lisent, vendent ou transportent [...] Est-ce nous qui sommes dangereux ou les autres? Ceux qui banalisent le nazisme sur le Net? Ceux qui vendent les armes de la barbarie comme on vendrait des chaussettes? Ceux qui tolèrent les sites, pages et écrits klanistes, néonazis et fascistes?»

Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières, écrivait en octobre : «Il est peut-être temps de comprendre que, au nom de la Shoah, on ne peut pas ériger un arsenal d'interdictions toujours plus draconiennes [...] La mondialisation, si souvent et parfois si justement vilipendée, a aussi des vertus, à commencer par celle de nous obliger à nous confronter à des pratiques de la démocratie défendues par d'autres, telles que l'incarne, par exemple, le premier amendement de la Constitution américaine.»

Sur le collectif uZine 2, ARNO* écrit : «Que les néonazis, antisémites et autres négationnistes soient pourchassés, tant mieux.  Mais si, pour cela, il faut sacrifier une aussi importante avancée démocratique qu'est le réseau, voilà qui mérite une autre discussion qu'un simple procès, et d'autres arguments que des amalgames et des raccourcis insultants.»

Après le dépôt du comité d'experts, Vinton Cerf déclare : «Je crois que nous sommes là au début d'une réflexion plus globale sur le Net de demain.» Pour sa part, le juge Gomez commentait : «Le Net demande de penser autrement l'application du droit, mais pas de le refondre.»

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 L'ICANN retient sept nouveaux noms de domaines
L'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN), organisme responsable de gérer les noms et l'adressage des domaines Internet, a retenu sept nouveaux noms de domaines.  Ce sont AERO, BIZ, COOP, INFO, MUSEUM, NAME, et PRO.  Dès que les modalités techniques et administratives auront été déterminées avec les agents ayant proposé ces noms, on verra alors une toute nouvelle dominymie s'imposer sur le Web, probablement au printemps 2001.

AERO, géré par la Société Internationale de Télécommunications Aéronautiques (SITA), sera disponible à toute entreprise ou organisme qui évolue dans le transport aérien, y compris les compagnies aériennes, les entreprises du secteur de l'aérospatiale, les autorités aéroportuaires, et les ministères et organismes gouvernementaux.  BIZ, pour lequel l'ICANN a retenu la proposition de JVTeam, sera réservé aux entreprises commerciales et marchandes, et ne pourra être attribué à un particulier.  COOP, proposé par la National Cooperative Business Association, sera attribué aux entreprises en mode de propriété coopérative.  La société Afilias s'est vue accordée le domaine INFO qui sera réservé aux sites d'information générale.  MUSEUM, de la Museum Domain Management Association, sera de toute évidence réservé pour les organismes muséaux.  NAME, proposé par Global Name Registry, sera réservé aux particuliers qui souhaitent afficher leur patronyme.  Enfin, PRO, de RegistryPro, sera réservé aux professionnels.

Contrairement à ce que l'on prévoyait, l'ICANN n'a pas encore statué sur le nom UNION proposé comme nous l'écrivions la semaine dernière par la Confédération internationale des syndicats libres, ni sur le HEALTH demandé par l'Organisation mondiale de la santé.  Parmi les autres noms qui n'ont pas passé la rampe, soulignons ADS, FIN, GEO, KIDS et WEB.

Si l'ajout de nouveaux noms de domaines constitue une belle occasion pour nombre d'organismes et entreprises de disposer d'une adresse étroitement liée à leur domaine d'activité, la nouvelle dominymie risque aussi de voir se multiplier les cas de «cybersquattage», d'appropriation illégitime de noms de domaines.  Toutefois, certaines des agences ayant demandé de gérer les nouveaux noms ont, dans les documents présentés à l'ICANN, prévu des processus d'authentification des demandeurs et de validation du bien-fondé de la demande.

Puis, l'ICANN s'est choisi un nouveau président en la personne de Vint Cerf, un des pères fondateurs de l'Internet.  Il remplace à ce poste la journaliste, militante et entrepreneure Esther Dyson.

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 Forte croissance du branchement au Québec
Selon la firme PricewaterhouseCoopers, le Québec serait en voie de combler le retard qu'il accusait par rapport aux autres provinces canadiennes en matière de branchement.  En un an, la proportion de foyers québécois branchés à Internet serait passée de 29 à 42 %, alors que dans le reste du pays elle passait de 48 à 50 %.  Les Québécois passent aussi plus de temps en ligne, une moyenne de 5,4 heures/semaine, comparativement à une moyenne de 5 heures ailleurs au pays.  La «société distincte» se manifeste également par l'accès à haute vitesse que l'on trouve dans 26 % des foyers (16 % dans le reste du Canada).

La mise en oeuvre du programme gouvernemental québécois «Brancher les familles» n'est certainement pas étrangère à cette croissance de 45 % du taux de branchement au Québec.  En vertu de ce programme, l'aide gouvernemental aux familles peut atteindre 75 % du coût mensuel de l'accès à Internet, incluant les taxes, jusqu'à concurrence de 16,66 $ CAN par mois (200 $ par an durant deux ans).  Pour ce qui est des ordinateurs, l'aide consentie peut atteindre 75 % du coût total, jusqu'à concurrence de 500 $ ou, dans le cas d'une location, 75 % du coût de location, jusqu'à concurrence de 250 $ par an pendant deux ans (maximum de 20,83 $ par mois), soit 500 $ pour la durée du programme (24 mois).

Le programme avait connu des ratés peu après son lancement, les fournisseurs de matériel estimant trop longs les délais de remboursement, mais l'intervention rapide du ministre délégué à l'Industrie et au Commerce, M.  Guy Julien, avait permis de rétablir la situation.

Revenons à l'enquête de PricewaterhouseCoopers qui arrive à la conclusion que le Canada serait le pays le plus branché au monde (48,2 % de la population), suivi des États-Unis (43 %) et de l'Australie (38 %), alors que la moyenne pour l'Europe serait de 26 %. 

Et sur ce, nous vous souhaitons à tous et toutes une excellente semaine,

Écrire à Jean-Pierre Cloutier


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