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Les Chroniques de Cybérie
15 aout 2000

© Les Éditions Cybérie inc.

15 août 2000

Salutations à tous les Cybériens et Cybériennes!

Cette Chronique n'est optimisée ni pour Netscape, ni pour Internet Explorer, elle l'est pour ses lecteurs et lectrices.

Cette semaine...

Affaire Yahoo! : le juge convient de la complexité...
...  et l'UEJF accusée de censure
«Carnivore» sera examiné par des universitaires
Naughton condamné à collaborer
G.-B.  : dérapage de la campagne anti-pédophiles
Politique réseau : Lieberman, co-listier très Net
Canada : commerce électronique, une valeur (encore) négligeable
Traitement partagé : SETI et la recherche sur le cancer
Internet n'ira pas aux Olympiques
Errata
Beau détour

 Affaire Yahoo! : le juge convient de la complexité...
Vendredi dernier, audience très attendue au Tribunal de grande instance de Paris où le juge Jean-Jacques Gomez devait se prononcer dans l'affaire de la poursuite intentée contre la société Yahoo! Inc. par l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) et la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA).  Les deux organismes exigent que Yahoo! bloque l'accès à son site d'enchères en ligne à toute connexion qui se ferait depuis le territoire français.  L'objet du litige : on trouve sur le site d'enchères des objets de collections militaires nazis, ce qui contrevient à la loi française. 

Le 22 mai, le juge Gomez estime en outre que si l'exposition en vue de leur vente d'objets nazis constitue une contravention à la loi française, «plus encore elle offense la mémoire du pays.» Il sert alors un ultimatum à la société américaine Yahoo! Inc., soit de proposer des mesures techniques permettant de bloquer les accès à son site depuis la France.  Le 24 juillet, les procureurs de Yahoo Inc.  comparaissent de nouveau devant le juge Gomez, et déclarent qu'en l'état actuel des choses, ils sont incapables sur le plan technique de se rendre à sa demande.  Le juge Gomez annonce alors qu'il rendra sa décision le 11 août.

Vendredi dernier, donc, plutôt que de se prononcer formellement, le juge convient de la complexité technique de sa demande de blocage d'accès d'un site américain depuis le territoire national français.  Il demande à M. François Wallon, expert en informatique et bureautique à la Cour d'Appel et au Tribunal Administratif de Paris, de s'adjoindre deux autres experts (un Européen et un Américain) pour trouver une solution technique possible au blocage d'accès.  Ce «collège» d'experts devra faire rapport au juge le 6 novembre prochain.

Le juge Gomez a rejeté la prétention de Yahoo! Inc.  selon laquelle un site américain, en langue anglaise, échappe à la compétence de la Justice française.  Il n'impose cependant pas d'astreinte financière à Yahoo! Inc., du moins jusqu'à ce que les experts se prononcent sur la possibilité ou non de mettre en place un système de blocage.  Autre élément important, Yahoo! Inc.  et sa filiale Yahoo! France devront acquitter 40 % des frais de l'expertise technique, et les plaignants (auxquels s'est joint en cours de procédure le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples, MRAP) 60 % des dits frais.

Vendredi dernier, avant que ne soit connue la décision du juge Gomez, le Cyber Law Journal (du New York Times, inscription sans frais requise), sous la plume de Carl Kaplan, présentait divers points de vue sur l'affaire qui commence à susciter un intérêt aux États-Unis. 

Pour Michael Traynor, avocat de San Francisco et un des conseillers juridiques de Yahoo! dans cette affaire, la France est libre d'imposer ses lois à ses citoyens, mais non au reste du monde.  «Si quelqu'un, en France, ne souhaite pas voir d'objets liés aux nazis, personne ne le force à regarder quelque chose qu'il ne souhaite pas voir.  C'est un acte volontaire que de consulter de l'information.» Traynor dit que Yahoo! pourrait en appeler d'une décision contre elle, soit devant un tribunal d'appel français, soit devant un tribunal européen des droits de la personne.

Dean Perritt, de l'école de droit Chicago-Kent, se dit confiant qu'un tribunal d'appel français déterminerait que Yahoo! n'est pas soumise à la loi française, et que, de toute manière, elle n'a pas ciblé le public français.  Une opinion que ne partage pas Jack Goldsmith, professeur de droit à l'Université de Chicago.  Ce dernier croit que la Justice française est tout à fait justifiée de s'en prendre à Yahoo! car elle a «quelque chose sur son site auquel ont accès les Français, et ce en contravention de la loi française.» Goldsmith se dit toutefois contre un filtrage ou une censure totale, tout ce que le juge Gomez devrait exiger, selon lui, est de rendre l'accès un peu plus difficile.

Thomas P. Vartanian, avocat de Washington qui dirige un comité du Barreau américain sur le droit du cyberespace prévoit d'autres litiges du genre, à moins que les pays ne s'entendent sur leurs champs de compétences respectifs.  Il s'inquiète également, à terme, des incidences énormes de telles décisions sur le commerce électronique.

Entre temps, deux sociétés auraient proposé à Yahoo! des systèmes de blocage d'accès qu'elles prétendent efficaces.  Il s'agit de Infosplit (dont nous avons déjà parlé) et de la société canadienne Border Control.  Cependant, peu de suites chez Yahoo! Dans le cas de Border Control, Philippe Guillanton de Yahoo! France a confirmé que l'entreprise l'avait approché et affirmé qu'il était grand temps de mettre un terme à ces espaces sans frontière qu'est Internet.  «Ce n'est pas ce que cherche Yahoo!» a-t-il déclaré à Reuters.

Dans Le Monde, Michel Alberganti évoque l'idée d'un passeport Internet, un certificat d'authentification des utilisateurs pouvant fournir la preuve d'origine géographique.  Deux conditions : que Yahoo! se dote d'un tel système, puis que chaque utilisateur voulant accéder à son site soit en possession d'un de ces passeports virtuels qui seraient payants.  Alberganti cite l'exemple de Verisign (15 dollars, 16 euros, 105 francs par an) mais écrit que «sa généralisation conduirait à la construction de frontières dans le cyberespace.» Et qu'arriverait-il à un étranger en sol français? Muni, par exemple, d'un passeport virtuel canadien, belge ou suisse, l'utilisateur étranger en territoire national français enfreindrait-il la loi s'il avait accès aux sites bloqués en vertu des lois françaises?

Si, dans cette affaire, les avis sont partagés, le Nouvel Observateur n'en poursuit pas moins son appel au boycott de Yahoo! en s'en prenant aux propos de Jerry Yang, un des fondateurs de Yahoo!, qui avait déclaré au journal Libération que «demander de filtrer l'accès à nos sites en fonction de la nationalité des internautes est très naïf» Le Nouvel Obs Quotidien justifie son appel au boycott de Yahoo! en affirmant «qu'accepter la thèse de Jerry Yang dans ce dossier, c’est, par inadvertance, faire reculer d’au moins un ou deux siècles l’évolution de l’idée démocratique.»

Et pendant ce temps, ce sont les dirigeants de régimes totalitaires qui doivent bien rire et se préparer une belle réponse quand on les accusera de censurer l'information et de filtrer Internet. 

En Arabie Saoudite, où on procédait récemment à une exécution publique, on vient de bloquer l'accès aux forums de discussion de Yahoo! jugés «obscènes» et contraires aux valeurs de l'Islam.  Le gouvernement saoudien n'en est pas à sa première action du genre, l'an dernier il bloquait l'accès de ses citoyens au fournisseur de contenu America Online.  Et le gouvernement a beau jeu : il est seul et unique fournisseur d'accès au pays...

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 ...  et l'UEJF accusée de censure
C'est le forum du site Web de l'Union des étudiants juifs de France qui serait en cause selon certains participants, et l'affaire a rebondi sur le forum du netmag québécois Multimédium.  Un participant rédigeait, début août, un message sur le forum de l'UEJF et aussi sur le forum Multimédium intitulé «10 questions à l'UEJF».  Dix questions assez pointues qui rappelaient, entre autres, que l'UEJF avait attaqué en justice le fournisseur de services Multimania qui hébergeait un site raciste «avec l'argument que l'anonymat sur Internet est à combattre alors qu'une simple plainte contre X a permis de retrouver l'auteur du site très facilement?» Aussi, «Pourquoi l'UEJF qui prétend se battre contre le racisme n'adresse en fait que les problèmes d'antisémitisme?» Ce message, semble-t-il, aurait été effacé du forum de l'UEJF. 

Le 13 août, le même participant en remet, et signale la disparition du forum de l'UEJF de messages pointant vers des articles de presse concernant l'affaire Yahoo! Il écrit : «Après s'être attaqué à Multimania, puis à Yahoo, l'UEJF s'en prend indirectement à la presse française montrant une propagande confiante qui fait froid dans le dos! [...] Tout ce qui ne convient pas à l'UEJF sur Internet doit passer au filtre de ces jeunes étudiants responsables de l'association qui prétendent vouloir imposer aux internautes leur propre choix de ce qui est bien et ce qui est mal!»

Réponse d'un responsable : «Je peux vous assurer que la disparition des messages d'août est involontaire.  Aucun des deux membres du Bureau National qui seuls ont accès aux codes n'a modifié ce forum [...] Je remarque finalement que nous n'avions aucune raison de supprimer tous ces messages (pour preuve mes messages également n'apparaissent plus) [...] De toute façon, je sais déjà que certains ne me croiront pas.»

Censure? Panne technique? Effacement accidentel? On ne sait trop.  Chose certaine, l'affaire suscite des commentaires et des échanges très vifs sur certains forums de discussion.

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 «Carnivore» sera examiné par des universitaires
Au cours de son point de presse hebdomadaire, jeudi dernier, l'Attorney general Janet Reno a annoncé que le ministère américain de la Justice était à la recherche d'une université à qui confier le mandat d'examiner le fonctionnement du système de surveillance du courrier électronique baptisé Carnivore.

Madame Reno assure que l'équipe d'universitaires choisie aura accès à tous les renseignements techniques de la part de la police fédérale américaine, le FBI.  Elle n'a toutefois pas annoncé quelle université serait mandatée pour procéder à l'examen du système, bien que certaines sources aient mentionné le campus de San Diego de l'Université de Californie.  Le choix définitif serait annoncé sous peu, et le rapport devrait parvenir à Madame Reno en décembre, après avoir fait l'objet d'un examen par d'autres spécialistes gouvernementaux.

«Ce n'est pas un examen vraiment indépendant.  On ne doit pas demander au loup de décider qui gardera la bergerie» a déclaré Barry Steinhardt, directeur adjoint de l'American Civil Liberties Union (ACLU), à l'agence Associated Press.  L'ACLU et le Electronic Privacy Information Center (EPIC) ont lancé une procédure juridique pour obtenir, en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, tous les documents que détient le FBI sur Carnivore, y compris le code source du logiciel employé.  Un juge a ordonné au FBI de se plier à cette demande d'ici demain (mercredi, 16 août).

Mais le FBI lâchera-t-il prise? L'agence IDG rapporte que la police fédérale a refusé au représentant Bob Barr (Républicain, Georgie) de lui fournir des détails techniques sur le système Carnivore.  Le représentant Barr est le parrain d'un projet de loi, déposé en juillet, qui renforcerait la protection de la vie privée dans les cas d'écoute électronique et tiendrait compte du courrier électronique et des communications sans fil.  Dans ces deux cas, il y aurait obligation de divulgation d'interception des communications, ce qui n'est pas prévu par les lois actuelles aux États-Unis.  John Collingwood, directeur adjoint des communications au FBI, aurait écrit à M.  Barr que beaucoup de fausses informations concernant le système Carnivore circulent.  M.  Barr, pas plus que le FBI, n'ont rendu public le contenu exact de la réponse de M.  Collingwood.

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 Naughton condamné à collaborer
Patrick Naughton, ex vice-président exécutif de la société Infoseek (partenaire des entreprises en ligne de la société Disney) et responsable des sites Go Network, arrêté en septembre dernier pour avoir franchi la frontière d'un État dans le but d'avoir une relation sexuelle avec une personne âgée de moins de 16 ans, a reçu sa sentence : neuf mois de détention à domicile et de surveillance électronique, une amende de 20 000 $ et cinq ans de liberté surveillée.

En mars dernier, Naughton enregistrait un plaidoyer de culpabilité.  Il était passible d'une peine maximale d'emprisonnement de quinze ans, et d'une amende de 250 000 $.  D'autres accusations, abandonnées en mars par le ministère public, aurait pu valoir à Naughton une peine additionnelle de vingt ans d'emprisonnement.  On savait que Naughton, ingénieur logiciel et habile programmeur, avait négocié un allégement de sa peine en échange de services techniques pour le compte du FBI.  Mais voilà que certains détails filtrent sur ce pacte, des détails qui en disent long sur les intentions du FBI.

Michelle Quinn du Mercury News a appris que Naughton avait déjà établi un canevas de travail pour un logiciel qui permettra au FBI d'effectuer une «perquisition à distance» dans un ordinateur branché à Internet, et ce à l'insu de son utilisateur.  Le Mercury News avait demandé à un tribunal que soient dévoilées les conditions de l'entente liant Naughton à la police fédérale.  Le document de 25 pages a été remis au Mercury News, mais une partie importante a été biffée au crayon feutre noir.

Une autre communication permet cependant d'établir quatre autre «produits» sur lesquels Naughton aurait travaillé, soit un logiciel de saisie d'adresse IP, un logiciel de surveillance des canaux de bavardage (chat), un logiciel d'appariement d'image et enfin un logiciel de détection de stéganographie (technique de dissimulation d'un message dans un autre contenu, par exemple un fichier graphique).

Le ministère public a déclaré que le FBI ne disposait pas auparavant de ce genre de logiciels, ce dont doutent certains experts.  L'Electronic Frontier Foundation a cependant annoncé son intention d'aller au fond de l'affaire et de chercher à savoir si, dans les faits, le FBI n'utiliserait pas déjà ces outils d'enquête.

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 G.-B.  : dérapage de la campagne anti-pédophiles
Il y a un peu plus d'un mois, le corps de la petite Sarah Payne, 8 ans, était retrouvée sans vie dans un dépotoir à proximité de la résidence de ses grands-parents dans le petit village britannique de Kingston Gorse, dans le West Sussex.  Elle était nue, l'expertise médico-légale a permis d'affirmer qu'elle avait subi des sévices sexuels.  L'enquête piétine, un suspect a été interrogé à deux reprises par la police, puis relâché faute de preuves.

Un nouveau tabloïd à sensation, le News of The World (avec contrepartie Web), s'est emparé de l'affaire et a lancé une campagne anti-pédophiles, «Name and Shame», littéralement «nommer et couvrir de honte».  News of the World a donc commencé à publier dans ses pages et sur Internet les noms, photos et lieux de résidence de 82 personnes reconnues coupables de pédophilie, et exigé la mise sur pied d'un registre national de pédophiles, ouvert au public.  Il existe un tel registre en Grande-Bretagne, mais sa portée est limitée : il n'a été mis sur pied qu'il y a trois ans, donc incomplet, et n'est accessible qu'à la police.

Nous parlions en mai dernier d'un site Web, au Québec, qui diffuse photos et renseignements sur des personnes accusées de crimes pédophiles, et exprimions de sérieuses réserves à l'égard de ce site.  «D'un côté, la liberté d'expression amplifiée par le médium à accès facile qu'est le Web, et sur une question qui malgré son expression boiteuse, dans le cas présent, vise à protéger la collectivité.  D'un autre côté, la situation des contrevenants qui, ayant purgé leur peine, s'en voient imposer une seconde, celle de l'exclusion sociale.»

Voilà que la campagne du News of the World connaît de sérieux dérapages.  Des foules en colère s'en sont prises à des personnes dénoncées par le journal, les ont passées à tabac, ont incendié leurs voitures, mis le feu à leurs domiciles.  Parmi les victimes de ces justiciers, des innocents, parfois simplement des homonymes des personnes dénoncées, comme le rapportait la BBC.  La violence prend des proportions inquiétantes.  Toujours selon la BBC, dans la ville de Portsmouth, une foule de 200 personnes s'est attaquée à la résidence d'un pédophile, et 12 personnes ont été arrêtées à la suite de l'intervention policière qui a nécessité le travail d'une cinquantaine d'agents.

Le News of the World a mis un terme à la diffusion des photos de pédophiles sur Internet; il dénonce ces actes de violence gratuite, lance un appel au calme et tente tant bien que mal d'éteindre ce qu'il a allumé : la violence gratuite de ces justiciers auto-proclamés.  Mais les manifestations de violence se poursuivent, au point où des familles innocentes, habitant des quartiers où ont lieu ces manifestations, demandent aux autorités locales de les reloger ailleurs.  Puis, deux juges ont condamné des pédophiles à des peines avec sursis, estimant que le fait d'avoir été nommé dans la campagne du News of the World constituait une «punition suffisante».  La campagne du journal aurait donc un effet contraire à ses visées.

Rebondissement de l'affaire en Belgique, qui on le sait vivait il y a quelques années les affres de l'affaire Dutroux.  Radio Belche (14 août 2000) nous apprend que le Tribunal de première instance de Namur, saisi en référé par la Ligue belge francophone des Droits de l'Homme, a interdit à l'éditeur d'un périodique luxembourgeois de publier une liste de pédophiles belges présumés.  «En fait de liste, il s'agirait d'un document de travail des enquêteurs du dossier Dutroux, recensant non seulement des pédophiles condamnés, mais aussi de simples suspects, voire des personnes simplement citées dans l'un ou l'autre dossier.  Le juge a interdit la diffusion de ce document au nom du respect de la vie privée et de la présomption d'innocence» lit-on sur Radio Belche. 

On s'inquiète du précédent sur le plan de la liberté de presse, mais «Par ailleurs, se référant aux débordements survenus en Grande-Bretagne, les commentateurs s'interrogent sur la propension du public à recourir au lynchage.  À leurs yeux, elle traduit un manque de confiance dans l'appareil judiciaire.»

Dan Kaminski, professeur à l'École de criminologie de l'UCL, signe un commentaire dans le quotidien bruxellois Le Soir et écrit : «Même si la vindicte populaire s'en prend à la pire des crapules, cela constitue un dérapage et le mot est encore faible.  Chaque fois que l'on justifie son indignation par l'erreur sur la personne, par l'innocence de celui qui a subi les effets dommageables du lynchage, on déforce la valeur fondamentale de l'indignation.  On laisse entendre en effet qu'à l'égard des "vrais coupables", le lynchage se justifie.  Cette sélection implicite est elle-même indigne [...] le lyncheur médiatique aura jeté la première pierre.  Et il ne sera plus question ni de cité, ni de droits, ni de victimes, ni d'indignation même consensuelle.»

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 Politique réseau : Lieberman, co-listier très Net
Si George Dubya Bush a choisi comme co-listier Dick Cheney, un ancien secrétaire d'État à la défense, Al Gore a pour sa part fait porter son choix sur Joe Lieberman, sénateur du Connecticut et législateur très au fait de la technologie.  Surprise dans bien des milieux, surtout parce que Lieberman est le premier juif orthodoxe à être choisi comme co-listier par un candidat à la présidence.

Mais depuis quelques années, Lieberman s'est prononcé à maintes reprises sur des questions liées aux médias et à Internet, en plus d'être un des principaux promoteurs de l'«État réseau», et de prendre l'initiative politique des «nouveaux démocrates», groupe informel d'élus du Parti démocrate visant à rajeunir l'image du Parti.

Le 27 juin dernier, ces «nouveaux démocrates» dévoilaient un programme d'action visant une croissance à long terme axée sur la nouvelle économie.  De nombreux points dans ce programme sont de nature à plaire à l'industrie : éducation et formation aux nouvelles technologies, mesures pour parer aux pénuries de main-d'oeuvre, crédits d'impôts pour la recherche et le développement, ouverture du commerce technologique avec la Chine, de même qu'un train de mesures relatives à la protection de la vie privée, à la cybersécurité et à la propriété intellectuelle.

En juillet, Lieberman était invité à prononcer l'allocution d'ouverture à la conférence «E-Gov 2000» sur l'État réseau, qui se tenait à Washington.  Lieberman s'est réjoui des progrès accomplis par l'administration Clinton pour adopter les nouvelles technologies et effectuer un arrimage plus étroit entre les besoins des citoyens et les services que l'administration publique a le mandat de fournir.  Il a cependant exprimé certaines réserves : «Malgré le foisonnement d'organismes et de programmes, le concept d'État réseau est présentement un tissu complexe d'idées, de projets et de partenariats qui ne sont pas toujours bien coordonnés, où il y a souvent chevauchement dans les actions et où les crédits font parfois double emploi.»

Suivons Lieberman dans son exposé, car il vaut pour bien d'autres administrations publiques qui adoptent le virage technologique.  «Les efforts de l'administration fédérale visant à adopter les nouvelles technologies ont eu des résultats mitigés.  Si on a eu droit dans certains secteurs à des innovations remarquables, grâce à des employés ou des gestionnaires visionnaires, nombre de projets se sont heurtés à des obstacles sur le plan de la réglementation ou de la législation, à des modèles traditionnels d'administration publique, et à des conceptions de gestion compartimentée, en vase clos.» On pense ici à la notion d'«État corridor».  Et de poursuivre Lieberman, «La mise en oeuvre de projets d'État réseau valables semble particulièrement difficile quand ils nécessitent une coordination entre des organismes ou entre des gouvernements.»

La solution? En fait, elle tient à cinq éléments pour Lieberman, à commencer par le leadership organisationnel.  Il importe de créer un poste de responsable des technologies de l'information au sein de l'administration publique, de lui conférer autorité et budgets, et de choisir un titulaire qui connaisse à la fois les rouages administratifs et la technologie.  Puis, perfectionner le concept de guichet unique, favoriser l'interopérabilité et l'adoption de normes communes, et s'engager dans un mode de financement des projets qui soit partagé entre les organismes utilisateurs.  Enfin, cinquième élément, travailler dans un sentiment d'urgence.  Lieberman parle d'une fracture numérique qui sépare ceux qui maîtrisent les tenants et aboutissants de l'État réseau (directeurs d'organismes, presse spécialisée, secteur privé) et les décideurs élus, ces derniers ne percevant pas l'urgence d'agir, et à défaut de quoi l'appareil administratif accusera un retard difficile (et coûteux) à rattraper.

Si, dans certains milieux, on se réjouit de l'arrivée possible à la Maison Blanche d'un vice-président ardent défenseur de l'État réseau et de la technologie, le correspondant politique du service de nouvelles Wired, Declan McCullagh, examine le passé législatif de Lieberman.  Dans le détail, précise McCullagh, certaines de ses propositions (moratoire fiscal pour les ventes en ligne, logiciels filtres dans les bibliothèques publiques subventionnées, peines plus sévères pour les hackers) sont identiques aux propositions du Parti républicain en ces matières.  De plus, Lieberman s'est maintes fois prononcé en faveur d'un système d'étiquetage obligatoire des jeux vidéo en fonction des contenus, une mesure qui pourrait dans un deuxième temps s'étendre aux sites Web.

McCullagh cite le sénateur Christopher Bond (Républicain, Montana) pour qui «Le message n'est pas clair quand le candidat (Al Gore) est le meneur de claque de Clinton et le co-listier (Lieberman) son principal critique.»

Quoiqu'il en soit, le choix de Joe Lieberman comme co-listier du Parti démocrate a eu des échos sur Internet, et pas nécessairement en provenance des meilleurs quartiers de la cité cyber.  Reuters rapporte que la Anti Defamation League américaine (Ligue contre la diffamation) a signalé de nombreux cas de commentaires anti-sémites, tant sur des sites Web que dans des espaces d'échange.  Même le New York Times rapportait la semaine dernière qu'un de ses forums a été inondé de messages s'attaquant au fait que M.  Lieberman soit juif.

Toujours est-il que de nombreux sites Web envisagent une couverture plus modeste du congrès du Parti démocrate qui se tient ces jours-ci, que celle qui a été faite du congrès du Parti républicain, il y a deux semaines.  Plus de trente sites Internet couvraient l'événement, et des centaines d'autres, surtout des dérivés de médias traditionnels, reprenaient une couverture partielle.  Or, l'ensemble de cette couverture Internet a peu intéressé les citoyens du réseau.

Pour la durée du congrès (31 juillet au 3 août), environ le quart des Américains se sont branchés à Internet, mais seulement le tiers d'entre eux se sont renseignés sur le déroulement de l'événement.  Et de ce tiers, les deux tiers n'y ont consacré que quelques secondes.  Phénomène saisonnier de chute d'achalandage du Web l'été? Peu de contenu, donc peu d'intérêt pour l'électeur? Quand on parle des deux tiers du tiers du quart, on tombe sous le seuil de rentabilité pour les pointcoms.  Seule consolation : l'écoute des grandes chaînes de télévision a aussi connu une baisse.

Ces chiffres sont tirés d'une étude du Joan Shorenstein Center on the Press, Politics and Public Policy de l'Université Harvard, «The Internet and the 2000 Republican Convention: An Appraisal».

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 Canada : commerce électronique, une valeur (encore) négligeable
D'après une enquête menée auprès de 23 000 entreprises d'octobre 1999 à mars 2000 par Statistique Canada, le commerce électronique représentait une valeur totale de 4,4 milliards de dollars canadiens en 1999.  Si le chiffre semble intéressant, il faut toutefois le mettre en perspective : ces 4,4 milliards ne représentent que 0,2 % de l'activité économique totale.

De préciser Statistique Canada, «les ventes Internet estimées n'ont pas dépassé 1,5 % du total dans chacun des secteurs d'activité.  Les ventes Internet ont représenté 1,3 % des recettes d'exploitation totales dans le secteur des services d'hébergement et de restauration, 1,0 % dans celui de l'industrie de l'information et de l'industrie culturelle, 0,8 % dans celui des services professionnels, scientifiques et techniques et moins de 0,5 % dans les autres secteurs d'activité.»

Il faut aussi établir ce qu'englobe l'expression «commerce électronique» qui, pour Statistique Canada, comprend le commerce entre entreprises (C3E), les transactions avec les administrations publiques, et le commerce au détail.  À ce dernier chapitre, les ventes au détail des cybermarchands ont atteint 610,6 millions de dollars CDN en 1999, soit 15 % du total des ventes Internet, et 0,2 % du total des ventes au détail.  Dans le compte rendu des résultats de l'enquête, Statistique Canada établit une comparaison avec les États-Unis où les détaillants ont vendu par Internet des biens et services d'une valeur de 5,2 milliards de dollars US au cours du quatrième trimestre de 1999 seulement, ce qui représente 0,6 % du total des ventes dans le secteur du commerce de détail pour cette période.  Malgré tout, le Canada se classerait au deuxième rang des pays du G7, derrière les États-Unis, en matière de commerce électronique.

D'après de nombreux commentateurs, il importe de combler ce «retard canadien», de crainte de voir les concurrents américains s'approprier un espace important du marché électronique canadien, espace dont il sera éventuellement difficile de les déloger.  Mais qu'offre-t-on aux consommateurs canadiens, en matière de commerce électronique? Le faible volume des transactions est-il attribuable à une timidité technologique des consommateurs, ou encore les cybermarchands seraient-ils eux mêmes responsables de leur performance inférieure à celle de leurs concurrents du sud?

En juin dernier, nous vous parlions de deux études menées sur les sites cybermarchands canadiens, une par le Centre pour l'étude de l'activité commerciale du Collège Ryerson, l'autre par le Boston Consulting Group (BCG) en collaboration le Conseil canadien de commerce au détail.  Les chercheurs n'étaient pas tendres à l'égard des cybermarchands canadiens à qui ils reprochaient de sérieuses lacunes en matière de marketing, de présentation visuelle des sites, de facilité de navigation, de gamme de produits et services, de rapport qualité/prix, de service à la clientèle, de sécurité transactionnelle et de protection des données personnelles.  Devant une telle situation, faut-il se surprendre que le volume de transactions soit faible? Si un consommateur effectue un achat, et que l'«expérience» ne s'avère pas satisfaisante pour une raison ou une autre (produit facturé mais non livré, complexité d'interface, livraison trop longue ou trop onéreuse, etc.), sera-t-il incité à répéter l'expérience?

Il faut toutefois prendre garde de ne pas mettre tous les cybermarchands dans le même sac; certains répondent aux attentes des consommateurs les plus exigeants.  Personnellement, nous avons toujours eu un bon service du cyberlibraire Amazon.Com (site américain) et aimons le choix très vaste qu'il propose.  Petit problème : les frais de livraison trop élevés, parfois supérieurs au prix d'achat d'un livre format poche.  Cet été, certaines lectures de vacances ont été commandées en ligne, et livrées poste restante au village voisin.  Les cyberlibraires GallimardMontreal.Com et Chapters.Ca ont livré les ouvrages commandés en trois ou cinq jours (sauf un, en rupture de stock chez Chapters) et à des frais d'expédition très raisonnables.  En prime, chez GallimardMontreal.Com, c'est l'accès en ligne à un bibliothécaire pour répondre à nos demandes de renseignements.  Chez Chapters, un suivi et une confirmation de livraison, avec numéro de connaissement, sur le site Web de Postes Canada.  Deux exemples de cybermarchands qui offrent une «valeur ajoutée» à l'expérience d'achat en ligne.

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 Traitement partagé : SETI et la recherche sur le cancer
On connaît SETI@home, le projet de recherche de vie intelligente extra-terrestre dont nous vous parlions en mai 1999.  Des signaux radio en provenance de l'espace et captés par un radio-télescope sont transformés en données numériques, puis distribués depuis le Web, pour analyse, à quiconque veut bien prêter un peu de la puissance de traitement inutilisée de son ordinateur.  On télécharge et installe un logiciel d'analyse sur son système, puis on modifie les paramètres pour qu'il remplace la sauvegarde d'écran (screensaver).  Celle-ci s'active lorsqu'elle détecte que le système est inactif depuis un certain temps; le logiciel d'analyse fonctionne de même, sauf que plutôt que d'afficher des grille-pain volants ou autres facéties, il procède à l'analyse du bloc de données que l'on aura aussi téléchargé.  Une fois traités, les blocs de données sont réexpédiés aux responsables du projet, à l'Université Berkeley, qui examinent les résultats.

SETI@home est le premier exemple d'envergure de traitement partagé.  À l'origine, les responsables espéraient recevoir l'appui de 100 000 participants; ils sont maintenant plus de 2,2 millions à traiter ainsi des blocs de données, à les retourner, puis à en récupérer de nouveaux pour traitement.  On estime que depuis son lancement, l'an dernier, on a accumulé 350 000 années/ordinateur de traitement.  Le projet devait prendre fin en mai 2001, mais vient de recevoir l'appui financier de deux nouveaux partenaires, ce qui devrait en assurer la poursuite pour quelques années.

L'avantage du traitement partagé repose dans la possibilité de mettre à contribution un grand nombre d'ordinateurs pour le traitement d'ensembles de données gigantesques, fractionnés puis distribués aux participants, ce qui évite le recours à de super ordinateurs (comme le Asci White de IBM) qui sont peu répandus et dont le coût est prohibitif, du moins pour un projet de recherche scientifique.

La formule SETI@home fait école.  Voilà que la société Parabon Computation et le National Cancer Institute (organisme gouvernemental de recherche) viennent d'annoncer le lancement d'un projet visant à effectuer des simulations informatiques de l'action de certains médicaments sur les cellules cancéreuses.  Ces simulations seront effectuées en traitement partagé, grâce à la plate-forme «Frontier» mise au point par Parabon et inspirée du système employé par le projet SETI@home.  Pour Steven Armentrout, premier dirigeant de Parabon, il sera donc possible pour le grand public de participer directement à la recherche sur le cancer.  Parabon travaille aussi à un projet de simulation informatique visant à étudier les moyens de réduire les effets secondaires de la chimiothérapie.

Un autre joueur dans ce nouveau secteur a dans ses cartons un projet de simulation des effets de différents médicaments sur les variations mutantes de l'influenza.  D'autres sociétés de traitement partagé prévoient aussi une foule d'applications moins scientifiques, comme le pré-traitement des données graphiques servant à produire les animations cinématographiques comme dans les films «Toy Story» et «Antz».  Dans de tels cas, les utilisateurs recevraient une compensation monétaire pour chaque bloc de données traitées.  Reste à voir si les milliers de participants auront une mention au générique.

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 Internet n'ira pas aux Olympiques
Question de protéger un lucratif contrat exclusif de télédiffusion avec la chaîne de télévision américaine NBC, le Comité international olympique interdit aux sites Web de retransmettre des images des jeux de Sydney (Australie), voir même de couvrir l'événement.  Pour le Washington Post, ce n'est rien de moins que le plus récent affrontement entre les médias traditionnels et les nouveaux barons de la presse réseau.  Emily Turrettini fait le tour de la question sous forme de revue de presse sur son site Netsurf.

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 Errata
Le chroniqueur Steve Outing du Editor & Publisher Online (site consacré au journalisme) a mené une enquête informelle sur la qualité de rédaction des journaux imprimés et de leurs contreparties Web.  Sa conclusion : le Web fait bonne figure.  Outing n'a pas constaté dans les contenus Web beaucoup plus d'erreurs (fautes de frappe ou d'orthographe, erreurs de style, grammaticales ou d'usage) que dans les imprimés.  Mais il arrive que...

Dans notre édition précédente, nous utilisions les mots «dextrogyre» et «sénestrogyre» pour désigner les deux versions de la croix gammée.  Un lecteur vigilant nous signale que, bien que ces expressions lui apparaissaient logique étymologiquement, il aurait été plus correct de dire «dextrorsum» et «sénestrorsum».  Il a entièrement raison, et nos excuses pour cette erreur de «sens».

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 Beau détour
Certaines personnes, quoiqu'elles fassent, manquent toujours d'espace.  Stan Herd est une de ces personnes-là.  Artiste de la terre, il a déjà une oeuvre de 160 acres (environ 640 000 mètres carrés) de superficie.  Ses designs rochers plus «intimes» ne font qu'un quart d'acre.  À voir, de haut, son site Earthworks.

Et sur ce, nous vous souhaitons à tous et toutes une excellente semaine.

Écrire à Jean-Pierre Cloutier


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