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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 20 juin 2002

Le changement comme politique

Notre société réclame des apprentissages et des permis pour toutes choses, depuis la conduite automobile jusqu'à l'achat d'une arme à feu, mais elle n'en exige pas pour les deux décisions les plus importantes qui soient : faire un enfant et voter. Même si la prolifération des contraintes sociales et légales ne rend pas toujours la vie collective plus juste ni plus agréable, improviser la famille et la vie politique ne donne pas non plus des résultats toujours glorieux. La preuve en est, pour nous en tenir à la politique, que certains scrutins donnent des résultats dont la seule logique décodable est celle du changement pour le changement, du virage quoi que dise la route, du pari sur la plus improbable probabilité. Peuple plus bête que les autres? Non, mais pas plus futé.

Je m'invite moi-même à nuancer. Ce n'est pas d'aujourd'hui que les élections partielles induisent l'électorat en tentation de « rouspétance ». Les gouvernements du Parti québécois, par exemple, ont presque toujours vécu comme un calvaire l'obligation de tenir des élections complémentaires. Le Parti québécois avait d'ailleurs de bonnes raisons de les redouter tant était longue et sans faille sa « série noire » de défaites et d'humiliations. Qu'il ait, cette fois, limité les dégâts à « seulement » trois défaites est, dans son cas, presque satisfaisant.

Cela dit, ces élections partielles ne ressemblent pas au modèle usuel. D'une part, parce que le Québec est entré dans la phase du calendrier où sévit la surchauffe préélectorale. L'élection partielle qui survient en fin de mandat projette sur le scrutin général à venir une ombre plus dense que celle qui se loge dans la première ou la deuxième année du mandat. D'autre part, le message menaçant que transmettent au gouvernement péquiste les élections complémentaires de lundi provient d'un adversaire en pleine expansion et non pas du rival traditionnel et plus prévisible. Quand, il n'y a pas tant d'années, le Bloc québécois fit élire Gilles Duceppe dans le cadre d'une élection complémentaire, cette percée annonçait le déferlement à venir. Pour ce double motif, les élections de cette semaine constituent pour le Parti québécois un avertissement plus sérieux que les scrutins de même portée.

Un facteur équivoque a également pesé. Les quatre élections partielles de lundi ont été rendues nécessaires par le Parti québécois lui-même et les résultats péquistes sont, en gros, ceux que méritent les gaffeurs et les arrogants. Cela devrait à la fois le consoler et le conduire à approfondir l'examen de conscience entrepris tardivement par M. Landry. Dans un cas, c'est le manque de discernement de M. Gilles Baril qui sert de détonateur. Dans les trois autres cas, la vanité blessée joue un rôle considérable. MM. Chevrette et Brassard auraient mérité un traitement moins cavalier de la part de M. Landry, mais tous deux se seraient grandis en accordant plus d'importance à leur cause qu'à leur dépit. Quand à M. David Cliche, qui a démissionné en même temps, il n'avait pas les états de service des deux vétérans et devait surtout à ses déclarations intempestives le ralentissement de sa carrière politique. Sa bouderie se justifiait encore plus mal que celles de MM. Chevrette et Brassard. Autant dire que le Parti québécois, par son chef et plusieurs de ses ministres, s'est piégé lui-même. Il ne mettra fin à ses déboires qu'en revenant à un doute minimal et au respect des mérites et des susceptibilités régionales. M. Landry semble en avoir au moins l'intuition.

À noter que l'Action démocratique a profité des élections partielles pour placer le Parti libéral de Jean Charest face à son ineptie et pour lui ravir le titre et le rôle du parti de rechange. Cela aussi détonne dans un conctexte d'élections partielles. Certes, le Parti libéral ne défendait pas cette semaine ses châteaux-forts et on ne saurait prétendre qu'il a perdu ses appuis traditionnels sur l'île de Montréal. On devra admettre, cependant, que les piètres résultats obtenus par le Parti libéral lézardent l'affirmation de M. Charest voulant que sa formation politique soit celle que veulent maintenant les régions du Québec. Lors d'un scrutin général, le Parti libéral pourrait fort bien, avec tous les risques que cela comporte pour lui, compter une majorité de députés anglophones et allophones. Nul doute que, en coulisse, les intérêts privés qui ont porté M. Charest à la tête du Parti libéral s'interrogent déjà sur l'utilité de le maintenir à un poste qu'il achève de stériliser. De là, cependant, à envisager le remplacement de M. Charest par le ministre fédéral Pierre Pettigrew, il y a une marge. Rien n'oblige le Parti libéral à remplacer M. Charest par pire que lui. Ni lui ni nous n'avons mérité cela.

Ce branle-bas de portée encore limitée et peut-être largement circonstancielle s'inscrirait dans une trajectoire politique normale et même souhaitable s'il s'agissait de substituer une vision du monde à une autre. Ce n'est pas le cas. C'est, en effet, le changement qui est voulu, pas un changement en particulier. On ne veut pas tel changement, mais tout simplement la rupture. L'impatience, certes, s'explique, car les ronronnements satisfaits du parti gouvernemental crispent depuis trop longtemps les nerfs les plus tolérants, mais elle est mauvaise conseillère si elle dispense les aspirants au pouvoir de dire de quoi demain sera fait. Mais qu'on ne me fasse pas dire qu'il faut obtenir de l'ADQ un programme en 600 résolutions réunies dans une vulgate blindée. Qu'on ne s'y trompe pas, ce n'est pas l'absence de programme qui est la pire carence du parti de Mario Dumont, c'est son silence sur les valeurs. Ce n'est pas la même chose. Le remaniement d'un organigramme ne me fait pas pleurer, mais il sera toujours frustrant et contraire à la démocratie de refuser aux citoyens les réponses à leurs pourquois. Que Mario Dumont change de propositions selon la couleur du temps m'importe peu, mais il est inquiétant de ne pas retrouver dans ses promesses à géométrie variable une référence stable et crédible à l'équité, à l'accessibilité, à la transparence, au rôle de l'État.

« Ils ne savent pas ce qu'ils veulent, mais ils le veulent fortement », disait-on autrefois à propos d'un certain âge situé au début de la trajectoire humaine. Dans ce jeune parti qu'est l'Action démocratique, les deux versants de cette description sont en place : sa clientèle veut fortement le changement et elle travaille en conséquence; sa direction s'est contentée jusqu'à maintenant de réclamer du changement sans jamais expliquer sur quelles valeurs il s'édifierait.

Quand le Québec avait envoyé plus d'une vingtaine de députés créditistes à Ottawa, le directeur du Devoir, Gérard Filion, avait décrit notre population comme « un peuple plus bête que les autres ». Gardons la réflexion en réserve : elle pourra servir si jamais l'ADQ obtient le pouvoir sans annoncer ses valeurs.

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