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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 30 mai 2002

Mario Dumont, prince du vide

Le premier sondage avait surpris, le deuxième tourne le fer dans la plaie. Voilà donc, pour longtemps ou la durée d'un soupir, le chef de l'ADQ proclamé par les sondages chef du parti le plus populaire et meilleur aspirant au poste de premier ministre. Une telle situation démontre de la part de l'électorat québécois un désenchantement anormal, mais aussi la persistance juvénile de la pensée magique. Car le seul titre que mérite aujourd'hui Mario Dumont, c'est celui de prince du vide. Prince de son vide, prince du vide de ses rivaux.

Au chapitre de la pensée politique, Mario Dumont est presque aussi pauvre que celui qui l'a tant marqué, Robert Bourassa. À cela s'ajoute qu'il reproduit avec une fidélité désespérante et rentable les réflexes qui ont assuré au chef libéral ses différentes survies et sa longévité totale. Il sait gagner du temps, il n'oublie jamais que le rôle de l'opposition c'est de s'opposer, il sait que l'allusion que fait la devise du Québec à la mémoire n'est qu'une mauvaise blague, il démontre chaque jour que la répétition de l'affirmation rapporte plus que la solidité de la preuve.

Quand il surfe sur l'actuelle morosité, M. Dumont n'est pas, pas plus que ne l'était Robert Bourassa, un tricheur. Il veut le pouvoir et il s'en approche sans dire ce qu'il en fera, mais il n'est ni le premier ni le dernier à rentabiliser le vide. Comment tricher si l'on a la prudence, au départ, de ne pas admettre l'existence d'une règle? Comment tricher quand, d'après Bourassa ou Dumont, la politique n'accepte comme critères moraux que le succès et la durée? Quand la fin justifie les moyens, il n'est pas facile de tricher. Comme Robert Bourassa, mais aussi comme Trudeau ou Chrétien et combien de ses illustres prédécesseurs dans la carrière de la politique politicienne, Mario Dumont n'est pas immoral, mais amoral. Ces gens font de la politique pour gagner et la victoire même mal acquise est le seul résultat qui les séduise. L'argent, dit-on, n'a pas d'odeur; pour certains, le pouvoir non plus. M. Dumont se retrouve en prestigieuse compagnie; son vide le dispense d'avoir à défendre des principes.

M. Dumont promet donc, parce que cela fait plaisir aux badauds, d'amaigrir l'État, d'abolir la permanence dans la fonction publique, d'éliminer une série de conseils consultatifs... Comme il faut quand même proposer quelque chose, le parti de M. Dumont entre en scène avec son petit bagage d'inventivité. Le problème, c'est l'absence de rigueur, la substitution du vide à l'analyse. Un globalisme fier de lui lance un raz de marée là où il faudrait le raffinement du scalpel. Aux yeux de Mario Dumont tous les conseils consultatifs se valent et méritent le peloton d'exécution. Rien ne distingue le conseil coûteusement décoratif et le conseil capable de dénoncer les dérives du pouvoir exécutif, aucune différence de verdict entre, d'une part, le conseil consultatif qui ne conseille personne et qui, de toutes manières, est dirigé par un sympathisant du Parti québécois et, d'autre part, le conseil qui rappelle à l'opinion publique et au gouvernement les engagements non tenus. Distinguer les uns des autres exigerait une pensée politique et des critères; M. Dumont préfère la dénonciation juvénile, la terre brûlée et le vide.

Si Mario Dumont séduit malgré la vacuité de son analyse et la fragilité de ses conclusions, c'est qu'un vide comparable et moins excusable sévit dans les autres partis. Plus encore dans le parti de Jean Charest qu'au sein du Parti québécois, mais de façon quand même persistante dans les deux cas. Jean Charest, qu'on s'en souvienne, est apparu sur la scène politique québécoise avec un mandat hargneux et clair : il devait déboulonner le vilain séparatisme québécois. Il entrait en scène avec, sur les épaules, les espoirs de tous les partis fédéralistes. L'homme qui, ministre conservateur à Ottawa, s'était engagé à contrer le Bloc québécois à Ottawa et avait lamentablement mordu la poussière, le même homme se faisait remettre le Parti libéral du Québec sur un plateau d'argent avec le mandat de liquider le régime péquiste. Il n'eut pas plus de succès dans sa seconde offensive que dans sa première. Maintenant que le Parti québécois semble déterminé à se vider de sa mission première, le combat que devait livrer Jean Charest n'a plus sa raison d'être, mais Jean Charest non plus. Le preux chevalier anti-sécessionniste n'a plus de cause. Il aurait pu s'en inventer une, car son parti est quand même celui qui nous a valu la révolution tranquille, mais il a préféré, aussi vide de pensée politique que de générosité sociale, batifoler d'une critique à l'autre, promettre une « défusion » qui ne viendra jamais et dénoncer sans ancrage sérieux les difficultés d'implantation d'un indispensable réseau de garderies. Le vide dans lequel Jean Charest fait baigner le Parti libéral depuis son transfert sur la scène québécoise n'oppose certes pas de résistance au vide que Mario Dumont sait au moins maquiller en mirage.

Quant au gouvernement péquiste, il suffit d'entendre Marie Malavoy vanter les mérites de sa gestion pour conclure à un autre vacuum. Il est certes affligeant de voir l'ADQ de Mario Dumont puiser à pleines mains dans les inépuisables conservatismes des Bush et des Klein, mais que propose le PQ de Bernard Landry à la place? L'État de M. Landry n'ose plus dire son nom. La réaction du premier ministre québécois devant l'infiltration des démarcheurs ressemble comme une jumelle à celle des administrations publiques déjà soumises aux pressions souterraines et inféodées au maquignonnage le moins démocratique. Cela déçoit de la part d'un parti qui a tant combattu les caisses électorales occultes. Les principes fondateurs ont si complètement disparu que ce gouvernement se partage sans sentir la différence entre Davos et Porto Alegre. Vide est le discours, vide le carquois d'où devrait sortir le prochain défi.

Mario Dumont, prince et bénéficiaire du vide, est bien servi par le calendrier. Les élections complémentaires de juin surviennent à point nommé pour que l'ADQ consolide les appuis encore nébuleux dont font état les sondages. Il n'y aurait pas d'élections complémentaires à l'horizon que l'ADQ devrait probablement se replier sur des positions moins dominantes; avec des tests électoraux à portée de main, l'ADQ est dispensée de l'obligation de patienter et du risque d'un ressac. Jean Charest n'a pas eu cette chance et le passage du temps a dégonflé la popularité dont il jouissait au départ.

Le calendrier n'est quand même pas le seul ni le principal allié de Mario Dumont. Le vide des deux partis opposés rend celui de l'ADQ et de son chef presque acceptable.

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P.S. 1 : Bon réflexe de Jean Chrétien. Tout ce qui traîne se salit. Message clair aux aspirants : le vieux lion a encore du coffre et le public aime sa désinvolture. Dommage que cela vienne si tard et de façon aussi sélective.

P.S. 2 : Le vice-président américain, Dick Cheney, a repris son bâton d'affoleur en chef. Les services secrets recueillent désormais tellement de rumeurs que personne ne peut les analyser. D'où le principe et la stratégie : en cas de doute, crie au loup. S'il vient, tu pourras dire que tu l'avait prédit. S'il ne vient pas, on ne pourra pas te reprocher d'avoir été cachottier.

P.S. 3 : Pauvre Vladimir Poutine. Il n'a pas fini de ramasser les morceaux du traité de 1972 que son ami George vient de déchirer et il doit, le plus sérieusement du monde, signer le nouveau traité que son ami George lui présente sur un papier d'aussi mauvaise durabilité.

RÉFÉRENCES :

L'ADQ continue sur sa lancée, La Presse, 25 mai 2002.
Circularité globalisante et girouettes, Dixit Laurent Laplante, 16 mai 2002.

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