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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 16 mai 2002

Circularité globalisante et girouettes

Comme la plupart des gens, je suis surpris des résultats offerts par un sondage récent portant sur les préférences politiques actuelles des Québécois. Rien d'étonnant à la première place qu'obtient systématiquement le Parti libéral depuis déjà quelque temps, mais choc et incrédulité en voyant l'Action démocratique devancer le Parti québécois d'une bonne coudée et talonner le parti de Jean Charest. Par delà l'étonnement, c'est cependant de déception et d'inquiétude qu'il faudrait parler. En effet, alors que l'électorat cherche sa voie, il ne trouve devant lui que des sentiers cent fois patrouillés et des horizons toujours aussi bouchés. Dès lors, que lui importe si le classement varie au sein d'un trio de partis perçus comme interchangeables?

Plafonnons quand même les spéculations. Pas plus qu'une hirondelle ne garantit le printemps, un sondage isolé ne livre d'avance à lui seul le résultat du scrutin à venir. Pour que l'Action démocratique soit vraiment perçue par l'électorat comme préférable au Parti québécois et presque aussi attrayante que le Parti libéral, il lui faudra répéter à plusieurs reprises sa récente performance. Nous n'en sommes pas là et Mario Dumont, qui ne veut surtout pas perdre les avantages dont jouit souvent le « défavorisé des parieurs », veille à le rappeler.

Expliquer la gifle encaissée par le Parti québécois en affirmant que les Québécois en ont marre des querelles constitutionnelles, cela paraît également un peu court. Il faut vraiment chausser des lunettes bien imaginatives pour déceler aujourd'hui les velléités souverainistes. S'il y a toujours une certaine chaleur, elle provient de braises grisonnantes plutôt que de plaidoyers enflammés. L'heure est plutôt à la convergence entre les deux paliers de gouvernement. Convergence à propos du bois d'oeuvre. Convergence à propos des mesures antiterroristes. Convergence pour que les élus se convertissent en commis-voyageurs et en ouvreurs de portes au bénéfice des gens d'affaires. Convergence à propos du libre-échange. Convergence pour ne pas voir que la concentration des entreprises de presse nuit à la diversité de l'information. Convergence pour laisser le démarchage s'insérer entre les élus et les organisations de tous poils. Convergence pour fonctionner sans le dire à la manière d'un régime présidentiel. Si cela crée un contexte d'affrontement constitutionnel au point de lasser les gens, on ne sait vraiment plus à quoi ressemble le débat public.

Plutôt qu'à une trop fervente recherche des litiges constitutionnels de la part du Parti québécois, c'est à l'absence de propositions sociales et politiques qu'il faut imputer la volatilité des allégeances. Quand rien ne distingue un parti de l'autre, il suffit d'une brise langoureuse pour que le drapeau de l'un tombe un peu moins mollement que le fanion de l'autre. Dans une conjoncture aussi affaissée, on considérera comme une révolution, très très tranquille il est vrai, la victoire obtenue par l'Action démocratique dans un comté blessé par le rejet cavalier de son député institutionnel. Mario Dumont le sait si bien qu'il se borne à encaisser le dividende et résiste à la tentation de construire sur ce résultat une bible politique. Il trouve son avantage dans la guérilla. Il lance une attaque, ramasse quelques scalps et retraite. Formé au patient noviciat de Robert Bourassa, il s'est souvenu de cette époque. Il a sagement renoncé aux grandes opérations frontales qu'affectionnait Jean Allaire à la manière d'un Montcalm et préfère désormais décocher des flèches plutôt que des ultimatums en vingt-deux points ou des budgets de l'an un. Le leader fantôme qu'est Jean Charest a compris pour sa part, à moins que quelqu'un lui ait expliqué la chose, qu'il court plus de risques à parler qu'à se taire, à ne pas avoir de programme qu'à s'avancer le cou. Quand le mutisme vaut à un parti d'opposition d'aussi bons résultats que l'effort et l'inventivité, on comprend la prudence de MM. Charest et Dumont.

On comprend moins bien la torpeur péquiste. On devrait avoir compris, depuis le temps, qu'un parti idéologique a besoin d'une idéologie et qu'il est suicidaire de se fondre dans le décor quand on rêve de rallier la société civile à une cause. À trop plagier la « république des satisfaits » que moquait Galbraith, on s'y intègre tripes et cerveau. À ne parler que chiffres et globalisation et à se féliciter de bien gérer une succursale, on cesse de mériter les égards dus à un État et à son chef. À tout immoler sur l'autel du changement voulu pour lui-même, on se dispense de comparer les divers types d'orientation. Quand tous les partis parlent de gestion, celui qui gère depuis déjà plusieurs années séduit moins que ceux qu'on n'a pas encore vus à l'oeuvre.

Il faut donc lire et méditer la conclusion que tirent Gilles Gagné et Simon Langlois de leur remarquable enquête sous-titrée « nature et signification de l'appui à la souveraineté du Québec » :

Même les mégas appareils de l'État, ceux de la santé et de l'éducation, ne prospèrent plus que par en haut, par le bout des fonctions d'organisation et d'information qui s'autofinancent en désorganisant les autres formes de travail. Le gigantesque épuisement des institutions que l'on tente ainsi de décomposer au profit des systèmes qui ont poussé sur leur dos finira d'ailleurs par nous coûter très cher et les libertés de la circulation qui sont déjà presque maîtres du Québec, menacent maintenant d'avoir la peau de toute finalité substantielle quelle qu'elle soit, et avec elle celle des êtres humains qui en vivent d'y trouver leur sens. Le fait que des souverainistes fassent ainsi chorus avec la circularité globalisante laisse songeur. « Nous devons changer afin de nous adapter au changement » : la souveraineté n'est plus ce qu'elle était.

Bref, la souveraineté serait-elle devenue orpheline d'un projet?

Circularité globalisante? Autrement dit, l'aplatissement des frontières culturelles en même temps que les autres. Autrement dit, le gommage de toutes les aspérités jusqu'au clonage d'une société à partir d'un modèle unique. Autrement dit, le « tout vaut pareil », le mimétisme forcené, une sorte de cléricalisme anachronique noyé dans les mondanités et les dorures et discourant sur le renoncement et la pauvreté. La circularité globalisante, c'est l'alignement inconditionnel sur le changement frénétique et déboussolé et sur l'homogénéisation décérébrée. L'opinion publique réagit en sautant d'une girouette à l'autre. Comment l'en blâmer?

RÉFÉRENCES :

L'ADQ gagne du terrain, La Presse, 11 mai 2002.
Le programme de l'ADQ rallie une majorité, La Presse, 11 mai 2002.
L'ADQ, mode d'emploi, La Presse, 11 mai 2002.
Les raisons fortes - Nature et signification de l'appui à la souveraineté du Québec, Gilles Gagné et Simon Langlois, Les Presses de l'Université de Montréal, 2002, p. 143.
Action démocratique du Québec (ADQ)
Parti libéral du Québec (PLQ)
Parti Québécois (PQ)

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