janvier/février 1998

Femmes et Internet : Pourquoi cette attention?
par
Jean-Pierre Cloutier

Le thème des femmes et de l'Internet ne cesse de...  séduire les chroniqueurs et observateurs du réseau.  Personne ne semble y échapper, nos propres Chroniques de Cybérie leur ont consacré deux fois à l'occasion du 8 mars (Journée internationale de la femme) des éditions spéciales soulignant l'espace qu'elles occupent sur Internet, comment leur comportement diffère de celui des hommes, la texture de fabrique de leurs espaces personnels, etc.  On posait même à la blague la question à savoir combien il fallait de femmes pour construire un site Web.

Étrange, tout de même, car on entend peu parler du rapport à la télévision que peuvent avoir comme groupe les femmes, ou encore de leur rapport à la voiture, à l'espace immobilier, à la lecture, à l'écriture.  Pourquoi donc, avec Internet, se soucie-t-on à ce point de cerner la présence féminine et son appropriation du cyberespace?

L'Internet est porteur de multiples promesses de rapprochement entre les cultures, les nations, les entreprises et les humains.  Facile d'en conclure alors que la présence des femmes sur le réseau soit souhaitée, car on pourrait ainsi espérer combler l'écart communicationnel entre hommes et femmes.  Mais voilà, c'est trop facile, trop simple.

C'est peut-être aussi qu'à l'origine, l'Internet était à toutes fins pratiques une chasse gardée des mâles.  On a donc constaté à l'époque de l'ouverture de l'Internet grand public que les femmes ne représentaient que 10 % des utilisateurs du réseau.  L'enseignement technique a souvent négligé la clientèle féminine, sans parler des innombrables barrières aux professions traditionnellement réservées aux hommes.  Combler l'écart professionnel? Autre facteur d'explication possible, mais là encore le fil est mince et prête trop de bonnes intentions aux tenants du système.

On me permettra ici de soumettre une autre interprétation de l'intérêt que l'on porte à la présence des femmes sur Internet, et cette interprétation passe par la définition du «on».

Qui est ce «on» qui décortique tous les sondages et enquêtes sur le ratio hommes/femmes sur Internet? Qui commandite bon nombre de ces sondages? Qui s'efforce de trouver des créneaux d'utilisation pour les femmes, de savoir qu'elle utilisent moins le Web et plus le courrier électronique, qu'elle naviguent plus efficacement que les hommes, etc.? Ce «on», ce sont les marchands du Net!

L'Internet se construit à coup de milliards de dollars d'investissements dans les infrastructures, les produits et les services.  Certains observateurs affirment que toute l'économie du Net fonctionne à perte dans l'attente de retombées lucratives, que tous essaient de se maintenir dans une étape cruciale de positionnement, que pour une réussite comme Netscape il y a un millier de beaux projets qui échouent.  Peu les contredisent.

Comme les grands ensembles commerciaux sont pressés de pouvoir afficher un retour sur leurs investissements, il importe d'élargir au plus vite le bassin de clientèle.  Comment serait-il possible d'y arriver dans nos sociétés industrielles si 51 % de la population, c'est-à-dire les femmes, boude le réseau ou n'y trouve pas de quoi répondre à ses besoins informationnels et communicationnels.  Oublions d'emblée les grandes visées égalitaires que l'on prête aux architectes penseurs du réseau, c'est une question de sous, et de gros sous.

C'est que la hausse générale du revenu des femmes, même s'il est toujours inférieur à celui des hommes, a créé une nouvelle classe de consommatrices.  En outre, il est depuis longtemps reconnu par les spécialistes en marketing que si le revenu de la femme d'un ménage est inférieur à celui de l'homme, c'est plus souvent qu'autrement elle qui tient les cordons de la bourse et son opinion sur la «décision d'achat» est déterminante.  Ajoutons à cela la clientèle des femmes aînées (dont l'espérance de vie surpasse celle des hommes), la clientèle gaie que les publicitaires commencent à courtiser, et la clientèle des nouvelles diplômées (plus nombreuse que celle des garçons qui «décrochent» davantage que leurs compagnes), et voilà votre nouveau créneau commercial.  Ce créneau dont vous voudrez suivre étroitement le développement pour mieux le quantifier, l'analyser.

On ne contestera pas la puissance de l'outil qu'est le réseau sur le plan de la communication et de la diffusion d'information, que ce soit pour les femmes ou pour tout autre groupe.  Les femmes s'approprient cet outil, le maîtrisent, l'exploitent.  Il demeure aussi de vastes espaces de l'Internet qui échappent à l'influence commerciale qui, avouons-le, est à un certain degré nécessaire.  Soyons réalistes, dans bien des cas le commerce et son pendant publicitaire sont essentiels à la production et à la diffusion de contenus de qualité, quel que soit le médium.

Mais tout aussi réaliste est la perception que si on porte tant d'attention à la présence des femmes dans le cyberespace et à leurs habitudes d'utilisation des réseaux, c'est d'abord et avant tout pour des raisons économiques.

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Dossier «Femmes en ligne», Planète Internet Québec

Chroniques de Cybérie, Édition spéciale, 8 mars 1997

Chroniques de Cybérie, Section spéciale, 8 mars 1996


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URL : http://www.cyberie.qc.ca/jpc/articles/femmes.html
Mise en ligne : 20 décembre 1997