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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 18 novembre 2004

Retour sur des textes récents (1)

Quelques courriels reçus récemment ont ravivé en moi des questions auxquelles je n'accordais peut-être pas suffisamment d'attention. Comme, d'autre part, je serai accaparé au cours des prochains jours par le Salon du livre de Montréal, le moment me paraît propice à la rédaction de réflexions moins liées à l'actualité. Même si je réfère explicitement à des courriels en particulier, il va de soi que quiconque peut m'éclairer sur la suite à donner à mes Dixit est invité à le faire.

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Un correspondant français pose nettement la question ou, si l'on préfère, le problème :

Je vous adresse ce message, non pour tresser des éloges, mais pour vous faire une demande : votre texte de la conférence « La démocratie a-t-elle fait son temps? » m'a beaucoup plu, et je serais heureux de le faire partager à mon entourage. Cependant, certains passages font référence à l'histoire proche et contemporaine du Canada, et ces références nous sont trop étrangères pour ne pas rebuter d'autres francophones.

Je sais que souvent l'universel est très bien illustré par les histoires locales (mes chanteurs préférés sont Brel, Brassens, Maxime Le Forestier, Gilles Vigneault, Félix Leclerc...), mais ici, le contexte est trop spécialisé (Standard & Poor's, Lévesque-Kierans, l'ADQ, Réal Caouette). En fait, c'est surtout la partie sur Réal Caouette qui est déroutante.

Alors, je sais que ce texte a été écrit dans un contexte particulier, où vos auditeurs pouvaient entendre bien plus que nous pouvons lire. Mais je trouve votre texte vraiment important, et il serait très agréable de pouvoir le diffuser à une audience plus large.

Dans la même veine, j'ai beaucoup apprécié vos billets avant la guerre d'Irak, qui étaient facilement compréhensibles par des lecteurs francophones intéressés par l'actualité internationale. Vos billets depuis cet été sont bien plus centrés sur la vie politique du Canada, et je n'arrive pas à leur trouver une vocation universelle.

En résumé, comprenez que mon enthousiasme pour vos écrits n'est pas feint, et qu'égoïstement, je souhaiterais trouver des billets qui cultivent des réflexions plus universelles, pour mon plus grand plaisir.

Remarquez que ma demande n'est pas pour un universel normalisé, suivant une culture du plus grand nombre (je sais que vous vous battez contre ceci, et moi aussi, voir nos racines et notre côté francophone), mais pour des références moins locales.

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Un autre correspondant, de France lui aussi (Asnières sur Seine), aborde la même question depuis un tout autre observatoire :

Je lis vos chroniques depuis quelque temps avec un plaisir constant et un intérêt soutenu.

Si je ne maîtrise pas les subtilités de la vie politique et publique de votre pays, ni celles des États-Unis, il n'en est pas moins que je trouve souvent des résonances troublantes entre vos analyses et ma perception de la vie politique française.

Précisément, il me semble que votre constat de la déliquescence du Parti Démocrate américain n'est pas sans rappeler celle du Parti Socialiste français.

Cette reconstruction conceptuelle et programmatique, que vous appelez de vos voeux, est aussi nécessaire de ce côté de l'Atlantique. Et la toute-puissance de la droite, ici conduite par le Président Chirac, s'exprime en particulier par sa capacité à contingenter les sujets et les débats publics en contraignant ainsi ses compétiteurs à se positionner, voire à s'enliser, dans des expressions qui ne leur sont pas favorables.

Je me demandais si, de votre point de vue, et à partir de votre compréhension de ces sujets, il s'agirait là d'une crise de même nature, qui viendrait fragiliser toutes les expressions de la « sociale démocratie » des pays du Nord, ou bien si les éléments particuliers et circonstanciels primeraient?

Car, ce qui me frappe dans la situation présente du Parti socialiste, c'est l'absence de toute visée de réforme de la vie collective, au profit d'un « projet » (par défaut) de gestion « plus humaine » des contingences de la vie économique et sociale. Or, vu de loin, j'ai eu l'impression que ce discours était significativement présent chez les Démocrates étatsuniens.

Vous voudrez bien excuser le caractère superficiel et général de ces quelques réflexions, je vous laisse juge de leur éventuelle pertinence.

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Au moment même où je reçois ainsi « l'appel du grand large », divers courriels d'origine québécoise me pressent d'accorder plus d'attention aux projets gouvernementaux de privatisation de l'eau, à l'éventuelle création d'un nouveau parti de gauche au Québec, au naufrage de la programmation culturelle de Radio-Canada, à l'enlisement du Nouveau Parti Démocratique... En filigrane ou ouvertement, ce reproche autochtone peut s'entendre ainsi : trop de temps consacré aux affaires internationales, pas assez d'analyse des enjeux locaux et régionaux.

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Les pirouettes et les esquives constitueraient une mauvaise réaction. La Fontaine pourrait me souffler que « nul ne peut satisfaire tout le monde et son père ». Péguy, immense journaliste, pourrait me rappeler son constat en forme de conseil : « Un bon journal mécontente chaque jour un cinquième de ses lecteurs, mais pas toujours le même cinquième ». Je me satisferais de faux-fuyants si les citations me servaient d'alibi. La vérité (et le défi), c'est qu'il me faudrait écrire de manière à ce que chacun puisse y trouver son compte. La vérité, c'est aussi que mon désir d'aborder tous les sujets en profane de bonne volonté m'amène à susciter des attentes diversifiées que j'ai ensuite peine à toujours satisfaire. Le journaliste spécialisé s'en tient à un domaine et son auditoire n'est pas frustré qu'il limite ainsi ses prétentions. Celui qui court tous les lièvres semble manquer à ses devoirs s'il en néglige un trop longtemps. Pour ma part, je ne me résigne pas à ce que le citoyen moyen (ou le journaliste moyen) ne puisse pas réfléchir aussi bien au nucléaire qu'au colonialisme, à l'impasse du Proche-Orient qu'au commerce de l'eau. Je n'ai ni la compétence ni le tempérament du spécialiste. Dans cet esprit, il m'est arrivé dans le passé d'aborder deux ou trois sujets différents dans un même billet, en partie parce que plusieurs thèmes me tentaient, en partie parce que je voulais tendre la main à plusieurs auditoires. D'après certaines réactions, je perdais alors en densité ce que je gagnais en superficie. Peut-être devrais-je quand même consentir parfois à cette ubiquité.

Que faire? Assurément garder à l'esprit que le journalisme rendu possible par Internet exige une plus grande attention aux différences culturelles et aux enracinements sociaux et politiques. Je m'efforcerai de respecter cette exigence. Mais ceci n'est encore qu'un préambule.

(À suivre.)


Laurent Laplante

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