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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 9 octobre 2000

L'eugénisme ou la santé?

Selon Juan Antonio Samaranch, président du Comité international olympique (CIO), les jeux de Sydney furent les plus beaux de l'histoire. Selon les journalistes canadiens, le verdict doit aller en sens inverse : des jeux à oublier. Le président Samaranch et notre confrérie de journalistes dits sportifs ont quand même en commun de n'apprécier du sport que ses dimensions les plus spectaculaires et les plus chauvines. Qu'il soit permis de voir le sport autrement.

Parlons d'abord journalisme. À moins que le rôle du journaliste ait été bricolé à la baisse récemment, on attend des professionnels de ce métier qu'ils se conduisent en observateurs honnêtes et raisonnablement neutres, non en meneuses de claque. Quand le chauvinisme met des journalistes au bord des transes parce que le Canada ne recueille pas assez de médailles, l'information perd ses droits au profit de la frustration épidermique. Quand la pléthorique délégation de Radio-Canada ajoute ses pleurs aux larmes de la pléthorique délégation d'athlètes canadiens, ce n'est plus de journalisme qu'il s'agit, mais d'une soirée mortuaire regroupant divers types de vendeurs. Même la plus prévisible fierté ne justifie pas de tels sanglots. Je généralise? Oui, quelque peu. Un de Roussan¹, par exemple, peut-être parce qu'il a déjà participé aux jeux, sait garder la tête froide.

Ce qui est en cause et qu'il faut, d'urgence, discuter sérieusement, c'est la place du sport dans une société moderne. Si le sport n'est qu'une vitrine de plus pour vendre le renom d'un pays, oui, il convient d'engouffrer les millions à la pelle jusqu'à produire assez de médailles pour remplir la vitrine. Et oui, il faut alors, comme le dit le docteurJacques Duranceau dans une déclaration désabusée, « donner aux Canadiens les moyens de ne pas se faire prendre »². Si, par contre, le sport fait partie d'un système d'éducation intelligent et contribue au mieux-vivre d'une collectivité, ce n'est certes pas en comptant les médailles olympiques qu'on peut l'évaluer. D'autres indicateurs doivent se substituer à l'inventaire des médailles. À cet égard, les jeux de Lillehammer avaient permis d'entrevoir le respect des Norvégiens pour les sports massivement pratiqués par la population et intimement liés à la culture. Ni Atlanta ni Sydney n'en ont fait autant.

Ne rêvons pourtant pas : ni l'olympisme ni ses chantres ne désarmeront. Les médailles continueront d'attirer des milliers de jeunes en mal de gloire et d'enrichissement. Les commanditaires et les médias persisteront à tirer du spectacle olympique les bénéfices et les cotes d'écoute. Leurs voix pèseront plus que tout le reste dans les décisions gouvernementales. Avec le résultat que l'olympisme recevra de plus en plus de fonds publics pour propager des moeurs et des valeurs de moins en moins compatibles avec le bon sens, l'équité, l'humanisme.

Car Sydney, à sa manière, a fait beaucoup pour convaincre les prochaines générations d'athlètes que l'important n'est pas de concourir honnêtement, mais de tricher impunément. Quiconque veut comprendre tire cette leçon de Sydney : les contrôles antidopage ne détectent que les athlètes maladroits et les pays moins bien pourvus. Si un sport ou un pays a les ressources pour embrigader l'industrie pharmaceutique, il pourra compter tantôt sur un produit dopant tout nouveau et que les contrôles ne chercheront pas, tantôt sur un produit masquant que les contrôles ne perceront pas. Si, en plus, le pays a le gabarit et le tempérament propices à l'intimidation, il pourra, comme les États-Unis, cacher impunément les résultats de ses contrôles et nuire à ceux d'autrui. En bonne logique, les plus riches obtiennent alors plus de médailles, tandis que les contrôles expulsent honteusement les athlètes privés de tels adjuvants.

Réformer le système? Pareille chose est impensable tant que le CIO demeurera un club privé. Pareil espoir est interdit, en plus, par le poids des intérêts en cause. Ces intérêts vont du chauvinisme largement exploité dans bien des pays, le nôtre compris, aux investissements des médias, des commanditaires et de l'industrie pharmaceutique. Le superbe spectacle que sont les jeux continuera donc, on doit le redouter, à opposer les tricheurs aux purs, l'être humain aux enfants de Frankenstein, tout cela sous les yeux d'un public déterminé à ne pas voir l'envers du décor.

Dans ce débat quand même nécessaire, un mot doit prendre sa place, un mot qu'on croyait sans usage ni pertinence depuis Hitler : celui d'eugénisme. Le dictionnaire nous en dit ceci : « Sciences des conditions les plus favorables à la reproduction et à l'amélioration de la race humaine. » Est-ce à cette science que s'adonnent les chimistes et les médecins qui créent et administrent les produits dopants et qui contribuent à éloigner des sélections et des médailles les athlètes honnêtes?

Laurent Laplante dixit.

¹ Hugues de Roussan, journaliste à Radio-Canada
² Journal de Québec, 1er oct. 2000
Voir aussi Des jeux trompeurs mais désacralisés et Le CIO demeure un club privé

© Laurent Laplante et Les Éditions Cybérie


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