Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 7 septembre 2000
Deux torts n'égalent pas à un droit

Quand des policiers, l'arme de service à la hanche, se transforment en manifestants et viennent s'agiter aux portes d'une réunion d'élus, les éditorialistes y vont d'un trémolo.  Puis, on oublie.  Quand des cols bleus de Montréal forcent la porte d'un caucus gouvernemental pour hurler leur opposition à la face d'élus, l'opinion publique s'émeut le temps d'un soupir.  Quand, enfin, des ambulanciers ignorent grossièrement le Conseil des services essentiels, chacun se dit : à quoi bon se plaindre de ce qui est banal?  Et pourtant!

Et pourtant, quiconque raisonne calmement et sainement admettra qu'aucun groupe n'a le droit d'entrer et de sortir à son gré du jeu social.  Ni les policiers, ni les cols bleus municipaux, ni les ambulanciers, ni personne.  On accepte ce jeu social ou on le rejette; on n'y participe pas par éclipses ou en ne se pliant qu'aux règles d'application agréable.  Si l'on bénéficie du statut d'association ou de syndicat, on prend d'un bloc ce qui va avec ce statut, les contraintes et les avantages.  Utiliser la force de frappe du regroupement en ignorant qu'aucun regroupement n'a une légitimité comparable à celle de la société, c'est se conduire en maître-chanteur et faire ce que font les arnaqueurs.  C'est commencer une partie en souscrivant aux règles, puis rejeter les règles si une défaite se dessine.  Cela est si patent qu'on se sent idiot d'avoir à le répéter.  Car cela relève du très humble bon sens.

Cela relève aussi de l'équité.  Nos syndicats ont conquis de haute lutte des droits considérables.  Tant mieux pour eux et pour toute la société, car le traditionnel arbitraire patronal rencontre ainsi son indispensable contrepoids.  Le Québec oblige les employeurs à négocier de bonne foi avec les syndicats.  Les mises à pied inspirées de l'antisyndicalisme provoquent ici l'intervention judiciaire.  La loi québécoise ne permet pas, même si cela est toléré par d'autres provinces et maints autres pays, le recours aux briseurs de grève.  À cela s'ajoute l'énorme avantage syndical que constitue l'atelier fermé : le syndicat reconnu comme représentatif d'une majorité se finance à même une cotisation prélevée à la source sur tous les chèques de paie et non pas seulement sur les salaires des gens favorables au syndicat.  En bonne équité, la société qui a reconnu de tels droits aux syndicats et associations devrait recevoir des syndicats et associations un minimum de respect.  Ce n'est pas le cas quand les policiers, les cols bleus, les ambulanciers renient leur signature et refusent d'exécuter leur moitié du contrat.

Allons vite au devant des sophismes syndicaux qu'on nous opposera.  Oui, il est tristement exact que notre société accorde à certains groupes encore plus de droits et d'avantages qu'à la moyenne des syndicats.  Oui, il est honteusement exact que les gouvernements ne respectent pas toujours leurs propres règles du jeu.  Cela dit, ne déduisons pas des hypocrisies gouvernementales ou des privilèges exorbitants de certains groupes qu'on peut en toute bonne conscience empocher à la fois les profits de la loi et les gains de la violence.  Deux torts n'équivalent pas à un droit.

Soyons plus clairs encore.  Il est illégal et honteux que le gouvernement fédéral agisse à l'encontre de la constitution.  Il est illégal et honteux que l'équité salariale exigée par la Cour suprême tarde autant à se répandre dans la fonction publique fédérale.  Il est illégal et honteux que le gouvernement fédéral mette sur pied clandestinement des banques de données qui en savent trop long sur chacun d'entre nous.  Il est arbitraire et honteux que le gouvernement du Québec soumette les infirmières et les ambulanciers à la loi sur les services essentiels, mais n'ose pas y soumettre les médecins.  Il est arbitraire et dangereux de la part du gouvernement fédéral de ne pas appliquer le jugement de la Cour suprême sur les droits de pêche des autochtones et de ne pas même en demander la clarification à la même Cour suprême.  Tous ces exemples pointent dans la même direction : les élus qui rédigent les lois font souvent partie de ceux qui tardent à les respecter.

Cela dit, la solution ne peut pas se situer du côté de la délinquance, de la force brutale, du nombrilisme arrogant.  Martelons l'évidence : deux torts n'équivalent pas à un droit.  Deux, trois, quatre gestes de brigandage n'abolissent pas le droit de cette société québécoise à recevoir sa juste moitié du contrat social.  Porter à cinq, à dix ou à vingt le nombre des chantages syndicaux ou des malhonnêtetés gouvernementales n'enlève rien au droit de tous et de toutes à vivre dans un cadre raisonnablement prévisible, plus verbeux que violent, sans doute trop lent mais situé hors de la jungle.  S'attribuer le droit de frapper parce que l'autre l'a fait, ce peut être de la légitime défense.  C'est plus souvent un banditisme qui n'ose pas s'avouer.


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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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