Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 24 février 2000
Les maîtres-chanteurs en uniforme

Que les gardiens de l'ordre social se fassent délibérément des fauteurs de désordre, voilà qui, en plus de scandaliser, doit inquiéter.  Quand des policiers utilisent la réglementation routière à des fins de pression syndicale et prennent le public en otage pour arrondir leurs fins de mois et bonifier leur retraite, ils deviennent, en effet, des maîtres-chanteurs en uniforme.  Cela rend leur comportement plus difficile à sanctionner, mais d'autant plus dangereux.

Bien sûr, les porte-parole des policiers syndiqués nous inonderont de leurs sophismes habituels.  Ils prétendront, derrière leurs sourires mur à mur, qu'il est bon de faire comprendre aux automobilistes la nécessité de bien boucler leur ceinture de sécurité et que les barrages routiers aux heures de pointe constituent une pédagogie particulièrement convaincante.  Qu'ils sachent pourtant ce que nous pensons : les farceurs qui mettent la loi au service d'intérêts particuliers ne méritent pas le respect que l'on accorde aux professionnels.

Les policiers n'ont pas la loi de leur côté, mais ils s'en moquent, car ils estiment avoir mieux que la loi : la force.  C'est d'ailleurs là l'aspect le plus inquiétant de leur dérapage.  Ceux à qui la société confie la force nécessaire à la paix sociale en usent pour se faire justice eux-mêmes en intimidant les citoyens et, si possible, les élus.  On a donc le choix des griefs à retenir contre nos délinquants en uniforme : détournement de fonds publics à des fins corporatives, chantage, conflit d'intérêts puisqu'ils deviennent juges et partie, bris du serment prêté au moment de l'admission dans la police...

Ce qui n'arrange rien, bien au contraire, le public découvre grâce à des barrages routiers cyniques et nuisibles que les dirigeants syndicaux distribuent les assignations à la place de la direction policière.  Contrairement à ce que des citoyens naïfs et respectueux de la loi pouvaient croire, ce n'est pas la direction du principal corps policier québécois qui décide de l'emploi du temps des policiers, mais le syndicat.  On s'éloigne ainsi encore davantage des moeurs démocratiques, car le syndicat se substitue à la direction policière mise en place par les élus et affecte les ressources humaines et matérielles de la police à des priorités qui n'ont aucun rapport avec l'intérêt public.  Parler de détournement de fonds n'a alors rien d'excessif.  On aimerait savoir de la direction policière si elle apprécie d'être reléguée au siège arrière et de voir le volant de la gestion et des choix sociaux entre les mains d'employés incontrôlables.  Si elle n'a rien à dire, peut-être devrait-on penser à faire l'économie d'une direction simplement décorative...

Une fois de plus, on en revient à la sélection et à la formation des policiers.  Sans doute possible, quelque chose cloche si ceux et celles qu'on honore de l'uniforme policier en arrivent à bafouer cyniquement l'ordre social qu'ils ont juré de servir.  Ou bien on a choisi des gens pour qui des notions comme le respect de la loi n'ont aucun contenu, ou bien on a négligé imprudemment la formation continue qui convaincrait les policiers de ne jamais faire passer l'intérêt syndical avant la loi.  Les deux hypothèses, malheureusement, peuvent être également vraies en même temps, c'est-à-dire qu'on choisisse mal les futurs policiers et qu'on ne leur donne pas, ni au départ ni en cours de route, la formation indispensable.

Chose certaine, les citoyens que nous sommes ne sont pas plus rassurés parce que ceux qui les tiennent en otages portent l'uniforme plutôt qu'une cagoule.  Ils sont même dans une situation pire, car ils ne peuvent pas faire appel à la police pour les défendre contre ces nouveaux preneurs d'otages.

Le gouvernement, quant à lui, ne semble percevoir qu'une dimension de ce dérapage.  Il parle argent.  Il parle parité entre les offres faites aux policiers et celles qui furent faites aux autres salariés de l'État.  À aucun moment, il ne réfère à ce qui fait de la police un corps social radicalement différent des autres : le fait que la police a la responsabilité sociale de faire passer la loi avant la force.  Si le gouvernement estime futile d'invoquer de tels principes, il faut en déduire que le déficit civique que l'on constate ces jours-ci chez les syndicats policiers contamine aussi la classe politique.




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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