Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 22 mai 2000
Détenus, mercenaires et commanditaires

C'est avec raison qu'Amnistie internationale et Human Rights Watch s'inquiètent du sort qui attend les prisonniers détenus directement ou indirectement par Israël au Liban Sud si l'armée israélienne quitte bientôt ce territoire.  L'inquiétude est d'autant plus justifiée que plusieurs de ces détenus sont incarcérés sans jamais avoir été jugés et que les rôles d'Israël et de l'Armée du Liban-Sud (ALS) ont été souvent maintenus dans une ambiguïté propice à tous les excès.

La prison de Khiam, de l'avis des deux groupes humanitaires, mérite une vigilance particulière.  Parce qu'on sait assez d'horreurs à son sujet pour en éprouver la nausée et parce qu'elle constitue une des pires hypocrisies qu'on puisse imaginer.  L'information, hélas!, est abondante.  Elle est coordonnée à l'échelle mondiale par le Follow-Up Committee for the Support of Lebanese Detainees in Israeli Prisons et, de façon plus pointue, par la collaboration entre la section canadienne d'Amnistie internationale et l'Association montréalaise des ex-détenus de Khiam.  Quand, en plus, on lit le volume que le poète acadien Serge Patrice Thibodeau consacre à ce dégradant dossier, le doute n'est plus permis : le centre de détention de Khiam détient des gens qui n'ont jamais été mis en présence d'un juge, il les incarcère pendant des années dans des conditions dégradantes et il les torture dans la plus étanche impunité (La disgrâce de l'humanité - Essai sur la torture, vlb éditeur, 1999).

Car les activités de Khiam sont rendues encore plus nauséabondes par l'hypocrisie dont on les entoure.  Israël n'agit pas directement, mais par mercenaires interposés.  Comme si l'on voulait faire croire que la torture est le fait d'intermédiaires survoltés et dont le commanditaire ne saurait être mis en cause.  Le centre de détention reçoit pourtant ses ordres de l'autorité israélienne et maltraite des gens dont Israël espère briser la résistance ou obtenir des renseignements.  Qui plus est, Israël a poussé le cynisme jusqu'à donner un cadre légal aux séances de torture auxquelles s'adonne le centre de Khiam.  Le mot de torture, bien sûr, est évacué, mais les expressions de pressions physiques modérées et de pressions physiques accrues qu'utilisent les textes officiels ne sauraient masquer la réalité.

On entrevoit les conséquences que peut avoir l'évacuation du Liban Sud par l'armée israélienne.  Privée du soutien d'Israël, comment réagira l'ALS?  Les détenus seront-ils transférés en Israël ? Seront-ils rendus à jamais incapables de témoigner?  Seront-ils discrètement liquidés ou « accidentés » sur des mines antipersonnel?  Le Comité des Nations unies contre la torture aura-t-il enfin la possibilité de ramener les détenus à une vie digne de ce nom?  Brutales et excessives en d'autres contextes, ces questions détonnent à peine à propos de Khiam.

Amnistie internationale a raison de pointer du doigt (Le Monde, 13 mai 2000) un projet de loi émanant du ministère israélien de l'Intérieur et qui permettrait de légaliser (?) la détention de Libanais n'ayant pas été jugés par un tribunal.  Tout comme il faut s'inquiéter des pressions qu'exercent les membres de l'Armée du Liban-Sud (ALS) pour obtenir, avant le départ de leurs protecteurs israéliens, une immunité totale et rétroactive.

Citons Thibodeau : « Étant le seul et unique pays au monde à l'heure actuelle à avoir légalisé de fait la torture, Israël tente de justifier son usage en prétextant qu'elle “ peut être nécessaire pour sauver d'une bombe à retardement toutes les personnes présentes en un lieu ”.  Cet argument est d'une absurdité et d'un cynisme outrageants lorsqu'on sait que les bourreaux des Services israéliens de sécurité intérieure, le Shin Bet, prennent congé pendant les fins de semaine, même si une bombe risque d'exploser ici ou là. »  Pour ma part, quelque puisse être la rentabilité de la torture, je ne connais pas de façon acceptable de recourir à pareille stratégie.

Le fait que le premier ministre Ehoud Barak ait annoncé d'avance le retrait de l'armée israélienne hors du Liban Sud interdit à son pays d'invoquer tout à l'heure l'urgence et l'improvisation pour excuser les dérapages.  Autant il est heureux qu'Israël consente enfin à quitter un territoire qu'elle occupe illégalement, autant il serait immoral que ce départ jette dans l'oubli et dans la mort les Libanais détenus et torturés pendant des années par volonté israélienne.


P.S. Je remercie ceux et celles, attentifs et cultivés, qui ont signalé que je faisais dire à Mark Twain ce qu'avait dit Oscar Wilde.  Je compenserai prochainement en imputant à Wilde tel bon mot de Twain.



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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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