Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 15 mai 2000
Pourquoi une régie qui ne régit rien?

On attribue à Mark Twain, je pense, ce jugement sévère sur la société américaine : « ...la seule société qui soit passée de l'anarchie à la décadence sans connaître la civilisation. »  Juste ou pas, ce verdict conviendrait, à peine parodié, à la Régie de l'énergie du Québec.  En effet, cette Régie aura parcouru en un éclair le chemin qui mène du néant à l'insignifiance sans jamais se hisser à l'utilité.  En bonne partie à cause d'Hydro-Québec.

Presque depuis son accession aux ligues majeures, Hydro-Québec constitue un État dans l'État.  Devenue, par la nationalisation de l'électricité de 1962, la grande responsable de la production et de la distribution de ce type d'énergie dans l'immensité québécoise et même exportatrice de ce bien, Hydro-Québec se complaît depuis lors dans des comportements analogues à ceux des plus arrogantes entreprises privées.  Elle signera derrière des portes capitonnées des contrats secrets avec des alumineries et d'autres monstres énergivores et alléguera qu'il serait suicidaire d'en révéler la teneur au grand public.  Elle affirmera devant le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement qu'il est impossible de recourir à un tunnel sous-fluvial pour franchir le Saint-Laurent, alors même qu'on a en dossier la démonstration chiffrée du contraire.  L'erreur ou le mensonge ne saurait faire de doute, puisque le tunnel sous-fluvial existe maintenant.  Toujours sûre d'elle-même, Hydro-Québec prendra d'ailleurs prétexte de la terrible tempête de verglas qui a dévasté son réseau en 1999 pour envahir des terres agricoles sans la moindre autorisation.  Et si, d'aventure, un groupe de citoyens parvient à obtenir du pouvoir judiciaire un rappel à l'ordre dirigé vers Hydro-Québec, celle-ci s'entêtera à tergiverser, à esquiver, à finasser et à garder le cap.  Le gouvernement québécois pactisera d'ailleurs avec Hydro-Québec pour l'aider à contourner sa propre législation. Par législation rétroactive si nécessaire.

La question n'est pas de savoir si Hydro-Québec a fait de grandes choses, car cela relève de l'évidence.  L'objectif, depuis longtemps, est d'obtenir d'Hydro-Québec le comportement civilisé exigible d'un service de première nécessité et, qui plus est, d'un service appartenant à l'État.  Cela implique transparence, déférence à l'égard de l'actionnaire qui est, en dernier ressort, le citoyen, respect exemplaire des lois, justification convaincante des choix stratégiques et, assurément, de la tarification.  Sur à peu près tous ces fronts, Hydro-Québec prête flanc à la critique.

Si Hydro-Québec a pu s'en tirer si longtemps, c'est en raison du lien privilégié qu'elle a établi et entretenu avec le chef de l'État québécois.  Cela débuta avec René Lévesque, qui tirait une fierté personnelle des grands barrages hydro-québécois, mais cela fut aussi vérifiable sous Robert Bourassa et le demeure sous Lucien Bouchard.  On peut comprendre pourquoi.  En plus de constituer sur la scène internationale un symbole éloquent du savoir-faire québécois, Hydro-Québec possède, avantage majeur aux yeux d'un premier mnistre et d'un ministre des Finances, un authentique pouvoir de taxation.  Hydro-Québec, en effet, peut, par une simple hausse de ses taux, engranger quelques centaines de millions de plus et alléger d'autant les besoins de financement du gouvernement.  Lever des impôts sans qu'on puisse blâmer le gouvernement, n'est-ce pas le rêve de tout premier ministre?  Hydro-Québec?  Intouchable.

Avec le temps, une certitude émergea quand même : jamais Hydro-Québec ne se plierait aux règles de la transparence si on ne la soumettait pas aux auditions d'un tribunal administratif ou, si l'on préfère, d'une régie.  Cela, d'ailleurs, s'est pratiqué couramment en Amérique du Nord, même dans le cas de mastodontes comme la Consolidated Edison.  Les investisseurs américains auraient même préféré, dit-on, voir le Québec adopter un mode de contrôle apparenté aux méthodes des USA.  Le gouvernement québécois réfléchit à la question vers la fin du règne de Robert Bourassa et consentit enfin à agir lorsque le Parti québécois revint au pouvoir.  La Régie de l'énergie vit alors le jour.  On allait voir ce qu'on allait voir.

C'était sous-estimer gravement Hydro-Québec.  Elle se dépêcha, avant que la nouvelle Régie soit en état de marche, d'obtenir du gouvernement un accroissement notable de sa liberté d'action.  Elle n'allait pas attendre le feu vert d'une quelconque Régie avant de décider de ses activités outre-frontières ou de ses ententes avec des producteurs amércains.  Il s'agissait, disait-elle, d'envahir de manière payante l'énorme marché américain.  Quant elle commença à balbutier, la Régie de l'énergie se trouva devant le fait accompli. Hydro-Québec s'était substituée à elle pour établir sa politique d'exportation.

Il semble maintenant que le gouvernement québécois s'apprête à octroyer à Hydro-Québec un autre passe-droit : la tarification non plus ne serait pas soumise à la Régie de l'énergie.  Si cela s'avère, la Régie de l'énergie aura tout son temps pour s'occuper des aurores boréales ou des mouches à feu.  Le Québec, en effet, a si peu de ressources pétrolières ou gazières qu'on ne voit pas à quoi pourrait servir ici une Régie de l'énergie qui n'aurait aucune emprise sur l'hydro-électricité.

Est-ce encore Mark Twain qui disait : « Only the unreadable occurs »?


Régie de l'énergie
Hydro-Québec

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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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