ACCUEIL | ARCHIVES | RECHERCHE S'ABONNER | NOUS ÉCRIRE
Page daccueil Les Chroniques de Cybérie
Le mardi 19 février 2002

Salutations à tous les Cybériens et Cybériennes!

Cette Chronique n'est optimisée ni pour Netscape, ni pour Internet Explorer, elle l'est pour ses lecteurs et lectrices.

Cette semaine...

  Le New York Times trafique ses archives en ligne...
On comprend mal, mais on se résigne, à ce que la presse traditionnelle n'estime pas autant que le public que les publications en ligne soient crédibles (notre chronique du 5 février 2002).  Mais que penser lorsqu'un journal comme le New York Times trafique volontairement ses archives en ligne pour supprimer un article compromettant pour les autorités, et le remplacer par un article plus complaisant?

Le 9 septembre 2001, le journaliste du New York Times, John F. Burns, signait un article portant sur une bande vidéo qui circulait depuis le mois de juin dans les cercles islamistes à travers le monde.  D'une durée de deux heures, on voyait sur cette bande vidéo un Oussama ben Laden confiant déclarer que son intention était de tuer un grand nombre d'Étasuniens et de Juifs, vanter le courage du commando suicide qui avait perpétré l'attaque contre le cuirassé Cole à Aden en octobre 2000, et promettre que d'autres attaques auraient lieu.

Dans les heures qui ont suivi l'attaque du WTC, le 11 septembre, le New York Times a retiré l'article original de Burns et l'a remplacé par un second texte, en date du 12 septembre, moins critique des responsables de sécurité et davantage axé sur la question palestinienne comme motif de l'attaque. 

C'est le site Democrats.Com, un site d'information politique à l'intention des électeurs inscrits, militants et candidats du Parti démocrate, qui a découvert le subterfuge.  Democrats.Com est une entreprise fondée par deux spécialistes : David Lytel, principal artisan du premier site Web de la Maison Blanche (sous l'administration Clinton), détenteur d'un doctorat de l'université Cornell en communication politique et dont la thèse portait sur la communication politique et les médias interactifs; Bob Fertik, fondateur de la société I-Progress (consultation auprès des organismes sans but lucratif sur l'utilisation d'Internet), co-fondateur des services en ligne Women Leaders Online, Women's Voting Guide, et Political Woman Hotline.

Ce qui inquiète dans l'artifice du New York Times est le caractère délibéré de la substitution de l'article.  L'adresse de l'article original (nytimes.com/2001/09/09/international/asia/09OSAM.html) redirige automatiquement le lecteur vers l'adresse du deuxième article (nytimes.com/2001/09/12/international/12OSAM.html) sans qu'il en soit fait mention.  L'URL passe du 09/09 au 09/12 de manière «transparente».  De plus, l'article original ne figure plus dans les archives en ligne du journal.  On constate également le changement de titre :  «On Videotape, Bin Laden Charts a Violent Future» pour le premier article, «America the Vulnerable Meets a Ruthless Enemy» pour le second, et la lecture comparative révèle un tout autre ton d'écriture.

Pour ceux et celles que l'exercice intéresse, Democrats.Com publie l'article original de John F. Burns, et évidemment la seconde version figure toujours sur le site (et dans les archives revues et corrigées) du New York Times (inscription requise, sans frais).  La «compagnie» lave-t-elle moins blanc qu'auparavant? C'est ce qu'on peut en déduire en consultant le site Intellnet.Org (consacré au renseignement stratégique, et qui dispose d'une entente de reprise de contenu avec le NYT) sur lequel l'article du 9 septembre figure toujours en version originale.

Cette affaire soulève plusieurs questions.  D'une part, un des canons de la presse étasunienne est pris en flagrant délit de manipulation d'archives.  Combien de fois, dans le passé, a-t-on eu recours à de telles pratiques? D'autre part, pour quels motifs a-t-on substitué un article par un autre, pourquoi a-t-on supprimé certains noms et événements des références? Troisième élément : n'eut été de la vigilance de certains groupes face aux médias traditionnels, et qui s'exerce en grande partie sur Internet, aurait-on eu connaissance de cette manipulation d'archives?

S'il y a concurrence pour la confiance du public entre médias en ligne et médias traditionnels, ces derniers n'ont certainement pas marqué de point avec cette récente affaire.

Haut de la page

  Et saviez-vous que...
Mis à part les ébats sportifs au pays des Mormons, il se passe un tas de choses que certains grands médias oublient de souligner ces jours-ci? Parfois drôles, parfois tragiques, un bref tour d'horizon :

Des avions cargo C-130 ont largué sur certaines régions du sud de l'Afghanistan des enveloppes blanches arborant la photographie de George Dubya Bush, et contenant chacune deux billets de 100 $.  Le vent soufflait cependant assez fort lors d'un de ces bombardements sympathiques et un certain nombre d'enveloppes ont dérivé de l'autre côté de la frontière dans la région pakistanaise de Chaman.  On rapporte une certaine excitation des populations locales à l'arrivée de cette manne.  Source : Reuters, repris dans le India Times.

Mardi dernier, 12 février, l'Attorney General des États-Unis, John Ashcroft, y allait d'une de ses périodiques alertes à l'«attaque imminente», la quatrième depuis les événements du 11 septembre.  Cette fois, la menace venait, selon le FBI, d'un citoyen yéménite, Fawaz Yahya al-Rabeei qui, accompagné d'un commando de fidèles, préparait une attaque aux États-Unis ou contre des cibles étasuniennes au Yémen devant être déclenchée le 12 février ou dans les jours qui suivaient.  Branle-bas de combat aux États-Unis, surveillance accrue autour du Grand lac salé, etc.  Un seul problème : personne n'a cru bon de prévenir l'ambassade des États-Unis à Sanaa (Yémen).  On impute l'omission au FBI qui a négligé d'avertir le Département d'État, responsable des missions diplomatiques, et dont les bureaux sont situés dans un quartier de Washington appelé Foggy Bottom (fond brumeux).  Source : United Press International.

Les troupes du général Abdul Rashid Dostum, vice-ministre de la Défense dans le cabinet provisoire du premier ministre afghan Hamid Karzai, se livrent à des exactions à grande échelle dans la province nordique du Balkh depuis la chute des taliban.  Viols en série, pillages, extorsions, rançonnements sont monnaie courante.  Les membres de la soi-disant force internationale n'interviennent pas, prétextant qu'il s'agit d'affaires internes; les responsables d'agences humanitaires ne dénoncent pas, par crainte de représailles; la nouvelle force de police du gouvernement Karzai laisse faire, faute de moyens.  Source : San Francisco Chronicle.

Prostitution et esclavage sexuel sont en hausse chez «notre nouvel allié» pakistanais.  La situation a toujours existé, mais elle semble prendre de l'ampleur avec l'afflux de réfugiés afghans qui tentent de fuir le régime des seigneurs de guerre.  Les jeunes filles, à peine pubères, sont achetées à la frontière pour 80 ou 100 dollars; on promet aux parents de trouver un travail à ces jeunes filles qui sont ensuite revendues aux enchères pour 2 000 ou 3 000 dollars à des proxénètes ou riches hommes d'affaires.  Le sort des garçons est différent : ils sont vendus à des scheiks des Émirats Arabes Unis pour servir de jockeys aux chameaux.  Reportage troublant.  Source : Boston Phoenix.

Haut de la page

  Enron et la mémoire vive
Non, il ne sera pas question de la mémoire de certains dirigeants de la société Enron qui, sous le feu des questions des parlementaires enquêteurs étasuniens, semble flancher.  Il s'agit plutôt d'un projet qu'entretenait la société Enron et qui aurait eu une incidence sur la fluctuation des prix de la mémoire vive des ordinateurs et divers appareils électroniques au cours de la dernière année.

On sait que Enron agissait comme courtier en ressources énergétiques et naturelles.  Ce dont on entend moins parler, c'est l'émergence de «nouvelles» ressources liées étroitement à l'industrie et à l'économie du savoir, et aux transactions qui ont cours sur les marchés internationaux.  Une foule de produits et services s'échangent, se troquent, s'achètent sur contrat à terme, tout comme l'acier, le blé ou les quartiers de porc.  Par exemple, on sait que Enron avait des vues sur le courtage de ces nouvelles ressources, comme le stockage de données et la bande passante (notre chronique du 22 janvier 2002).

On apprend maintenant que Enron envisageait un vaste plan de courtage de la mémoire vive, plan qui a avorté lorsque se sont manifestées ses premières difficultés financières au printemps 2001.  Selon Drew Cullen du journal britannique The Register, Enron a lancé en 2001 un service de gestion de risque des prix de la mémoire vive de type DRAM (dynamic random access memory) par l'entremise de sa filiale Global Semiconductor Services Group.  Enron proposait d'agir comme intermédiaire entre producteurs et acheteurs de semi-conducteurs, un rôle qui lui permettait d'assurer une stabilisation des prix, un maintien des marges de profits, une diminution des inventaires et des besoins en capital d'exploitation.

Il existe un marché libre au comptant (spot) pour la mémoire vive sur lequel, tout comme on transige le pétrole à Amsterdam, on vend et on achète de la mémoire vive.  Précisons que peu de fabricants d'ordinateurs produisent eux-mêmes la mémoire vive qu'ils intègrent dans leurs produits, préférant acheter les unités de mémoire des fabricants de semi-conducteurs.  Les fluctuations de prix réagissent, comme pour les autres marchandises, à l'offre et à la demande (voir le site DRAMExchange).  On prévoit le ralentissement des ventes d'ordinateurs? Les prix chutent.  On anticipe une surcapacité de production? Même effet.  Le nouveau Windows XP nécessite plus de mémoire vive? Les prix montent.  Taïwan est secouée par un séisme? Les prix s'en ressentent (voir notre chronique du 28 septembre 1999).

Or, selon la banque d'investissement Fechtor Detwiler de Boston, tous les fabricants de DRAM ont confirmé avoir été en pourparlers avec Enron, mais tous nient avoir conclu des ententes.  En revanche, les dirigeants de Enron se vantaient d'avoir passé des marchés avec Samsung et d'autre fabricants de DRAM.  Côté acheteurs, dans un document de recherche cité par The Register, Fechtor Detwiler affirme : «On nous a dit qu'un employé de Enron avait déclaré qu'ils [Ndlr. Enron] avaient déjà fait des propositions aux acheteurs de DRAM Dell et Compaq et signé des ententes.  Nous [Ndlr. Fechtor Detwiler] croyons que des contrats d'échange à terme (financial swaps) au prix de 4 $ (8X16M, donc 32 $) par unité de 128Mo PC133 ont été suggérés ou conclus.»

Il semble cependant que le dossier avait progressé plus rapidement du côté des fabricants que des acheteurs de DRAM, car ces derniers se sont retrouvés les mains vides lors de l'implosion d'Enron.  Voulant se constituer ce que Fechtor Detwiler appelle un «inventaire défensif», ils ont alors submergé le marché libre de commandes.  Mais comme les fabricants connaissaient le «seuil de tolérance» des acheteurs, soit le prix limite qu'ils étaient disposés à payer, et conjugué à l'effet de demande soudaine, les prix ont grimpé et les hausses ont été refilées aux consommateurs.

Le marché s'est depuis stabilisé.  Le marché des ordinateurs est «mou», mais la production passe à des unités plus performantes, ce qui devrait maintenir le prix étalon de l'unité de 128Mo PC133 autour de 4 $, alors qu'il avait atteint 5,30 $ en mars, et plongé à 1 $ en novembre dernier, ce qui, souligne The Register, est quand même le tiers du prix d'il y a deux ans.

Haut de la page

  Utilisation accrue des signets
Nous vous parlions la semaine dernière des données fournies par l'indicateur NetBooster/Weborama selon lesquelles 21,5 % de la consultation des sites Web français serait attribuable à la consultation des moteurs de recherche, 25,7 % aux liens et bannières sur des sites, et 52,8 % aux signets mis en mémoire par l'utilisateur ou aux adresses saisies directement.

Ces données, qui mettent en lumière l'importance des signets pour l'achalandage des sites Web, sont confirmées par la division StatMarket de la société de recherche WebSideStory.  Dans un récent rapport, StatMarket estime à 51,7 % le taux de fréquentation des sites Web attribuable à l'utilisation des signets, ces adresses mises en mémoire dans le logiciel de consultation du Web (Netscape, Explorer, Opera, etc.).  Il y a douze mois, on estimait ce pourcentage à 46 %.  Aux États-Unis, le taux atteint 58 % (50 % il y a un an), en Allemagne 63 % (54 % il y a un an), et au Japon 71 % (60 % il y a un an).

Geoff Johnston, v.-p.  au marketing de StatMarket, en conclut que la valorisation de marque et la notoriété (branding) commencent à s'établir sur le Web, et que la consultation devient moins aléatoire et plus orientée vers des sites connus et reconnus des utilisateurs.

Soumettons une autre explication qui n'invalide nullement la première, soit une plus grande maîtrise par les utilisateurs des outils et applications d'Internet.  À mesure qu'une proportion plus importante d'utilisateurs franchissent l'étape intermédiaire (entre novice et expert), ils s'approprient davantage la technologie et en exploitent les diverses fonctionnalités, comme la constitution de signets ou favoris.

Il y a deux ans, dans le cadre de la dixième enquête du Graphic, Visualization & Usability Center's (GVU) du Georgia Institute of Technology, les chercheurs établissaient que seulement 12 % des répondants disaient avoir changé la page de départ du fureteur qu'ils ou elles utilisaient (notre chronique du 7 février 1999).  Dès le lancement de l'application, ils aboutissaient donc automatiquement, qui chez Netscape, qui chez Microsoft, selon le logiciel utilisé, ou encore sur le portail de leur fournisseur d'accès.

Ces paramètres implicites du logiciel, réglés par les fabricants ou les fournisseurs, faussaient grandement les statistiques de fréquentation des sites cibles, et les faussent manifestement toujours, en plus de cantonner l'utilisateur dans des choix pré-déterminés.  Mais les statistiques le prouvent, de plus en plus d'utilisateurs ne rebutent pas à «ouvrir le capot» et à modifier les paramètres pré-réglés, à se constituer des listes de signets, et à faire de cette page de signets personnels leur page de départ.  Quel que soit le logiciel utilisé, les utilisateurs ont donc grand intérêt à consulter le mode d'emploi et le fichier d'aide concernant la gestion des signets et favoris.

Haut de la page

  L'enronite, et les sites Web des politiciens Texans
En marge des enquêtes publiques déclenchées sur les activités financières de la société Enron, une escarmouche Web est en train de prendre de l'ampleur.  Elle a pour origine un site Web monté par des stratèges du Parti démocrate du Texas qui exige des politiciens du Parti républicain au pouvoir dans cet État qu'ils rendent les contributions versées par Enron à leurs caisses électorales.

Le site Web, enronownsthegop.com (le GOP appartient à Enron Ndlr. : GOP, «Grand Old Party», surnom du Parti républicain) est un habile pastiche du site Web officiel du Parti, texasgop.org.  Sauf qu'on y trouve le logo de Enron qui remplace le «E» du mot «Republican», le même logo en dossard de l'éléphant symbole du parti et superposé sur une carte du Texas, une revue de presse sur l'affaire Enron, et les photos de politiciens texans ayant bénéficié des largesses de la société Enron et de son président Ken Lay.  Les auteurs du site Web exigent que les politiciens républicains du Texas imitent nombre d'autres politiciens qui ont retourné à Enron les contributions reçues.

Mais le Parti républicain du Texas (PRT) menace les responsables du site de poursuites.  Dans une mise en demeure signifiée le 12 février, le cabinet de Loeffler Jonas & Tuggey, au nom du PRT, exige le retrait immédiat des logos et des symboles trafiqués du parti, à défaut de quoi il devra suggérer au PRT d'entamer des procédures pour appropriation et dilution de marques de commerce.  Les auteurs du site pastiche refusent catégoriquement de le modifier.

Le débat est donc engagé.  D'une part, aux États-Unis, la loi régissant l'utilisation des marques de commerce comporte des dispositions d'exception pour l'utilisation parodique.  De plus, les auteurs du site pastiche font valoir leur droit à la libre expression garantie en vertu du Premier amendement de la Constitution.  En revanche, le PRT fait valoir que le site pastiche est de nature à semer la confusion chez les électeurs.

Mike Goodwin, juriste au Center for Democracy and Technology, a déclaré au service de nouvelles Newsbytes être sceptique sur les chances du PRT d'avoir gain de cause devant les tribunaux : «Dans ce cas-ci, comme le nom du site est lui-même une parodie, il serait difficile d'imaginer que quiconque un tant soit peu raisonnable pense que le site Web représente de quelque manière le Parti républicain.  Tout le monde comprend que l'intérêt que protège une marque de commerce est un intérêt commercial, et on ne peut certainement pas utiliser la loi pour faire taire la critique.»

C'est une année d'élections au Texas et les électeurs doivent choisir, entre autres, un gouverneur, un sénateur, 32 membres de la Chambre des représentants (voir la liste complète des postes à pourvoir).  Comme George Dubya Bush est natif du Texas, et en a été gouverneur républicain de 1995 à 2000, le Parti démocrate entend faire une chaude lutte dans cet état symbole pour l'administration Bush, et le site Web enronownsthegop.com fait manifestement partie de l'arsenal de guerre.

État fascinant que le Texas dont la devise est «Amitié» (du nom autochtone de l'État), et le symbole aviaire est l'oiseau moqueur.  Entre puits de pétrole et grillades de boeuf, la politique texane a toujours été source de fascination pour les observateurs.  Le cycle électoral 2002 ne fait pas exception : un des candidats démocrates au poste de gouverneur est un avocat de Houston du nom de...  John WorldPeace.

Haut de la page

  25 millions de caméras de surveillance, et la perspective canadienne
Il y a parfois des chiffres qui étonnent et détonnent : il y a 25 millions de caméras de surveillance vidéo en opération dans le monde et, à cause des événements que l'on connaît, leur nombre est appelé à augmenter sensiblement.  La Grande-Bretagne en compte à elle seule 2,5 millions; on estime que le citoyen ordinaire qui se ballade à Londres est photographié 300 fois par jour.  Un récent reportage de la BBC laisse entrevoir une perspective inquiétante : le maillage des réseaux de surveillance vidéo permettant de suivre à la trace une cible humaine dans tous ses mouvements, maillage rendu possible par l'utilisation de caméras numériques.

Selon le Los Angeles Times, il y en aurait deux millions aux États-Unis.  On se souviendra de l'expérience du «SnooperBowl» à Tampa et de l'échec monumental (sur le plan des résultats) de l'implantation du système dans un centre commercial (notre chronique du 8 janvier 2002).  Le 24 décembre dernier, un groupe militant avait organisé la journée mondiale de la «sousveillance»; on invitait les citoyens à photographier les caméras de surveillance, question d'énerver un peu et sans autre prétention ceux qui scrutent leurs agissements.

À Washington, à l'occasion de la plus récente alerte terroriste, on a activé un réseau de caméras de surveillance déjà en place, et on songe à augmenter considérablement leur nombre et à mettre sur pied une centrale de la surveillance vidéo.  De plus, selon le Washington Post, les images captées par ces caméras seront accessibles depuis le millier d'auto-patrouilles des policiers municipaux. 

Au Canada, un cas retient l'attention, soit celui du projet du service de police de la ville de Vancouver (Colombie-Britannique) qui veut installer 23 caméras de surveillance vidéo dans le quartier Eastside du centre-ville, ainsi que dans les quartiers de Strathcona, Gastown et dans le Chinatown (descriptif du projet, format PDF).  L'objectif mis de l'avant par le service de police dans sa présentation du projet est de réduire la criminalité dans ces secteurs.

Les auteurs du rapport évoquent l'expérience britannique, mais hésitent à suggérer l'application tel quel du modèle de surveillance omniprésente.  Ils lui reconnaissent toutefois une certaine valeur : «il existe des centres urbains au Royaume-Uni où les systèmes de surveillance vidéo semblent justifiés, ont eu une incidence sur le taux de criminalité, ont contribué à une perception accrue de sécurité pour les citoyens, et ont servi les objectifs de revitalisation de ces secteurs.»

Il y a environ deux semaines, l'Association du Barreau canadien, Division de la Colombie-Britannique, invitait George Radwanski, Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, à s'adresser à ses membres.  Le thème retenu, on l'aura compris, était celui du projet de réseau de caméras de surveillance pour certains quartiers de Vancouver.

Dans son allocution, M.  Radwanski a été très clair : «Je veux persuader la population de Vancouver de bien penser deux fois, et avec le plus grand soin, à cette proposition de votre service de police - et de considérer que la solution, ce n'est pas de troquer un droit fondamental de la personne, comme le droit à la vie privée, pour une sécurité illusoire [...] Les caméras que vous envisagez d'installer ici à Vancouver - et celles qui suivront dans toutes les autres villes qui vous imiteront si vous allez de l'avant avec ce projet - sont à double tranchant, et elles changeront irrévocablement toute notre conception de nos droits et libertés.»

Le Commissaire a rappelé qu'au cours des derniers mois, il a eu à se prononcer sur certaines dispositions du train de mesures adopté par le gouvernement pour lutter contre le terrorisme : «j'ai déclaré publiquement que la vie privée n'est pas un droit absolu.  Il peut certes y avoir des circonstances où il est légitime et nécessaire de sacrifier certains éléments de la vie privée aux intérêts de précautions indispensables pour la sécurité.  Mais j'ai aussi dit que le fardeau de la preuve doit toujours incomber à ceux qui affirment que ce sacrifice est nécessaire.»

La Cour suprême du Canada a maintes fois statué que la notion de vie privée est au cœur de celle de la liberté dans un État moderne, ce à quoi le Commissaire ajoute que c'est plus qu'un droit, c'est aussi un besoin inné de la personne : «Et si la vie privée est la question déterminante de la décennie, je crois que la surveillance vidéo est l'enjeu déterminant dans cette question plus vaste.»

De la physique au psychologique, M.  Radwanski a ratissé très large dans son exposé : «C'est bien connu.  À la fin des années 20, Werner Heisenberg a démontré qu'il est impossible d'observer des particules subatomiques sans en modifier le comportement.  Depuis ce temps, les spécialistes de la physique et des comportements utilisent le terme “effet Heisenberg” pour décrire ce qu'ils savent tous, que le fait d'être observé a des effets réels.  L'impact psychologique qu'amène le sentiment d'être sous observation constante, le genre de situation que nous aurons si nous laissons proliférer les caméras de surveillance, est énorme, incalculable.»

Jamais à court d'arguments, M.  Radwanski a signalé que les taux de criminalité à Vancouver sont en baisse, et le sont depuis des années.  En 1991, il y avait 202 crimes pour 1 000 habitants, et en 2000, 138; rien n'indique qu'il y a une quelconque nouvelle vague de criminalité justifiant l'urgence et la nécessité d'invoquer la solution des caméras de surveillance vidéo.

Et sur l'efficacité des systèmes : «Le Royaume-Uni a plus de caméras de surveillance que n'importe quelle autre société dans le monde, plus de deux millions, et le nombre ne cesse de croître chaque année.  Et les faits parlent d'eux-mêmes.  À Glasgow, on a évalué le système de surveillance un an après son installation.  À première vue, il semblait bien que le taux de criminalité avait régressé.  Mais un examen plus serré des statistiques a révélé que la criminalité avait plutôt progressé de 9 %.  Londres a environ 150 000 caméras de surveillance vidéo.  L'an dernier, elle avait plus de caméras que jamais auparavant.  Et devinez quoi? L'an dernier, la criminalité de rue à Londres a augmenté de 40 %.»

Et de conclure : «Montrez que vous pensez que notre pays, notre société, valent la peine d'être préservés, et soyez prêt à défendre votre vie privée.» Une allocution importante du Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, un texte qui fera figure de référence au cours des nombreux débats à venir sur la question de la surveillance.

Haut de la page

  «Ne tirez pas, je suis Canadien!» dit-il à la blogue
Blogues, blogues, blogues.  Décidément, la formule se répand et nombreux sont ceux qui décident de se lancer.  Comme ce préposé à la sécurité aux Jeux de Salt Lake City qui nous livre quotidiennement certaines anecdotes sur son blogue b-may.  La meilleure citation à ce jour, selon lui : un patineur canadien s'approchait des escaliers menant à la patinoire, et il s'est fait dire que l'accès, était interdit.  Et de répondre le patineur : «Eh.  Je ne suis pas une menace à la sécurité, je suis Canadien!» (Merci à Emmanuelle Richard pour ce clin d'oeil)

Préposé à la sécurité aux Jeux de Salt Lake City, chroniqueur de grand quotidien, journaliste aspirant souhaitant attirer l'attention, les blogues, ces journaux personnels sur le Web se multiplient.  Selon Evan Williams, créateur de l'outil de mise en ligne Blogger, dans le seul mois de janvier, 41 000 personnes ont créé un blogue grâce à Blogger, ce qui porte à plus d'un demi-million le nombre de blogueurs sous cette plate-forme. 

Farhad Manjoo du service de nouvelles Wired signe un article (un autre) sur le phénomène des blogues et estime que, de tendance quelque peu «underground», ils sont devenus un objet d'attention pour la grande presse traditionnelle (heureusement qu'on n'a pas attendu leur verdict, voir notre chronique du 17 octobre 2000).  On les critique, on les trouve vains et inutiles, souvent dégoulinants de l'égo démesuré de leurs auteurs, mais, bon.  Manjoo cite des observateurs qui évoquent, pour décrire l'univers des blogues, le principe mis de l'avant par l'auteur de science-fiction Theodore Sturgeon : «Bien sûr, 90 % de la science-fiction est minable.  C'est parce que 90 % de n'importe quoi est minable.» C'est vrai qu'on trouve un peu de tout dans les blogues, mais soulignons par exemple le très léché aaronland et l'impertinente Tribu du verbe (rare exemple de blogue québécois sur l'actualité).  Remercions Matthieu Pommier pour son répertoire de blogues français et francophones.

Quant aux journalistes blogueurs, assez rares chez les francophones, nous consultons souvent ceux dont nous avons établis ici une liste qui sera bonifiée au gré des disponibilités.

Haut de la page

  Surligné...
Dans Libération, sur une thèse portant sur le webcams : «le jeune docteur en sciences et sciences de l'art, Nicolas Thély, n'est pas un simple mateur de filles à poil sur l'Internet.  Grâce à sa thèse, soutenue en janvier à la Sorbonne, les webcams personnelles, de phénomène à résonance un rien glauque, pour cause d'exhibitionnisme, de voyeurisme, d'exposition de soi malsaine, voire de caméras de surveillance, sont devenues un objet d'études.  Où on s'interroge sur l'engouement pour les webcams, à la fois du côté qui regarde, et du côté qui donne à voir, alors qu'elles diffusent de l'ennui, du vide, du rien.  Avec une précision d'entomologiste, le thésard (mentions maximales à Paris-I) a observé pendant deux ans bon nombre de webcams, et partant a observé l'observateur, lui-même, en train d'observer.»

Dans Transfert, sur une thèse du sociologue Olivier Blondeau portant sur l'expression citoyenne : «Quelles raisons poussent certains internautes à prendre la parole sans recourir aux formes de médiations traditionnelles? Une idée a émergé ces dernières années.  Celle de vouloir maîtriser sa parole de bout en bout.  Du moment où elle est émise jusqu'au moment où elle est reçue.  Les mouvements étudiants de 1986 montraient déjà une vraie volonté de maîtriser une action revendicatrice sans une représentation syndicale qui la pilote.  Plus anciennement, cette volonté a été l'une des composantes de l'histoire du mouvement ouvrier, mais elle a été étouffée par les grandes centrales syndicales.  Les citoyens ont l'impression que les politiques ne sont pas à leur écoute et notamment les forces qui traditionnellement relayaient les mouvements sociaux.» (Aussi publié dans Transfert magazine numéro 21, février 2002).

Haut de la page

  En bref : les bons en Mac, les vilains en PC; un spammeur mis à l'amende; publication de sondages sur la présidentielle en France
Au chapitre des nouvelles amusantes, cette semaine, la théorie de Dean Browell, un fanatique des ordinateurs Mac, qui nous est rapportée par le service de nouvelles Wired.  Selon Browell, les personnages des émissions de télévision se classent en deux catégories : les bons qui utilisent des Mac, et les vilains qui roulent sous Windows.  Il prend pour exemple l'émission «24», diffusée à la chaîne Fox, qui décrit les aventures d'un agent anti-terroriste et de son équipe : ils ont tous des ordinateurs Mac, et les méchants terroristes se débrouillent en Windows.  Arrive le personnage d'une agent de la CIA, Jamey Farrell, qui utilise un PC Dell.  La théorie était-elle invalidée? Que non, car quelques épisodes plus tard, l'intrigante Farrell se révélait être une infiltatrice terroriste.  Browell a écrit aux producteurs de l'émission pour leur faire part de sa découverte.  Note de passage pour Browell, selon eux, mais une autre association lui aurait échappé : les bons gars utilisent des cellulaires Ericsson, et les méchants de vulgaires Nokia. 

Le juge Jean-Jacques Gomez du Tribunal de grande instance de Paris (affaire Yahoo!) a condamné un utilisateur français à payer 1 254 euros (1 730 $ CAN) à ses fournisseurs d'accès pour avoir pratiqué à grande échelle l'envoi de pourriels (spam) par courrier électronique.  C'est l'intimé qui avait d'abord poursuivi les fournisseurs d'accès, ceux-ci ayant constaté ses activités de spamming, et exigeait des dommages et intérêts pour suspension unilatérale de services.  Le juge a estimé que le spammeur avait «perturbé gravement les équilibres du réseau, provoquant de nombreuses réactions de la part d'internautes mécontents dont les messageries étaient surchargées et qui devaient alors supprimer les messages non sollicités en supportant le coût et les désagréments de cette mise à jour.» Détails chez ZDNet France.

La France ira bientôt aux urnes pour se choisir un président, premier tour le 21 avril, second tour le 5 mai (voir le dossier Yahoo!).  On apprend sur Legalis.Net l'adoption d'un projet de loi qui réduit de sept à deux jours avant un scrutin la période d'interdiction de publier, de diffuser et de commenter les sondages d'opinion : «Si le texte prohibe la diffusion des sondages le jour et la veille du scrutin, il n'impose pas aux éditeurs de retirer de la vente les publications qui en faisaient état les jours précédents.  Il ne contraint pas davantage les responsables de sites Internet à supprimer ces informations de leurs archives accessibles au public.» On se souviendra qu'en 1995 et en 1997, certains médias avaient recours à des serveurs situés hors du territoire français pour livrer les résultats de sondages ultimes juste avant le vote et ainsi échapper à l'interdiction de diffusion.

Haut de la page

Et sur ce, nous vous souhaitons à tous et toutes une excellente semaine.

Site personnel de Jean-Pierre Cloutier

(Mychelle Tremblay a contribué à la recherche.)

Ligne horizontale
ACCUEIL | ARCHIVES | RECHERCHE S'ABONNER | NOUS ÉCRIRE
Ligne horizontale
© Les Éditions Cybérie inc. | Revue de presse | Publicité
URL : http://www.cyberie.qc.ca/chronik/20020219.html