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Page daccueil Les Chroniques de Cybérie
Le mardi 24 juillet 2001

Salutations à tous les Cybériens et Cybériennes!

Cette Chronique n'est optimisée ni pour Netscape, ni pour Internet Explorer, elle l'est pour ses lecteurs et lectrices.

Cette semaine...

  Microsoft : règlement en vue?
Serait-on près d'un règlement hors cour de la poursuite anti-trust contre Microsoft? On sait que le DoJ et les 18 États co-plaignants ont demandé une accélération de la procédure de ré-audition de la cause, et que Microsoft a tenté de ralentir le processus.

Selon le Washington Post et l'agence Reuters, des cadres supérieurs et des procureurs de Microsoft auraient amorcé hier, 23 juillet, une ronde de négociations à Washington avec les procureurs du DoJ et de quatre des États co-plaignants.  Aussi présent, Philip S. Beck, nouveau procureur en chef de l'Attorney General.  Les porte-parole du DoJ et de Microsoft ont refusé de commenter la teneur des discussions.

Un des éléments-clés serait la période fin-août lorsque Microsoft livrera aux fabricants d'ordinateurs la version XP de Windows pour qu'ils puissent être en mesure de l'offrir en préinstallation sur les nouveaux ordinateurs à compter du 25 octobre.  Microsoft souhaiterait régler le litige avant cette date pour échapper à de nouvelles poursuites concernant l'inclusion de nombreux logiciels propriétaires dans sa version XP du système d'exploitation.

Par ailleurs, le président du comité sénatorial des affaires juridiques, le sénateur Patrick J. Leahy (démocrate, Vermont), a annoncé son intention de tenir cet automne des audiences publiques sur la question de la concurrence en matière d'Internet.

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  Nouvelle flambée d'infections
Décidément, il est grandement recommandé de mettre à jour ses logiciels de protection anti-virus par les temps qui courent.  Entendons par virus tous les codes malfaisants qui se propagent par courrier électronique et qui risquent de porter atteinte à votre système.

Le dernier-né de ces codes se nomme Sircam.  Selon la société Symantec, le message qui s'introduit dans votre boîte aux lettres arrive en anglais ou en espagnol et vous invite à consulter un fichier joint.  Lorsque activé, Sircam s'accapare certains fichiers d'un système et les communique aux personnes dont les adresses figurent dans le carnet du système infecté.  Cette particularité pose un problème de sécurité car, si vous êtes victime de Sircam, un de vos fichiers (choisi au hasard par Sircam) se retrouvera dans le système d'un de vos correspondants.  Il peut aussi scruter l'antémémoire de votre fureteur (cache) et chercher dans les pages Web stockées des adresses de courriel à infecter.

Autre particularité, contrairement à bon nombre de codes semblables qui utilisent le logiciel de messagerie Outlook Express pour se transmettre d'ordinateur à ordinateur, Sircam dispose de son propre petit moteur de courriel pour se propager.

Mais les dommages ne se limitent pas à la brèche de confidentialité.  Symantec estime qu'une fois sur vingt, Sircam efface tous les fichiers et répertoires du disque C, et qu'une fois sur 33, il s'adjoindra à chaque lancement de votre système d'exploitation des fichiers textes jusqu'à ce que votre unité de disque C soit pleine.  Seule consolation, il semble que le code de Sircam contienne des instructions d'auto-destruction le 16 octobre 2001.  D'ici là...

Un autre code malicieux avait été rapporté au National Infrastructure Protection Center de la police fédérale américaine depuis quelques semaines par les exploitants de dorsales du réseau.  Nommé Ida Code Red, le code exploitait une vulnérabilité du Internet Information Server (IIS) de Microsoft pour préparer une attaque concertée contre le site Web de la Maison Blanche devant se déclencher le 20 juillet à 8 heures, HNE (00:00 GMT).  Le code s'insérait dans des serveurs (dont on estime le nombre à 225 000), et sommeillait jusqu'au moment prévu pour l'attaque qui consistait à inonder l'adresse du site de la Maison Blanche de fausse requêtes (attaque de déni de service). 

Les administrateurs des systèmes de la Maison Blanche ont cependant eu le temps de modifier l'adresse du serveur principal et aucune perte de connectivité n'a été rapportée.  Curieusement, après une attaque, ce code retombe en dormance pour une période de dix jours.  La société Microsoft a mis à la disposition des administrateurs de systèmes une rustine pour parer à toute infection du Ida Code Red.

Le code malicieux s'attaquait également à des sites et remplaçait la page d'accueil.  Embarrassant pour Microsoft dont la page des mises à niveau de Windows fut brièvement remplacée par une page blanche portant le message «Welcome to http://www.worm.com.  Hacked by Chinese» comme en témoigne cette saisie d'écran effectuée par la société Safemode.

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  Lecture Web, écriture Web
Nous vous avons déjà parlé des «Entretiens» de Marie Lebert avec des dizaines d'acteurs d'Internet, chercheurs, écrivains, éditeurs, gestionnaires, journalistes, qui livrent leur vision de l'état d'Internet, de son avenir, des enjeux, des technologies périphériques.  Il s'agit d'entretiens fleuves car ils sont réactualisés chaque année par l'auteure pour rafraîchir le propos, l'étayer, le bonifier de manière dynamique, à l'image du réseau.

Marie Lebert nous offre maintenant «Le livre 010101», recueil de témoignages sur le livre en ligne, numérique, électronique et tous ses acteurs (auteurs, concepteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires, documentalistes, journalistes, professeurs, linguistes, chercheurs).  Citons de l'introduction : «Ce livre se base principalement sur des entretiens conduits par courrier électronique auprès de nombreux professionnels ayant des profils très variés.  Les participants (au nombre de 76) n'ont en aucune façon été choisis en fonction de leur notoriété.  Ils ont été choisis en fonction de leur expérience du numérique et de l'intérêt de celle-ci.  Si certains ont de gros moyens financiers et bénéficient de l'appui des médias, d'autres se débrouillent avec conviction et sans moyens dans un anonymat relatif ou total, et il est grand temps de leur donner aussi la parole.  Ce livre s'y emploie.»

Et s'y emploie fort bien.  N'attendez pas un discours uniforme des participants, une homogénéité de points de vue, car de nombreuses perspectives y sont explorées, tant favorables que défavorables au numérique.  Tout aussi dynamique que les Entretiens, le livre est périodiquement actualisé.  Excellentes pistes de réflexion.

Et pour l'écriture.  Écrit-on vraiment différemment lorsqu'on est publié sur le Web? La question est souvent posée aux journalistes et chroniqueurs pur Web; on nous demande parfois de présenter nos points de vue devant des étudiants en journalisme ou en littérature. 

Mais la question s'adresse-t-elle seulement aux personnes évoluant dans les médias? Certes non.  Elle s'adresse également aux scientifiques et chercheurs qui, de plus en plus souvent, utilisent le Web pour diffuser les résultats de leurs travaux ou décrire ceux qui sont en cours.  Elle s'adresse à tout organisme ou entreprise qui a un site Web et qui doit maîtriser ces nouveaux codes d'écriture.  Elle s'adresse aux administrations publiques avec acuité à l'aube de l'État réseau, tout autant qu'aux élus appelés à tisser de nouveaux rapports avec leurs commettants.  Par extension, la question revêt une importance certaine pour quiconque communique par courrier électronique.

Jusqu'à présent, peu de documents ont été écrits sur le sujet (notamment en français), et les diverses théories ou pratiques étaient dispersées aux quatre coins du Web.  La société belge Quentès, qui se spécialise dans l'information en ligne, vient de mettre en ligne un site exceptionnel consacré à l'écriture Web, Rédaction.Be.  Le site, très riche en contenu, vise à étudier, le plus objectivement possible, les spécificités du Web en matière d'écriture. 

Internet est un nouveau canal de communication et d'information, et il serait naïf de croire, pour les auteurs du site, que le traitement de l'information et, a fortiori, l'écriture, n'en subit aucune influence.  Le site se compose de deux grandes parties, le contexte, puis les outils.  Question contexte, il s'agit de comprendre que s'il faut écrire différemment, c'est d'abord et avant tout parce que le lecteur lit différemment.  Viennent s'ajouter au texte l'hypertexte (liens), l'interactivité, le multimédia.  D'intérêt pour les journalistes, une section du site décrit le nouveau rapport au temps et au public, la recherche et la gestion de l'information, et les contraintes (eh oui, il y en a) du format.

Comme nous l'écrivions plus haut, il s'agit d'un site exceptionnel, fort bien présenté, et que toute personne responsable de près ou de loin de la diffusion d'information sur le Web se doit de consulter.  Un must.

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  Le Devoir donne dans le «Net bashing»
Encore une fois on nous a servi des analyses bâclées, mal documentées et teintées d'un esprit technophobe pour parler d'Internet.  Il est question ici du texte de Ricardo Gomez, «Internet : Un formidable moyen de perdre son temps», publié dans les pages imprimées et Web du Devoir ce 19 juillet.

Il serait trop long de reprendre un à un les points défaillants de l'argumentation de M.  Gomez tellement ils sont nombreux.  Cependant, examinons ce qui suit.

M.  Gomez nous dit que, selon le groupe Nielsen Media Research, 18,9 millions d'internautes «états-uniens qui ont accédé à Internet de leur domicile le mardi 2 septembre 1999 sont restés branchés en moyenne 31 minutes et ont visité trois sites.  Le site sur lequel ils ont navigué le plus longtemps (67 minutes) est eBay.com, site où ont lieu des encans en ligne et l'un des exemples les plus réussis de commerce électronique.»

D'abord, il importerait d'appuyer une argumentation sur des données plus récentes, ce qui serait fort aisé car Nielsen Media Research publie des données hebdomadaires sur l'achalandage des principaux sites.  Il serait aussi utile de bien décrire la méthodologie d'analyse de Nielsen qui semble échapper à M.  Gomez et/ou à sa traductrice. Réécrivons ce passage à la lueur des données de la semaine se terminant le 15 juillet 2001, c'est-à-dire que 7 752 508 personnes, soit 10,49 % des utilisateurs actifs cette semaine là, ont consulté le site de eBay pour un moyenne individuelle de 36 min. 42 sec.

M.  Gomez fait suivre d'un commentaire : «Le fait que l'internaute nord-américain moyen consacre le plus gros de son temps à des ventes aux enchères donne raison au philosophe italien Giovanni Sartori, qui a analysé la banalisation du savoir et de la culture par la télévision et qui prétend que la situation est pire dans le cyberespace [...] En bref, pour certains internautes, le cyberespace est surtout un formidable moyen de perdre son temps.»

Quant M.  Gomez écrit que «l'internaute nord-américain moyen consacre le plus gros de son temps à des ventes aux enchères», il induit sérieusement le lecteur en erreur car il ne fait pas mention, chiffres de juillet 2001, des 37 millions d'utilisateurs qui consacrent en moyenne 16 minutes à AOL/TW (divers services en ligne), des 30 millions qui accordent 30 minutes à Yahoo! (recherche, informations, services), des 27 millions qui fréquentent pour 22 minutes un des sites de Microsoft (technique, voyages, actualités), etc.

M.  Gomez oublie aussi de dire que si certains sites monopolisent l'auditoire, et qu'il y a consolidation, les utilisateurs se répandent joyeusement dans l'espace cyber et ne craignent pas d'explorer diverses avenues.  Toujours selon Nielsen, pas moins de 644 sites rejoignent plus d'un million de personnes par mois.  Tous une perte de temps?

Du côté du Pew Internet & American Life Project, un des organismes de recherche les plus respectés en cybermétrie, les arguments de M.  Gomez ne tiennent pas plus.  Selon le Pew, dans une journée typique, les utilisateurs échangent du courriel (49 %), s'informent sur l'actualité (22 %) ou se documentent sur un passe-temps (19 %), consultent les informations météorologiques (17 %), lisent sur des thèmes de politique courante (17 %), font de la recherche liée à leurs activités professionnelles (16 %), etc.

«L'internaute nord-américain moyen» dont M.  Gomez nous dit qu'il consacre le plus gros de son temps à des ventes aux enchères ne représenterait selon les données du Pew que 2 % de l'ensemble des utilisateurs.

À la vue de ces importantes erreurs de faits, il demeure difficile d'accepter que Le Devoir ait affecté une journaliste à la traduction des textes de M.  Gomez (initialement rédigés en anglais pour un organisme public canadien) et accordé place à ces propos dans ses pages.  Imaginons seulement qu'on ait parlé de finances et d'économie, d'environnement ou de santé avec des données aussi fausses.  Si certains prétendent qu'il se dit n'importe quoi sur Internet, reconnaissons aussi qu'il se dit n'importe quoi au sujet d'Internet.  Désolant.

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  Gênes : maigre bilan politique sur fond de violence
C'est dans l'Italie de Silvio Berlusconi (lire une intéressante perspective) que se déroulait à Gênes le sommet du G-8.  Maigre bilan politique (voir le dossier de La Presse), quand on constate que la plupart des décisions sur les grands dossiers ont été reportées à une date ultérieure.  Plutôt liminaire, on peut lire le site Web officiel de la rencontre «Peu de résultats, bien des espoirs.  Au plaisir de se revoir au Canada», allusion à Kananaskis (Alberta) où se tiendra le prochain Sommet du G-8 en juin 2002.

Au nombre des mesures annoncées, les leaders des pays industrialisés ont convenu d'appuyer le plan d'action du Digital Opportunity Task Force (DOTforce, organisme créé par le G-8 en juillet 2000 lors du Sommet de Kyushu-Okinawa) visant à combler le fossé numérique entre pays riches et pays pauvres.  Les travaux du DOTforce sont encadrés par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et la Banque mondiale.

Évidemment, on retiendra surtout du Sommet de Gênes les violences policières à l'endroit des manifestants pacifiques regroupés sous l'ombrelle du Forum Social de Gênes, et l'incident ayant entraîné la mort d'un des manifestants plus violents. 

C'est en partie pour échapper aux grandes manifestations que le prochain Sommet se déroulera à Kananaskis, petite station de villégiature d'une région montagneuse de l'Alberta à environ 100 kilomètres au nord de Calgary.  Le premier ministre Jean Chrétien n'a pourtant pas souligné cet élément lors de l'annonce de la venue du Sommet de 2002, se contentant de dire «nous voulons revenir à la formule d'origine du G8 : une retraite informelle où les participants peuvent se concentrer entièrement sur les défis et les possibilités qui attendent l'économie mondiale.» Moins de participants, aussi, l'ensemble des délégations ne comptera que 400 personnes, contrairement aux plus de 2 000 lors des Sommets précédents.

Plus tard, en conférence de presse, et avec toute la subtilité qu'on lui connaît, M. Chrétien a promis de faire la vie dure aux «anarchistes» qui entendraient perturber les travaux de la prochaine rencontre du G-8.  Il s'en est également pris aux journalistes à qui il a reproché de s'attarder aux manifestations violentes et de négliger le contenu des discussions entre chefs d'États.  M. Chrétien a dit avoir vu cinquante fois à la télévision et dans les journaux les mêmes images d'une voiture qui brûlait, sans cependant souligner que toutes les discussions entre chefs d'États sont à huis clos, et qu'après deux jours de rencontres, un communiqué final qui tient en quatre pages est une bien maigre pitance pour les journalistes.

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  Gênes : attaque contre les médias indépendants
Après deux jours de turbulences dans les rues de Gênes, et pendant que les rédacteurs et bureaucrates des diverses délégations élaboraient le texte de la déclaration commune des chefs d'États, ça jouait dur sur la via Cesare Batisti.

Vers minuit, samedi, des groupes de policiers et para-militaires en uniforme et casqués, et certains éléments en civil portant cagoules, ont investi deux immeubles qui avaient été mis à la disposition du Forum social.  L'un abritait le centre de presse du Forum, et certains bureaux avaient été loués à des médias indépendants, dont le Centre des médias indépendants (IMC) d'Italie, et une radio indépendante, RadioGap.  L'autre immeuble servait à loger des bureaux du Forum social et faisait office de dortoirs pour certains manifestants et bénévoles.

Selon un journaliste de la BBC présent à l'IMC-Italie lors du raid policier, Bill Hayton, les personnes présentes ont été rassemblées dans un corridor pendant que les policiers, prétendant être à la recherche d'armes, procédaient à une «fouille musclée» des lieux.  Le matériel informatique et les ordinateurs qui ne sont pas saisis sont fracassés, ainsi que le mobilier et les fenêtres.  Malgré cette intervention qui provoque une interruption de quinze minutes, RadioGap parvient à diffuser un reportage en direct du raid; l'IMC-Italie prendra plus de temps à récupérer, mais d'autres centres prennent immédiatement la relève (France, Allemagne, Autriche, Suisse, Seattle, etc.).  En quelques minutes, les photographies, bandes vidéo et témoignages sur l'événement font le tour du globe.

Mais dans l'autre immeuble, celui du Forum social, ça joue plus dur.  La police, toujours soi-disant à la recherche d'armes, fait irruption dans un dortoir et tabasse pendant une heure les personnes présentes.  Un cortège d'ambulances arrive sur les lieux.  Des témoins oculaires rapportent que certaines des personnes transportées sur civières sont couvertes de sang, certaines inconscientes, encore dans leurs sacs de couchage.  Après le départ des policiers, vers 2h30, les journalistes pénètrent dans l'édifice et constatent qu'il y a du sang partout, sur les planchers, sur les murs.  Là encore, en quelques minutes, les témoignages photographiques rejoignent les quatre coins de la planète à la vitesse d'Internet.  Bien que les autorités policières admettent qu'il y ait eu une soixantaine de blessés (estimation conservatrice), tous du côté des citoyens, la chaîne CNN parle d'un «raid mineur».

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  Gênes : sus aux Black Blocs
On reste perplexe sur les motifs de cette opération policière au beau milieu de la nuit au Centre des médias, et de la saisie de nombreux documents électroniques.  Sur de nombreux forums de discussion que nous avons consulté vendredi et samedi, des intervenants décrivaient de drôles de manèges autour des désormais célèbres Black Bloc, ou du moins de petits groupes de personnes vêtues de noir prétendant appartenir au Black Bloc.  Alors que des manifestants pacifiques étaient harcelés et talonnés par les forces policières, certains casseurs vêtus de noir étaient presque «escortés» par la police et laissés libres de perpétrer à leur gré des actes de vandalisme.  Les Black Blocs infiltrés? Des casseurs de l'État déguisés en Black Blocs?

Laurent Jesover, membre de ATTAC France (Association pour une Taxation des Transactions financières pour l'Aide aux Citoyens) résume bien la théorie prédominante sur un des motifs du raid : «L'une des raisons qui paraît expliquer l'action violente de la police est un reportage diffusé sur une chaîne de télévision montrant les relations de certains individus du Black Block et de la police, ceux-là recevant des ordres ou des conseils des ceux-ci.» Certains correspondants du Centre des médias indépendants disaient, sur les forums d'échange depuis deux jours, détenir des preuves formelles de cette infiltration du mouvement Black Bloc par les forces policières, tout comme Luca Casarini du mouvement des «tute bianche» cité par l'AFP, et de nombreuses autres sources médiatiques.  Les autorités auraient donc voulu, mais trop tard, récupérer et/ou détruire les documents compromettants.

Ailleurs, à Milan, un groupe de Finlandais qui revenait de Gênes a été interpellé à son arrivée à la gare.  Les policiers leur auraient dit qu'après une fouille de leurs bagages, un contrôle d'identité et la prise de leur photo, ils seraient relâchés.  Curieusement, les policiers ont demandé aux membres de ce groupe de revêtir des vêtements noirs (fournis par les policiers) pour la prise de la photo, ce qu'ils ont refusé de faire.

Il est donc clair que les autorités, à coups d'infiltration, de provocation et de mise en scène, puis de dénonciations publiques et très médiatisées, veulent diaboliser les Black Blocs dans l'esprit du public, en faire une cible de récriminations clairement identifiée, comme s'il s'agissait d'un groupe bien organisé, avec dirigeant, cartes de membre et siège social.  C'est très mal comprendre l'esprit et la nature du Black Bloc, car ce dont on les accuse ne s'inscrit nullement dans leurs tactiques, et c'est une stratégie perdante au départ tellement elle est grossière pour quiconque connaît un tant soit peu le mouvement.

Reste à voir comment s'écriront les prochains chapitres des grandes rencontres militantes, comme la réunion de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (Washington, 28 septembre au 3 octobre).

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  Gênes : la nouvelle guerre des médias
Les événements de Gênes nous amènent à nous poser de nombreuses questions concernant les nouvelles formes de médias et Internet.

Sur le plan technique, une constatation que nous avions faite lors du Sommet de Québec était que, parmi les jeunes manifestants, tant pacifiques que belliqueux, une bonne proportion (disons au moins le tiers) était munie soit d'appareils photo ou cameras numériques, soit de téléphones portables.  Il devient alors impossible de cacher certains événements. 

Sur le plan de la diffusion, Internet joue un rôle de plus en plus important avec les centres de médias indépendants et groupes affiliés (voir l'article de Florent Latrive et Christian Losson, «L'antidote aux “mediamensonges”», dans Libération).  Si, comme certains le prétendent, la technologie Internet a été conçue pour résister à une attaque nucléaire en raison de la décentralisation des points constituant le réseau et des principes de redondance, il est illusoire de croire que le raid de samedi dernier allait réduire au silence le Centre des médias indépendants de Gênes, comme il a été amplement démontré.  Chaque demeure branchée à Internet, chaque point d'accès public, chaque dispositif sans fil a le potentiel de devenir un point de diffusion de l'information qui est rapidement relayée à l'échelle du globe par l'entremise de serveurs «glocalisés».

Marginal, l'impact? Les médias traditionnels, qui ont pour la plupart fait peu de cas du raid sur l'IMC-Italie, aimeraient bien le croire.  En revanche, quand un seul site de l'IMC (il en existe une trentaine) enregistre un million et plus de connexions par jour lors de tels événements, il y a matière à se poser des questions.  Soit qu'il existe des millions d'anarchistes convaincus qui s'informent et échangent sur ces sites, soit qu'un nombre croissant de citoyens et citoyennes se sentent mal informés, floués, par les médias traditionnels et qui optent pour les médias indépendants.

Si, à l'intérieur de ce mouvement de médias indépendants et alternatifs, il existe un sentiment de solidarité très fort, on ne peut prétendre que cet esprit s'étende aux rangs des médias traditionnels.  Ceci expliquant cela, les grands médias et journalistes corporatistes ont fait peu état, pour la plupart, du raid perpétré contre leurs homologues indépendants, même s'il constitue une sérieuse infraction à la liberté de presse et d'expression, et à son corollaire, votre liberté de vous informer.. 

Trois jours après les événements, Reporters sans frontières reste muet sur ce qui s'est passé à Gênes mais déplore l'arrestation de deux journalistes qui couvraient, ailleurs dans le mode, une manifestation de Greenpeace.  Même silence du bulletin quotidien du Online Journalism Review.  Le Freedom Forum nous parle de cinq journalistes de grands médias légèrement blessés à Gênes, sans donner quelque information sur le raid contre l'IMC-Italie, ni sur le jeune britannique qui y a été si sauvagement battu qu'il a dû subir l'ablation de la rate.

Par contre, l'AFP rapporte que la Fédération internationale des journalistes (FIJ) accuse la police italienne d'avoir «mis en danger les journalistes» et mentionne le raid contre l'IMC-Italie.  Fait nouveau, elle accuse aussi la police d'avoir déguisé des agents en journalistes pour mieux infiltrer les manifestants.  Selon Aidan White, secrétaire général de la FIJ, «une telle tactique est répréhensible.  Elle provoque la fureur des manifestants et met en danger d'honnêtes journalistes.»

Bien que l'opération ait été cautionnée par les autorités d'un gouvernement dit démocratique, la situation aurait certainement été différente si on s'était attaqué à des journalistes de soi-disant «grands médias», ou encore si cette perquisition de nuit s'était déroulée dans l'Haïti de Jean-Bertand Aristide, ou le Cuba de Fidel Castro.  À chacun ses priorités.

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  C'est le temps des vacances...
Voici venu le temps de la pause estivale.  À moins d'imprévus, les Chroniques ne seront donc pas publiées les 31 juillet et 7 août pour être de retour le 14 août.

D'ici là, nous vous souhaitons à tous et toutes d'agréables moments.

Site personnel de Jean-Pierre Cloutier

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