ACCUEIL | ARCHIVES | RECHERCHE S'ABONNER | NOUS ÉCRIRE
Page daccueil Les Chroniques de Cybérie
Édition spéciale
Le jeudi 26 avril 2001

Salutations à tous les Cybériens et Cybériennes!

Cette Chronique spéciale n'est optimisée ni pour Netscape, ni pour Internet Explorer, elle l'est pour ses lecteurs et lectrices.

Le Sommet des politiques : Bilan
C'est Paul Valéry qui écrivait que «La politique est l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde» (Tel Quel, Paris, 1943).  Et à cet égard, le Sommet des Amériques qui se tenait à Québec en fin de semaine dernière était éminemment politique.  Nous y reviendrons.

On sait que le but du Sommet consistait à jeter les bases d'une Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA) qui incluerait les 34 pays de l'hémisphère (à l'exception de Cuba).  Cette ouvertrure des marchés, dont on ignore encore les fins détails (produits et services visés), auront obligatoirement, comme nous l'indiquions dans une chronique précédente, une incidence sur le secteur technologique.

Le gouvernement canadien a fait circuler à titre préparatoire au Sommet un document intitulé «La Communauté des Amériques : liens vitaux».  Le document fait état du besoin «d'assurer que les avantages que présentent les nouvelles technologies soient plus amplement partagés, à défaut de quoi le risque de refuser à ceux qui vivent en marge de nos collectivités la chance de rejoindre le courant économique, politique et social dominant.»

La déclaration finale contenait donc un paragraphe, assez terne, sur l'utilisation des technologies : «Les efforts que nous déployons collectivement à l'échelle de l'hémisphère seront plus efficaces grâce à l'utilisation novatrice des technologies de l'information et des communications pour brancher nos gouvernements et nos peuples et pour partager les connaissances et les idées.»

Un peu plus directe, la déclaration sur la connectivité laisse entrevoir un avenir prometteur pour les grandes entreprises avec le «Programme de connectivité pour les Amériques», un vaste plan visant à bonifier les infrastructures technologiques de l'Amérique centrale et du Sud et à favoriser le commerce électronique.  On est cependant en droit de se demander à qui profitera cette initiative car, en clair, le Nord endettera le Sud pour ce qui est du branchement.  Et encore, le branchement de qui, au profit de qui? On est loin du moment où le paysan vérifiera les cours du café ou du cacao sur les grands marchés pour pouvoir négocier un prix «équitable».  Le problème, comme le souligne à juste titre notre collègue Francis Pisani dans ses délicieux e-phorismes, est que «Internet permet aux pauvres d'avoir accès à des informations traditionnellement réservées aux riches.  Mais l'accès à Internet est encore réservé aux riches.» Cherchez l'erreur, avec 33 ordinateurs par millier d'habitants en Amérique latine et dans les Caraïbes, comme le soulignait Chantal Blouin, chercheure en commerce et développement à l'Institut Nord-Sud, dans une analyse publiée dans Le Devoir.

Et autres considérations
Que dire de la «clause démocratique» qui stipule que «toute altération ou interruption inconstitutionnelle de l'ordre démocratique dans un État de l'hémisphère constitue un obstacle insurmontable à la participation [...] au processus du sommet».  On visait nommément Haïti avec cette mesure, en passant sous silence les autres errances démocratiques d'États encore récemment dirigés par des dictateurs.

Curieusement, après les exercices électoraux haïtiens, les grands médias ont renforcé l'image d'une élection frauduleuse véhiculée par certains gouvernements dont ceux du Canada et des États-Unis.  Pas de chiffres, pas de données précises, que des opinions.  Or, quand la Coalition internationale des observateurs indépendants publie son rapport sur les élections en Haïti, pas un mot sur la question.  Pourtant, la Coalition fait état d'un déroulement correct du scrutin dans les conditions que l'on sait, et d'un fort taux de participation.  Amnésiques médias.

Revenons à Valéry et à l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde.  Eh oui, on parle ici du tumulte qui a régné durant trois jours dans un secteur de la ville de Québec, et notamment de certains événements à l'accès P-2 du périmètre de sécurité. 
© Éditions Cybérie
Provocation policière, usage démesuré de techniques de dispersion de foules, utilisation de balles de plastique, enlèvement d'un militant par des policiers déguisés en manifestants, intimidation de journalistes, mauvais traitement des personnes arrêtées et détenues, la liste est longue.

Hier, mercredi, en conférence de presse, le ministre de la Sécurité publique dévoilait des chiffres : la Sûreté du Québec aurait en 48 heures lancé 1 700 grenades lacrymogènes et tiré 320 balles de caoutchouc/plastique.  Ces données ne tiennent pas compte des techniques de dispersion des foules utilisées par la Gendarmerie royale du Canada, souvent sur la ligne de front, qui n'a pas (encore) rendu publiques ses données.

Y aura-t-il enquête? Bon nombre de groupes le demandent, comme le signalait mardi dernier le quotidien Le Devoir.  Mais s'il y a enquête, soumettons qu'elle devrait inclure les tactiques d'infiltration et de provocation du Mouvement Germinal, et le kidnapping en plein jour d'un militant bien connu.

Sur place, force était de constater que ce qui irritait au premier chef les citoyens était l'érection du mur devant assurer l'intégrité du périmètre de sécurité. 
© Éditions Cybérie
Il était donc normal qu'il devienne un point focal de la contestation.  Mais fallait-il vraiment tout cet arsenal pour contenir les manifestants.  On se permettra d'en douter.

Sinclair Stevens, ministre de l'Industrie sous le gouvernement Mulroney, était à Québec en même temps que nous.  Son témoignage résume bien des vues sur ces très dangereux précédents laissant augurer un État policier : «Nous avons perdu quelque chose le week-end dernier : notre innocence.  Ce gouvernement, et certains journalistes, décrivent les manifestants de Québec comme des “hooligans”. 
© Éditions Cybérie
Ce n'est pas juste.  J'ai parlé à des douzaines d'entre eux, la plupart des étudiants d'université dans la vingtaine.  Il ne sont pas venus à Québec, comme certains le laissent entendre, pour faire la fête, mais bien pour exprimer des points de vue très articulés sur une question importante pour eux et pour nous tous.  Je ne suis pas nécessairement d'accord avec leurs idées, mais je crois fermement en leur droit de les exprimer. 
© Éditions Cybérie
Les forces policières n'avaient aucun droit de les réprimer violemment.  Certains diront qu'une poignée de manifestants ont fait de la casse et ont forcé les policiers à une action collective.  Je ne peux être d'accord.  L'action policière à Québec, répondant aux ordres de notre gouvernement, était en soi une provocation, une atteinte à toutes nos libertés.»

© Éditions Cybérie
Il y avait certes des radicaux qui retournaient aux policiers leurs grenades lacrymogènes et faisaient aussi usage de leurs propres projectiles.  Mais il y eut également nombre de manifestants pacifiques qui furent directement visés par ces grenades, comme en témoigne cette photo prise à environ 300 mètres du périmètre de sécurité.

© Éditions Cybérie
Et les anarchistes du Black Bloc dans tout ça? On sait qu'ils n'aiment pas être photographiés, qu'ils soient masqués ou non.  Mais le discours qu'ils tiennent, individuellement et collectivement, est logique, cohérent.  Devant les débordements policiers dont la foule était témoin, leur arrivée en scène, bien après le début des hostilités, fut applaudie.  Étonnant retournement de la stratégie policière.

La mondialisation.  Le mur.  Le Sommet aura aussi quand même, dans une certaine mesure, permis d'exprimer d'autres messages.  Entre deux volées de gaz, entre autres, un dossard sur lequel était écrit : «Quand les hommes vivront d'amour...  il sera trop tard.»

© Éditions Cybérie

En complément d'information, le netmag Bizznys.com présente sous forme de dossier quelques articles forts intéressants sur les «Deux Amériques irréconciliables».  L'Itinérant électronique axe sa couverture du Sommet et ses retombées sur le monde syndical.  Également, le Centre des médias alternatifs du Québec (CMAQ) poursuit un suivi étroit des suites du Sommet.

Et sur ce, à mardi prochain pour l'édition régulière des Chroniques.

Site personnel de Jean-Pierre Cloutier

Ligne horizontale
ACCUEIL | ARCHIVES | RECHERCHE S'ABONNER | NOUS ÉCRIRE
Ligne horizontale
© Les Éditions Cybérie inc. | Revue de presse | Publicité
URL : http://www.cyberie.qc.ca/chronik/20010426.html