Industrie québécoise du contenu Web : le flou persiste

Commentaires sur la rencontre du 12 novembre 1997.

S'il est vrai que des événements récents ont attiré l'attention sur le problème du sous-financement de l'industrie québécoise des contenus diffusés sur le Web, on peut cependant constater que le flou persiste tant sur le plan des définitions pratiques que sur celui des modèles de solutions applicables.

C'est du moins ce qui ressort des échanges tenus dans le cadre d'une rencontre du Forum des inforoutes et du multimédia (FIM) en présence de nombreux acteurs de l'industrie québécoise de l'Internet et que nous tenterons ici de résumer puis d'en commenter certains aspects.

Problèmes chez les agences. Il semble que tant les représentants médias des agences de publicité que leurs clients sont réfractaires à l'idée de lancer des campagnes de promotion sur le Web, ou encore à inclure dans leurs plans médias un volet Web. Un gros annonceur présent un peu partout (Bell) et quelques annonceurs dispersés aux quatre coins de la toile québécoise; c'est à peu de choses près le portrait actuel du marché de la pub au Québec.

Devant une telle situation, les producteurs et diffuseurs de contenus ont peine à rentabiliser leur fonctionnement. Certains proposent des modèles de partenariats pour réduire les coûts d'exploitation, on passe des indépendants aux interdépendants. D'autres voient dans l'intégration verticale de contenus (rassemblement de contenus multiples à une seule enseigne) une solution capable de générer un achalandage suffisamment important pour attirer les annonceurs.

Si on dénonce d'une part le manque de maturité du marché de la pub en ligne, on pose aussi la question du degré de maturité des éditeurs. Produit-on des contenus qui méritent d'être soutenus par la pub, tant par leur qualité que par la régularité de leur publication? Y a-t-il trop de diffuseurs qui se rabattent sur un recyclage de l'information puisée dans les médias traditionnels? On entend dire que le contenu sera vendu à sa valeur perçue, certes, mais perçue par qui? Les annonceurs? Le public?

On évoque aussi le concept de «masse critique». Avec plus ou moins 700 000 Québécois et Québécoises branchées à l'Internet, peut-on véritablement parler de marché de masse ou encore adopter le modèle de marché de créneaux (ciblés, spécialisés).

Arrive comme toujours dans ce genre d'échange la question de l'intervention gouvernementale visant à stimuler la production de contenus. Doit-on espérer un mécanisme de soutien à la production comme c'est le cas pour l'industrie du cinéma, de celle de la télévision ou de celle du livre? La solution passerait-elle par un réseau parallèle de produits subventionnés ou par le recours, par le gouvernement, au médium pour des campagnes de publicité? Un intervenant a suggéré un quota obligatoire des dépenses publicitaires gouvernementales qui serait attribué au Web, un peu sur le modèle du 4 % qui est accordé aux médias communautaires. Un autre voudrait bien qu'on précise, de toutes ces solutions, ce que l'on demande au gouvernement, mais aussi ce que les producteurs et diffuseurs ont à lui offrir.

Reprenons d'abord cette question de quota obligatoire des dépenses publicitaires gouvernementales qui serait versé aux diffuseurs Web. Nous ne voyons pas la pertinence d'un tel modèle de subvention déguisée. Il serait dangereux à ce stade-ci du développement du médium de l'encarcaner dans un pourcentage déterminé, bien qu'à court terme on comprenne l'intérêt de ceux qui proposent cette manière de fonctionner.

En effet, les dépenses annuelles gouvernementales en publicité ont atteint 28 millions de dollars l'an dernier (à peu près l'équivalent des dépenses de Bell). À titre d'exemple, un quota de 4 % signifierait l'injection d'un peu plus d'un million de dollars dans l'industrie du contenu Web. En revanche, en raison de la structure des commissions d'agences et des intermédiaires de services (représentation, validation d'achalandage), c'est mois de la moitié de cette somme qui reviendrait aux diffuseurs. Mieux que rien, dira-t-on, mais loin d'être suffisant pour relever l'industrie.

Si nous appuyons la «solution à 4 %» pour les médias communautaires, davantage un choix de société qu'une décision commerciale, nous préférerions voir l'affectation d'enveloppes publicitaires sur le Web taillées en fonction des caractéristiques propres au médium, sa clientèle, et aussi sa dynamique. Qui sait si dans deux ans ou cinq ans, le bon sens ne dictera pas l'affectation de 10 ou 15 % des budgets publicitaires au Web et à ses composantes.

La question du levier publicitaire que constitue le Web a été mise en relief cette semaine aux États-Unis. D'entrée de jeu, disons qu'il ne suffit pas de diviser par quarante pour modéliser un phénomène semblable au Québec, mais tout de même.

En vertu d'un nouveau programme, les 200 membres du Internet Advertising Bureau (producteurs et diffuseurs Web) sont invités à consacrer gratuitement 5 % de leurs bandeaux publicitaires à des campagnes d'intérêt public. Parmi les premiers bénéficiaires, on trouve la coalition américaine pour l'enfance, un programme d'équité entre les sexes et la campagne de prévention des incendies de forêts. C'est donc plus d'un milliard d'impressions publicitaires, plus de trois millions par jour, qui seront ainsi consacrées à ces campagnes d'intérêt public.

Évidemment, un tel programme ne peut être mis de l'avant que dans un marché mûr, qui repose sur des assises solides, mais il illustre bien l'effet médium du Web.

Que penser de l'intégration verticale de contenus basée sur le modèle des services en ligne (AOL et MSN aux États-Unis et en France, InfiniT au Québec)? Bien qu'un service en ligne constitue un pôle d'attraction (achalandage) qui puisse profiter aux producteurs qui y versent leur contenu, et qu'en théorie il puisse engendrer des économies d'échelle, il n'y a aucune garantie pour un producteur que son contenu sera sélectionné, invité et accepté par un service en ligne. D'autre part, même avec les modèles qui fonctionnent, on ne peut prétendre à l'Eldorado pour les producteurs indépendants.

Autre point, est-il utile de parler de sites indépendants dans la problématique du financement? Acceptons donc que la question du financement se pose à deux niveaux que l'on pourrait établir avec les descriptifs amateurs et professionnels.

L'amateur produit pour son bon plaisir sans attente de revenus. Au contraire, il assumera les coûts de production de son contenu. Il y aurait, à cet égard, une structure d'hébergement sans frais et d'encadrement technique à mettre sur pied au Québec, un peu à l'image de Mygale en France, ou de Geocities ou Tripod aux États-Unis. Une telle structure permettrait aux amateurs de continuer à contribuer à la richesse et à la diversité du Web, et pourrait constituer un tremplin vers des réalisations professionnelles.

Le secteur des professionnels doit s'entendre des productions qui nécessitent des efforts quotidiens ou à échéance fixe (régularité de la diffusion) et pour lesquels les producteurs sont en droit de s'attendre à des revenus si leur produit reçoit la faveur d'un public qui est généraliste ou ciblé.

Quant à la valeur perçue des produits disponibles sur le Web, nous croyons que le public décidera en fonction de ses besoins en communication, en information et en divertissement. Sites généralistes et spécialisés peuvent fort bien cohabiter dans le paysage néomédiatique, offrir des valeurs complémentaires et constituer des achats médias intéressants pour les annonceurs.

Jean-Pierre Cloutier


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Mise en ligne : 14 novembre 1997