Annexe I - Petite histoire du Québec télématique

L’avènement des télécommunications grand public est le résultat de vagues successives d’innovations technologiques, de projets passagers ou durables, parfois bénéfiques, mais aussi souvent sans lendemain.  Il est résultat de l’action combinée des domaines militaires, universitaires, commerciaux et gouvernementaux, mais aussi du travail acharné de certaines communautés d'esprit.

Dès le début des années 1980, l’évolution parallèle de l’infrastructure téléphonique et de l’informatique personnelle permet l’échange et le traitement de données.  Il est alors possible d’échanger des fichiers de taille respectable, de les stocker dans la mémoire morte de son Commodore 64 ou de son Apple II, de les modifier, de les réexpédier, et ce sur circuit téléphonique conventionnel.  La numérisation du réseau téléphonique de Bell Canada entreprise en 1985 a non seulement permis l’apparition de services comme l'urgence 911, mais elle a ouvert la voie à l’entrée des premières lignes d’accès à Internet au pays.

Télidon et Alex

Mais bien avant l'arrivée du réseau des réseaux, la scène québécoise de la télématique a vu défiler de nombreux projets : Télidon, Alex, Ubi, pour n'en nommer que les plus marquants. 

Le projet Télidon est né en 1981-1982.  Financé conjointement par Bell Canada et le Ministère des Communications du Canada, Télidon était un projet d'inforoute communautaire.  Une communauté urbaine (Toronto) reçut 100 terminaux, répartis principalement dans des lieux publics.  Une autre centaine de terminaux fut distribuée dans une collectivité rurale (Cap-Rouge), principalement dans des domiciles.  Les terminaux combinaient un téléviseur, un décodeur et une manette.  Le tout était branché sur la ligne téléphonique et relié au serveur central, à Toronto. 

Grâce à cet appareil, les usagers avaient accès à des banques d'information qui allaient des services communautaires tel que Télé-Santé, aux cotes de la bourse de Toronto, en passant par le prix des grains pour les agriculteurs et la météo régionale.  Le contenu était produit par des sociétés privées, dont plusieurs agissaient pour le compte des groupes communautaires.

Malheureusement, si le projet a bien marché dans le cas de Toronto où l'accès était facile et les services appropriés, dans le cas de Cap-Rouge la clientèle était assez peu intéressée par des services communautaires essentiellement conçus pour une clientèle métropolitaine à faible revenu.

Si le projet Télidon est mort dans l'oeuf, ce serait donc en partie attribuable à une inadéquation initiale entre les besoins et attentes des usagers et les services offerts.  L'autre raison serait que la période de financement (18 mois) aurait pris fin trop rapidement pour permettre de corriger le tir. 

Le projet Alex entendait en quelque sorte prendre la relève de Télidon.  Il s'agissait d'une version noir et blanc de ce dernier, avec le look Minitel.  Mais l'histoire s'est de nouveau répétée; faute de financement, les fournisseurs se sont effacés et les usagers ne répondaient pas favorablement au produit.  Puis sont venus les projets Vidéoway et Ubi, menés par Vidéotron, financés par Bell et le Fonds de l'autoroute de l'information.  Là encore, un constat d'échec fut admis.

La cause commune de l'échec de ces projets pourraient se résumer ainsi : l'usager est roi, il faut lui donner la plus grande latitude possible, non seulement au niveau de sa consommation, mais aussi au niveau de son expression. 

En France, le cas du Minitel est éloquent à cet égard.  Calqué sur le service britannique Prestel, le Minitel ne devait servir au départ qu'à consulter le bottin téléphonique et des banques de données.  Cette utilisation à sens unique ne fit pas long feu puisqu'un jour, on découvrit une faille de sécurité ouvrant la porte à l'échange de courriers électroniques. 

L'administrateur qui s'est alors aperçu de la brèche perpétrée aurait eu l'heureuse idée de ne pas intervenir pour stopper ce flot d'échanges.  C'est ainsi que s'est développé sur Minitel le service qui a fait son grand succès, soit la messagerie rose. 

L'exemple illustre à quel point la réussite de projets télématiques repose sur l'ouverture à la personnalisation du médium, à sa «démocratisation de l'intérieur» en quelque sorte. 

Les babillards électroniques (BBS)

Parallèlement à ces avancées techniques au cours des années quatre-vingt, une véritable communauté d’usagers de la télématique se développe au Québec quand apparaissent les premiers babillards électroniques, les BBS (bulletin board services).  Avant même que Bill Gates ne gagne son premier million, des pionniers tissaient les premiers maillons du cyberespace social. 

Un BBS est un ordinateur sur lequel «roule» un logiciel hôte permettant de recevoir par modem des communications de l’extérieur d’autres ordinateurs.  Lorsqu’une communication est établie, l’usager externe peut, de chez lui, utiliser les jeux, échanger des messages, télécharger des logiciels par l'entremise du BBS qui devient un centre nerveux de communication.  Dans la grande majorité des cas, aucun frais d’appel n’est exigé puisqu'il s'agit de communications locales et que le service est maintenu par un individu qui en fait son passe-temps, sinon sa passion.  Nul besoin du logiciel ou de l’engin le plus puissant.  Le minimum requis pour se joindre à un BBS est un terminal et un modem.

Les modems utilisés au début des années 1980 étaient de faible débit, soit 300 baud.  Il fallait placer le combiné téléphonique directement dans un coupleur acoustique, réceptacle fait de deux oreilles de caoutchouc, à l’allure plutôt étrange.  Mais la lourdeur de la technique ne réfrénait pas l’élan des utilisateurs qui découvraient, avec les BBS, que des contacts initiaux «virtuels» avec de parfaits inconnus pouvaient se transformer en véritables relations humaines, profitables et durables.  Les BBS contribuaient (et contribuent toujours) au développement d’un sentiment communautaire, aux premières «communautés virtuelles».

À Montréal, le développement des BBS prit son essor au milieu des années 1980, pour atteindre un sommet en 1995, alors que l’on comptait 482 babillards électroniques.  Aujourd’hui délaissés par bon nombre au profit d'Internet, on en compte à peine 200.

Internet, réseau militaire et scientifique s’ouvre au grand public

Si les babillards électroniques et certaines expériences comme Télidon, Alex et Vidéoway visait le développement d’une télématique grand public, le développement d’Internet au cours des années 1970 et 1980 servait davantage aux communautés militaire et scientifique.  Le monde universitaire est sans doute celui qui a contribué, plus tard, à l'implantation de cette technologie.

L’armée américaine disposait en 1983 d'un réseau Arpanet s’étendant sur tous les états- Unis, d’Est en Ouest.  Elle décida d'ouvrir cette technologie au public, en préservant la partie militaire et en l’isolant du reste du réseau.  Deux sous-réseaux furent mis sur pied.  Milnet, le réseau militaire, fut confié à une autorité des forces armées.  La partie civile, qui gardera le nom d’Arpanet, fut placée sous une autorité universitaire, celle de la National Science Foundation (NSF).  La NSF possédait déjà un réseau similaire pour ses besoins internes, le NSFnet.

Au même moment, aux états-Unis et dans quelques pays européens, plusieurs réseaux parallèles virent le jour.  Un grand nombre des réseaux américains d’alors furent reliés à l'aide du protocole TCP/IP, et ils constituèrent la base de développement du réseau mondial, les premiers maillons de «la toile».  L’appellation d’«Internet» vint au début des années 1990, alors que quelque quatre millions de machines étaient déjà reliées en réseau.

Au Canada : la création de CA*Net

Au début des années 1980, trois grands réseaux BitNet reliaient les institutions universitaires en Colombie-Britannique, puis en Ontario et finalement au Québec.  Ce réseau permettait un débit de transmission de 2400 baud et était relié à New York.  Au Québec même, c'est un réseau DECNet (produit de Digital) qui reliait les universités entre elles.  Ces réseaux permettaient le transfert de fichiers, la messagerie électronique et les groupes de nouvelles Usenet (newsgroups).

Cependant, le trafic inter-provincial devait obligatoirement passer par les états-Unis.  Le Conseil national de recherches du Canada (CNRC) réunit autour d’une table les représentants des communautés scientifiques du pays afin de déterminer les besoins du Canada en matière de réseau national de recherche.  On établit un ensemble de recommandations visant à établir une infrastructure améliorée qui permettrait aux institutions canadiennes de se connecter au réseau Internet sans devoir passer, dorénavant, par le réseau de la NSF.  Les intervenants convinrent donc de créer CA*net.  Nous sommes en 1989.

Les constructeurs de la dorsale canadienne ont reçu une aide considérable de la part de la NSF, qui a payé la construction des routes de jonction jusqu'à la frontière canadienne.  En retour, CA*net et ses membres s'engageaient à réserver leur réseau à l'usage universitaire et scientifique, tout comme la NSF.  L’architecture de cette dorsale reposait sur les réseaux provinciaux et régionaux du domaine de la recherche, au nombre de 12.  Des ponts furent établis entre le réseau canadien, le réseau américain et les autres réseaux mondiaux, constituant la plus importante infrastructure d’échange de données au Canada, avec des débits de transmission oscillant autour de 56 kbps.

Fondé en 1989 par l’action conjointe des grandes universités québécoises et du Centre de recherche informatique de Montréal (CRIM), le Réseau interordinateurs scientifique québécois (RISQ) devint la porte d’entrée d’Internet dans la province et adoptait la technologie IP pour norme de transmission des données.  Grâce à lui, les régions du Québec bénéficiaient de ce qui est appelé des «points d’accès» (ou points of presence, POP) au réseau dans les régions de Hull, Montréal, Rouyn, Sherbrooke, Trois-Rivières, Québec, Rimouski et Chicoutimi.

Son mandat principal était d’assurer la connectivité au réseau la plus rapide et la plus économique pour les secteurs de l’éducation, de la recherche et du développement, ainsi qu’à un grand nombre de services gouvernementaux.  Ses premiers membres étaient les universités de Montréal, Laval, McGill et le siège social de l'Université du Québec.  Rapidement, la connectivité rejoint l'ensemble du réseau universitaire québécois.  Mais vers 1992, le RISQ recevait un nombre croissant de demandes de branchement de clientèles non-conventionnelles.  Il était alors le seul fournisseur Internet au Québec.

Au même moment, la NSF annonçait son intention d'offrir des services de connectivité au secteur commercial.  Le RISQ fit de même, et le premier revendeur de connectivité, Communications accessible Montréal (CAM), entre en scène au Québec.  La concurrence se développe alors pour l'accès grand public et corporatif à Internet qui devient lui-même un sérieux concurrent des réseaux privés comme Compuserve et America Online dont le contenu étoffé semblera rapidement beaucoup trop onéreux par rapport aux ressources disponibles gratuitement sur Internet.

En 1995, le réseau du RISQ commence à être désuet et surchargé.  Ses administrateurs se trouvent devant deux options : le RISQ devient un opérateur commercial à part entière, ou il se replie sur sa clientèle traditionnelle et se départit de ses clients commerciaux.  Cette seconde option fut retenue.  Aux états-Unis la NSF choisissait elle aussi de céder le contrôle des dorsales d'Internet au secteur privé. 

Au même moment, au Québec, c'est la création par le gouvernement de Jacques Parizeau du Fonds de l'autoroute de l'Information (FAI).  Le RISQ obtiendra une des plus importantes subventions du Fonds, ce qui lui permettra de rénover et d'étendre son réseau et ses activités, notamment en offrant des services d'hébergement et de conception de sites Web.

Dès l'arrivée du World Wide Web, ce système de consultation de données en hypertexte illustré, la croissance du réseau Internet se fait de manière exponentielle.  Le grand public semble y avoir trouvé l'ultime médium, ce lieu de toutes les communications, de toutes les interactions intellectuelles.  L'interactivité promise par des projets comme Télidon, Alex ou Ubi devient enfin réalité : tout un chacun peut devenir un créateur de contenu, un éditeur. 

L'Internet et en particulier le Web, sa fenêtre universelle, est devenu un point de convergence socio-économique qui n'a plus rien de marginal.


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Mise en ligne : 31 mars 1998