5. Modèle à péage

Même dans le marché américain, les recettes publicitaires générées par les publications en ligne ne suffisent pas, pour bon nombre d'entre elles, à couvrir les coûts de production et de diffusion.  C'est la raison pour laquelle 1998 sera une année déterminante, l'année des expériences de contenus à accès payant.

Cette tendance modifiera à coup sûr la dynamique sociale et économique d'Internet où des masses d'information sont disponibles sans frais.

Cependant, nombreux sont ceux et celles qui trouvent que la qualité de l'information trouvée hors des grands sites issus de médias traditionnels laisse parfois perplexe.  De récents événements ont ranimé le débat sur la crédibilité des sources de l'information diffusée sur Internet.

Selon Mark Mooradian, directeur des produits grand public du Jupiter Communications Group, il existe sur le plan financier deux modèles qui réussissent relativement bien dans le contexte actuel.  D'abord, les contenus exclusifs ou d'information spécialisée, reconnus de haut niveau (il cite à cet égard The Economist, The Wall Street Journal).  Ensuite, les cybermédias qui offrent la plus grande partie de leurs contenus sans frais, mais parallèlement, en guise de valeur ajoutée, des sections spéciales réservées aux abonnés.

Les utilisateurs et utilisatrices d'Internet accepteront-ils de payer pour ce qui était auparavant gratuit? C'est le pari que font de nombreux cybermédias américains qui mettent à l'essai des formules parfois hybrides.

Lancée en avril 1996 à titre d'expérience à accès gratuit, l'édition interactive du WSJ avait attiré 650 000 lecteurs inscrits.  En janvier 1997, elle s'est transformée en site payant, suivie peu après en cette démarche par Dow Jones & Co., SmartMoney Interactive, Money.Com et TheStreet.Com.  Notons qu'il s'agit de cybermédias d'information spécialisée (finance et affaires) qui s'adressent à une clientèle ayant besoin de cette information et pour qui le prix importe peu.

Lorsque le WSJ est devenu un site payant (abonnement de 49 $ par année, 29 $ par année pour les personnes déjà abonnées à l'édition imprimée), seulement 50 000 lecteurs étaient disposés à payer pour avoir accès au contenu en ligne.  Cependant, ce chiffre a grimpé depuis à 160 000 selon Tom Barker, directeur commercial du WSJ, qui prévoit atteindre le seuil de rentabilité d'ici trois à cinq ans, soit le même délai que pour une publication imprimée traditionnelle.

La démarche du WSJ a donc suggéré à de nombreux éditeurs de cybermédias une formule où l'accès (en tout ou en partie) au contenu se monnaiera.  Quelques exemples.

Slate est un cybermédia d'information sur les médias et la politique, lancé il y a environ deux ans par le fabricant de logiciels Microsoft.  Après avoir débattu de la question pendant des mois, et avoir tenté une formule d'abonnements à 20 $ par an (idée rejetée après trois mois), l'éditeur Rogers Weed annonçait en décembre dernier que Slate redeviendrait un site payant dont l'abonnement annuel coûterait moins de 30 $.  Selon Weed, d'une part le contenu de Slate n'est pas directement lié à un achat, d'autre part il n'est pas du genre «grand public» susceptible d'attirer des millions de lecteurs.  Une formule de revenus mixtes (publicité, abonnements) semble donc un modèle économique viable pour Slate dont la plus grande partie du contenu ne sera disponible qu'aux abonnés. Weed soutient que les coûts de mise en ligne, de maintien et de promotion d'un site sont importants et ne peuvent pas, dans bien des cas, être amortis par la publicité seule.

Salon, cybermédia d'information culture/société produit depuis San Francisco et appuyé financièrement par la société Adobe Systems, prend aussi le virage de la formule abonnements. La structure actuelle du contenu demeurera presque inchangée pour le grand public; en revanche, les abonnés auront droit au «Salon Club», un ensemble de services à valeur ajoutée au contenu disponible gratuitement.  On y trouvera des produits dérivés, des offres de rabais sur l'achat de livres, des forums de discussion animés par des auteurs connus, des séries de reportages thématiques.  David Talbot, premier dirigeant de Salon, estime que 10 % de sa clientèle actuelle acceptera de verser entre 20 $ et 40 $ par année pour devenir membre du «Salon Club».  Talbot mise sur la qualité du contenu pour attirer un nombre suffisant d'abonnés.  Déjà, le site attire 150 000 lecteurs réguliers qui y passent en moyenne 35 minutes. Pour assurer sa viabilité financière, la direction de Salon mise donc sur les recettes publicitaires, les abonnements, la vente de produits dérivés et aussi sur la vente d'articles à des médias imprimés.

Dans la catégorie des contenus destinés aux enfants, Disney Online s'est vite taillé une place enviable sur le marché américain.  Selon son président Jack Weinbaum, Disney Online compte, pour assurer sa rentabilité, sur les abonnements (40 % des recettes), la publicité (48 %), le commerce électronique (12 %, principalement la vente de ses propres produits) et l'octroi éventuel à des services en ligne de licences d'utilisation de son contenu (service en développement).  Le produit disponible par abonnement est le Disney Daily Blast offert au tarif de 6 $ par mois (40 $ par année).  Les abonnés ont droit à un site renouvelé quotidiennement.

Le mensuel pour adultes Playboy est en partie disponible sans frais depuis son site Web.  Cependant une section du site, «Playboy Cyber Club», n'est accessible qu'aux abonnés.  Ici aussi prévaut le concept de valeur ajoutée (photos inédites, séances de bavardage en direct, archives des rubriques infoservices, archives des entrevues, etc.).  Selon Eileen Kent, vice-président aux nouveaux médias de Playboy Enterprises, le seuil de rentabilité de Playboy en ligne est déjà atteint.  Le «Playboy Cyber Club» compte 22 000 abonnés; l'abonnement coûte 7 $ par mois, 18 $ par trimestre ou 60 $ par année.  Il convient ici de noter que l'abonnement donne droit à peu de contenu original, qu'il offre principalement accès aux archives de l'imprimé, et donc que les coûts de mise en ligne sont minimes.  Playboy Enterprises envisage néanmoins une formule de contenu accessible seulement sur abonnement.

D'autres publications envisagent ou ont déjà pris le virage de l'accès payant.

Le San Jose Mercury News a été le premier journal en ligne à exiger un abonnement payant.  Depuis 1994, près de la moitié du contenu est disponible sans frais sur son site Web.  L'abonnement donnant accès au contenu complet est de 60 $ par année, 35 $ pour les personnes abonnées à la version imprimée.

Consumer Reports, publication axée sur la protection des consommateurs, refuse toute publicité sur son site Web (comme dans les pages de sa version imprimée). L'accès au contenu complet du site est fixé à 20 $ par année.

La publication britannique The Economist a fixé à 48 $ par année l'accès à son site Web.

Money.Com offre à ses lecteurs Money.Com Plus, une section contenant des articles de fond et permettant l'accès à des bases de données sur les entreprises. L'abonnement annuel est de 50 $, et de 30 $ pour les personnes déjà abonnées à la revue Money.

Business Week entend, au cours de l'année, exiger un abonnement pour l'accès au contenu complet de sa version imprimée versée sur le Web.  Aucune date d'entrée en service n'est annoncée.

L'hebdomadaire Entertainment Weekly offre une «édition spéciale» électronique qui complète sa version imprimée; l'abonnement aux deux services est de 23 $ par année.

Le site de référence sportif ESPN est presque entièrement gratuit, mais un abonnement de 40 $ par année donne accès à des contenus supplémentaires.


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URL : http://www.cyberie.qc.ca/etude/5.html
Mise en ligne : 31 mars 1998