Dixit Laurent Laplante
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Paris, le 23 décembre 1999
Qu'est-ce que c'est former un policier?

Chaque fois que les médias exhument une bourde policière, un bon sens qui confine au simplisme remonte aux barricades : il faut améliorer la formation policière.  Comme personne ne veut plaider contre la tarte aux pommes, la maternité ou la formation, chacun trouve la suggestion intéressante et l'endosse : il faut donc améliorer la formation policière.  C'est ce que dit la commission Poitras; c'est ce que comprend le ministre Ménard.

Que faire d'autre en effet?  On a dépensé des trésors d'ingéniosité, au Québec comme ailleurs, pour encadrer la police et en contenir les débordements, mais les résultats n'ont jamais correspondu aux attentes.  Les abus de force pullulent moins qu'autrefois, mais ils demeurent toujours largement impunis.  Les policiers ont toujours réussi à disloquer les instruments créés pour recevoir les plaintes des citoyens et sanctionner les abus des gardiens de l'ordre.  De génération en génération, les structures se modifient, les comités de discipline se transforment en comités de déontologie policière ou en commissions de police ou vice versa, mais rien n'y fait : les bavures se répètent dont l'ampleur est parfois sidérante.  Dont le cas Barnabé.  Dont le cas Lizotte.  Les policiers, la preuve est faite, tolèrent mal les contrôles externes et ils savent comment neutraliser les surveillants de même formation qu'eux.  Donc, oui, puisque rien d'autre ne fonctionne, place à la formation.

Encore faut-il savoir ce qu'est la formation des policiers et en quoi elle est déficiente.  Encore faut-il se faire une idée un peu précise de ce qu'est la fonction policière et du genre d'individus qu'attire cette fonction.

Le policier a ceci en commun avec le journaliste : la paranoïa.  Le journaliste n'est socialement utile que s'il pratique le recul critique comme d'autres s'investissent dans la séduction.  De même, le policier apprend à ne faire confiance à personne, sauf peut-être, et encore, aux uniformes de même couleur que le sien.  Les politiciens?  Des ambitieux dépourvus de scrupules.  Les médias?  Un milieu dans lequel il faut repérer les quelques chroniqueurs qui sont  pour la police pour mieux se méfier de tous les autres.  Les comités de discipline?  Des gens qui jugent sans savoir ce qu'exige concrètement le métier de policier.  Le chef de police?  Quelqu'un qui a mal tourné et dont il faut toujours comparer l'avis avec ce que dit le président du syndicat.  Quant à la loi, elle n'est qu'hypocrisie et approximation : elle est écrite, en effet, par des gens qui ne savent pas de quoi la société a besoin et elle n'est utile que si les policiers l'interprétent selon les vrais besoins du public, besoins dont ils sont seuls juges.

Je caricature?  Un peu je l'avoue, mais un peu seulement.  Il est aisément vérifiable, en tout cas, que les policiers n'obéissent qu'à eux-mêmes et qu'ils se font de la loi une conception qu'aucun législateur n'a eue en tête.  Le parjure, par exemple, n'est un crime que si on le commet par profit personnel; quand un policier se parjure pour couvrir un collègue, il ne s'agit plus d'un crime, mais d'un geste qui bénéficie à la solidarité policière et donc à l'ordre social.  On en arrive ainsi, si j'interprète correctement M. Ménard, à une aberration : il faudrait dire aux policiers que les crimes commis par leurs collègues doivent eux aussi être dénoncés!  Comme si cela ne sautait pas aux yeux; comme si les policiers ne savaient pas ce que leurs silences collectifs recouvrent à l'occasion.

Quelle formation changera cette culture policière?  Une formation suffisamment aérée pour que l'aspirant policier puisse porter un regard critique sur la culture de ce métier.  L'isoler trop tôt dans les cohortes collégiales des techniques policières ou trop complètement dans un noviciat comme celui de Nicolet ou de Regina, c'est encourager le futur policier dans son mépris de la société.  Ce n'est pas ainsi qu'on formera d'abord un citoyen puis un citoyen policier.  La formation souhaitable accordera une grande importance à la motivation des aspirants.  À l'heure actuelle, la grande majorité des recrues commencent leur carrière avec un magnifique souci d'honnêteté, mais aussi avec une solide tendance à se voir en membres d'une caste supérieure.  Le contact avec leurs confrères plus âgés risque de les convertir en justiciers qui croient savoir mieux que la loi ce qui est bon pour la société et qui agissent en conséquence.  Embaucher des justiciers serait une excellente politique si l'on voulait faire naître discrètement des escadrons de la mort, mais ce n'est pas ainsi qu'une société démocratique et pluraliste doit choisir les personnes chargées d'appliquer la loi telle qu'elle est voulue.

Ne pensons d'ailleurs pas tout régler par une meilleure sélection et une formation de base plus civique.  Le métier de policier met, en effet, à rude épreuve les nerfs et l'optimisme.  Le policier voit ce qu'il y a de pire dans le vaste répertoire du crime.  Comment ne serait-il pas porté à juger l'espèce humaine à travers un filtre noir?  Dès lors, ne faut-il pas, périodiquement, par la formation continue, donner au policier de métier l'occasion de voir autre chose et de reconstituer son bagage de tolérance et de sens civique?  De quoi restaurer le citoyen dans le policier.



Projet de loi no 86
Rapport de la Commission Poitras
Dossier du journal Le Soleil sur la Commission Poitras


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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999
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