Dixit Laurent Laplante
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Paris, le 20 décembre 1999
Jean Charest calcule trop. Et mal.

Jean Charest a si peur de rendre service à Lucien Bouchard qu'il en oublie de se rendre service à lui-même.  Au lieu de protester intelligemment contre l'agression menée contre le Québec par Jean Chrétien et Stéphane Dion, il préfère reprocher au Parti québécois une guérilla constitutionnelle dont l'initiative est pourtant, de façon notoire, d'origine fédérale.  Au lieu de saisir au vol l'occasion de redonner au parti libéral québécois sa rentable parenté avec la fierté québécoise, il préfère intenter un procès d'intention au Parti québécois et affaiblir bêtement la position du Québec et celle du Parti libéral.

Rappelons le décor.  Ottawa décide, toutes affaires cessantes, de se prémunir contre un éventuel référendum québécois.  Comme le dernier n'a été remporté par la thèse fédérale que par la peau des dents, le gouvernement central estime nécessaire de rédiger des règles qui rendront aussi difficile que possible la victoire du camp souverainiste.  En agissant ainsi, le gouvernement central sous-entend qu'un Québec laissé à lui-même se conduirait mal et bafouerait les règles démocratiques.  Le Parti québécois a pourtant, en matière de comportement démocratique et de fidélité à ses engagements électoraux, un meilleur bilan que le gouvernement fédéral.  Qu'il suffise de relever le fait suivant : même quand il prend le pouvoir, le Parti québécois respecte sa promesse de ne pas proclamer l'indépendance sans consulter explicitement la population.  Du côté fédéral, on oublie, sitôt l'élection passée, d'effectuer les changements promis.  Dans ce contexte, le mépris que professe Ottawa pour l'immaturité politique du Québec est particulièrement injustifié.

Face à cette situation, le gouvernement québécois réagit.  Il condamne l'attaque fédérale et fait appel aux libéraux de Jean Charest pour qu'une protestation unanime s'élève de l'Assemblée nationale.  C'est alors que Jean Charest entre en calcul, comme un autre entrerait en littérature.  Il jongle, il suppute, il chiffre.  Il conclut ensuite que s'associer au Parti québécois serait une erreur.  Il préfère se lancer dans la dénonciation des motifs péquistes.  Selon lui, le premier ministre Bouchard invente et gonfle la crise de manière à ranimer la ferveur souverainiste.

Les calculs de Jean Charest sont erronés.  Il est clair que M. Bouchard fait des pieds et des mains pour tirer du geste fédéral un maximum de bénéfice politique, mais ce n'est quand même pas lui qui a déposé le tonitruant projet de loi fédéral.  M. Charest aurait raison de dire à M. Bouchard qu'il en fait trop; il a tort de prétendre que M. Bouchard est responsable de la crise.

Les calculs de M. Charest le conduisent ainsi à une double erreur.  L'une morale, l'autre partisane.  M. Charest, en effet, devrait, en tant que Québécois, se laisser aller à un sursaut de colère devant la mise en tutelle du Québec.  Car c'est de cela qu'il s'agit.  C'est son droit de ne pas vouloir la sécession du Québec, mais c'est son devoir d'affirmer le droit du Québec à définir lui-même son destin et à exercer sans contrainte ni tutelle son droit à l'autodétermination.  S'adonner à de minables calculs de profits partisans alors qu'une menace plane sur la liberté politique québécoise, voilà qui juge M. Charest.

En plus de se mal conduire, M. Charest rate l'occasion de faire des gains parmi la clientèle traditionnelle du Parti québécois.  Sa prise de position, en effet, ne lui rapporte aucun dividende auprès de l'électorat déjà gagné à la thèse fédéraliste, alors qu'une alliance circonstantielle avec le Parti québécois aurait pu améliorer l'image du Parti libéral auprès de la population francophone.  Quand le parti libéral pouvait compter sur une telle image, il en a tiré la révolution tranquille.  M. Charest ne semble pas le savoir.  Certes, M. Charest a dû se faire souffler à l'oreille que de telles alliances ont déjà eu lieu et qu'elles ont toujours causé de la zizanie au sein de la députation libérale.  Il devrait pourtant savoir que le chantage exercé par une partie de la députation anglophone n'a jamais privé longtemps le parti libéral de ses appuis traditionnels.  La question est la suivante : où iraient les militants libéraux rebelles à toute alliance avec la Parti québécois?  Leur dépit les conduirait-il à voter pour le Parti québécois?  Créerait-on une autre fois un troisième parti?  Aucune de ses hypothèses n'est envisageable.

En somme, Jean Charest n'a ni calculé correctement ni adopté d'instinct la bonne position morale.  L'occasion lui était donnée de se comporter en chef d'État; il l'a ratée.  Jean Charest confirme ainsi ce qu'on pouvait redouter depuis la volte-face qui l'a conduit en politique québécoise : il est incapable de prendre du recul, de l'altitude, et il substitue le calcul à la réflexion.  Jean Charest a peut-être rendez-vous avec telle victoire électorale; il vient de rater son rendez-vous avec l'histoire.




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999
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