Dixit Laurent Laplante
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Paris, le 6 décembre 1999
Les ambitions de Jean Chrétien

En retouchant un peu la question récurrente des Fourberies de Scapin, je me demande ceci : « Mais que diable Jean Chrétien va-t-il faire dans cette galère? »  Lui qui a toujours prétendu que les problèmes constitutionnels n’intéressent personne, voilà qu’il lance contre le Québec une offensive législative dont bien peu verront la pertinence et dont le bénéfice partisan risque d’être bien mince.

L’excuse offerte par M. Chrétien ne peut convaincre.  Que M. Bouchard se dise toujours souverainiste et qu’il réaffirme son intention de tenir un autre référendum quand de brûmeuses conditions auront été remplies, qui pourrait s’en surprendre?  Personne, sauf, semble-t-il, M. Chrétien.  Le premier ministre fédéral a converti une déclaration banale et répétitive de M. Bouchard en complot menaçant et en urgence nationale.  Bizarre.  Comme il est le seul à avoir vu l’ampleur et l’imminence du danger, c’est sa véritable intention qu’il faut scruter.

S’agissait-il pour M. Chrétien de se tailler un facile succès d’estrade devant des militants libéraux?  Non, car il pouvait obtenir ce résultat sans créer un comité chargé de rédiger un projet de loi.  La création du comité prouve que le geste de M. Chrétien était prémédité.  M. Chrétien a-t-il pensé qu’un référendum québécois était imminent?  Sûrement pas, car les sondages mettent présentement l’option souverainiste au plus bas de sa cote de popularité.  M. Chrétien voulait-il ramener dans le rang les quelques timides libéraux inquiets de voir le gouvernement central durcir ses attitudes?  Non, car les quelques réticences décelables dans les rangs libéraux n’ont jamais osé hausser le ton.  Elle n’ont jamais mérité un rappel à l’ordre.  M. Chrétien courait même plus de risques à écraser publiquement ces réserves à peine audibles qu’à les laisser longer peureusement les murs.  Alors, pourquoi diable cette agression?

Spéculons un peu.  M. Chrétien appartient à une longue série de politiciens qui n’ont atteint le sommet qu’après avoir été longuement honnis et sous-estimés.  De Nixon à Mitterrand, de Daniel Johnson père à Jacques Parizeau, ces hommes ont en commun une énorme patience et le courage de garder le cap alors que tout le monde, à commencer par les médias, les décrit comme d’éternels perdants.  Ils ont également en commun d’entretenir au fond d’eux-mêmes un certain goût de la revanche : « Un jour, le monde verra bien de quoi je suis capable. »  Quand vient ce jour, ils en profitent.  Et Nixon met fin à un conflit vietnamien dans lequel Kennedy et Johnson s’étaient enlisés.  Et Mitterrand ouvre enfin la France aux possibilités de l’alternance politique.  Et Daniel Johnson utilise savamment la visite du général de Gaulle à Montréal pour se donner une marge de manœuvre dans son affrontement avec Ottawa.  Et Jacques Parizeau redonne son unité et le pouvoir à un Parti québécois dont tout le monde avait vendu la peau.  Chez chacun de ces perdants enfin auréolés de la victoire, un même désir de s’illustrer et d’entrer dans l’histoire par la grande porte.

Et Jean Chrétien?  Il a vécu une grande partie de sa carrière politique dans l’ombre de Pierre Trudeau.  Il s’est conduit avec moins que l’élégance minimale dans le rapatriement de la constitution canadienne.  Il a toujours projeté l’image d’un exécuteur des basses œuvres et d’un indélicat égaré dans les mauvais salons.  Pendant des années, les médias ont prédit que jamais le Parti libéral ne vaincrait les conservateurs de Mulroney tant qu’ils auraient comme chef un Jean Chrétien.  Puis, la victoire est venue et elle a même renouvelé sa confiance en Jean Chrétien.  Il est aujourd’hui au stade où il ne lui manque qu’un laurier.  Lequel?  Réussir là où son maître Pierre Trudeau a échoué.  Réussir, par conséquent, à vider ce qu’il appellerait l’abcès séparatiste et entrer dans l’histoire comme celui qui a enfin tourné la page sur 40 ans de fièvre nationaliste.  M. Chrétien veut, pour de bon, briser les reins du souverainisme québécois.  Pierre Trudeau, on le sait, a toujours décrit ce mouvement québécois comme le fait d’un groupuscule.  À la fin de son règne, le groupuscule gouvernait le Québec.  Jean Chrétien, qui a toujours rêvé d’égaler et même de dépasser son maître, profite aujourd’hui d’une conjoncture inverse : les indicateurs économiques favorisent la stabilité politique et la souveraineté est en attente d’un nouveau souffle.  D’où la tentation pour M. Chrétien de frapper vite et fort.  Et d’en finir.

Achevons cette spéculation.  M. Chrétien en est au chant du cygne.  Ses jours sont comptés et le Parti libéral prépare déjà la succession.  Cela, M. Chrétien le sait et il ne s’en offusque pas.  Il tient cependant à terminer son règne sur un coup d’éclat.  Qu’il prenne garde, cependant, en montrant la même férocité que M. Trudeau, de ne pas aboutir au même résultat.  La souveraineté québécoise a la manie, en effet, de retrouver sa popularité quand quelqu’un la méprise et l’agresse.




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999
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