Québec, le 4 octobre 1999
L'école réduite à ses salles de cours
Après avoir provoqué quelques jours d'agitation étudiante, le boycott que
mènent les enseignants québécois à l'égard des activités parascolaires se poursuit maintenant dans le silence et l'indifférence. L'école, semble-t-on
croire, n'a rien sacrifié d'essentiel puisqu'elle continue à assurer les cours.
Une conception aussi étriquée de l'école a pourtant quelque chose de
sidérant. Si protestation il y a encore, ce n'est pas pour déplorer que les
enfants soient privés de quelque chose de vital, mais pour regretter que les
établissements culturels aient perdu une partie de leur public. Les
gestionnaires des musées et des théâtres s'inquiètent du manque à gagner; ceux et celles qui devraient porter le souci pédagogique n'ont apparemment rien à dire.
Car les activités parascolaires sont au coeur de la mission éducative. C'est
même là -- nous devrions tous le savoir -- que naît et se développe en priorité
l'autonomie des jeunes. Or, cette autonomie est très précisément l'objectif
qu'une école intelligente et responsable doit viser. Une école, en effet, n'est
pas uniquement une enfilade de salles de cours, mais un milieu de vie, le
lieu où l'on prépare des citoyennes et des citoyens capables de lucidité,
d'autonomie et de solidarité. Les cours, certes, ont leur utilité, beaucoup
sont même indispensables, mais ils ne contribuent que médiocrement à
l'apprentissage de l'autonomie.
Dans la salle de cours, l'enfant reçoit. On a décidé du contenu des cours
qui lui sont destinés. On a défini la cadence et le moment des
apprentissages. On s'en tient le plus souvent, pour transmettre les
contenus, à une pédagogie verticale, magistrale, hiérarchique. Tout cela se
défend, mais cela ne favorise guère l'autonomie dont l'école doit pourtant
être l'incubateur.
C'est là qu'intervient l'activité parascolaire. Le jeune qui s'insère dans une
équipe sportive bouge à son gré, décide librement de son prochain geste,
découvre des aspects de son potentiel que la salle de cours laissait dans
l'ombre. Il révèle également aux autres des facettes inattendues de son
être. Le jeune qui s'investit dans la radio étudiante peut oser, s'exprimer,
expérimenter, explorer. Il se découvre capable de parler, de vendre ses
idées, apte à assumer un rôle social. Il envisage son avenir et son choix de
métier en tablant sur de nouveaux optimismes. On en dirait autant de la
plupart des autres formes d'activités parascolaires : elles ont en commun
de contraster avec la passivité qu'exigent des jeunes l'immense majorité
des activités proprement scolaires. Suspendre les activités parascolaires,
c'est dire aux jeunes : « Votre apprentissage de l'autonomie n'est pas une
fonction essentielle de l'école. »
Que des enseignants puissent raisonner ainsi est triste à pleurer. Que des
professionnels de l'éducation anémient leur mandat jusqu'à le limiter à la
transmission de savoirs prédéterminés et jusqu'à l'amputer de sa dimension
libératrice et civique, voilà qui est bouleversant. Que le syndicalisme, dans
son désir légitime d'exercer des pressions efficaces, choisisse comme
première cible de son délestage ce qui fait la différence entre l'éducation
et les habiletés utilitaires, voilà qui scandalise.
Mais les enseignants ne sont pas seuls en cause. Les parents non plus
n'ont pas remarqué que l'école se modifiait en profondeur dès l'instant où
elle privait les jeunes de leur zone d'initiation à l'autonomie et à
l'exploration. Le Conseil des services essentiels n'a pas vu non plus, lui qui
aime départager le compressible et le névralgique, qu'un pan essentiel de
l'école avait basculé dans les limbes. Et le ministère de l'Éducation n'a pas
vu pourquoi il devrait réagir puisque le monde des arts et de la culture avait
déjà déploré son manque à gagner.
Suis-je en train d'accorder trop d'importance aux activités parascolaires?
Je ne crois pas. L'UNESCO conseille aux écoles du monde scolaire de
pratiquer le plus possible le problem-solving approach, cette pédagogie
qui place le jeune devant une énigme et lui laisse l'espace de la réflexion
et de l'autonomie. Les activités parascolaires sont, par excellence, le lieu
où la désirable créativité du jeune obtient le plus de respect. De la même
manière, l'International Assessment of Educational Progress conclut après
enquête que, même dans des domaines aussi pointus que la
mathématique, la nature des activités parascolaires a autant d'influence sur
la réussite que les conditions socio-économiques. Ce n'est pas peu dire.
Une école qui renonce sereinement à sa mission la plus tonifiante et la plus
démocratique se cantonne d'elle-même dans la transmission des savoirs
utilitaires. Elle cesse d'éduquer et se borne à instruire. Une société qui ne
voit pas ce que cela change ne peut pas se surprendre si, par la suite, trop
peu de ses femmes et de ses hommes sont capables d'autonomie.
Ministère de l'Éducation du Québec
Centrale de l'enseignement du Québec
Ministère de la Culture et des Communications
© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999 |