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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 2 décembre 2004

Lequel est le vrai Paul Martin?

Courtiser les capitales étrangères pour séduire de plus loin son électorat national, c'est un vieux truc. Souvent efficace d'ailleurs. Face à l'effervescence de mai 1968, de Gaulle trouva des beautés à la Roumanie. Richard Nixon, en perte de popularité auprès de l'électorat étatsunien, alla frayer avec les méchants communistes. Pierre Trudeau se fit pèlerin pacifiste et antinucléaire quand son image commença à se détériorer. Que le premier ministre canadien Paul Martin enfile présentement les visites à l'étranger, nul ne doit donc s'en étonner. À condition, toutefois, de ne pas en conclure que Paul Martin a bien mérité de son pays et qu'il possède l'étoffe des grandes figures internationales.

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Il est rare que la presse française, semblable en cela à la presse étatsunienne, se penche sur le Canada ou sur le Québec. Elle le fait plus souvent, surtout dans les pages économiques, depuis que le Canada équilibre son budget et fait l'envie des grands pays européens qui ne parviennent pas à respecter les règles financières qu'ils ont établies eux-mêmes. Comme Paul Martin était ministre des Finances au cours des années de redressement, c'est lui qu'on hisse sur le pavois.

Ce qu'on ignore à l'étranger, c'est la stratégie qui a valu au Canada de laisser derrière lui des déficits libellés en dizaines de milliards et d'accumuler des surplus qui attentent au bon sens et à l'équité. Cette stratégie s'est déployée sur deux fronts. Dans un cas, Paul Martin a fait main basse sur la caisse de l'assurance-chômage. Il l'a carrément intégrée à son budget comme si les milliards en attente ne provenaient pas des cotisations du monde du travail. Pour empêcher que cette caisse connaisse à son tour des déficits, il a modifié à la baisse les droits des travailleurs : il fallait désormais travailler plus longtemps pour obtenir des prestations réduites. L'astuce dépasse celle d'Alexandre avec son noeud gordien. Le déficit national, qui n'examinait pas l'origine des renforts, s'est gentiment résorbé.

Sur l'autre flanc, Paul Martin a appliqué une méthode aussi peu sympathique. À titre de ministre des Finances, il a réduit les transferts du gouvernement canadien, entre autres à propos des soins de santé. Cavalièrement, unilatéralement, cruellement. Les paliers inférieurs de gouvernement, provinces, municipalités et commissions scolaires, ont ainsi connu, grâce à cet « assainissement » du budget fédéral, des années de grandes convulsions financières.

Si compassion il y a dans les calculs de Paul Martin, elle est destinée exclusivement à l'exportation.

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Jaugeons aussi la fibre morale de l'homme qui propose à la francophonie réunie à Ouagadougou de citer devant les tribunaux ceux qui bafouent les droits humains. Sur ce terrain aussi, il semble qu'une membrane imperméable sépare les pratiques de Paul Martin à l'égard de ses concitoyens et les phrases offertes comme un encens à la communauté internationale.

Paul Martin est riche. L'entreprise qu'il a acquise, Canada Steamship Lines, a prospéré sous sa gouverne, en partie parce que le propriétaire gère ses avoirs personnels selon des principes que le public canadien connaît maintenant trop bien. Le ministre des Finances Paul Martin n'a jamais senti la nécessité de se délester de son entreprise personnelle ni de briser le rentable cordon ombilical qui la reliait aux générosités de l'État canadien. Paul Martin a préféré attendre d'être premier ministre pour confier la gestion de la Canada Steamship Lines... à ses fils. On présume que le père et ses fils n'échangent jamais de propos à connotation maritime. La Vérificatrice générale du Canada, quant à elle, s'étonne du brouillard qui enveloppe les relations de l'entreprise avec le gouvernement canadien. Si l'on ajoute à ces « détails » qu'une partie de la flotte en question bat pavillon de complaisance, que l'entreprise sait à quoi ressemblent les paradis fiscaux et que les équipages proviennent souvent de pays qui n'ont pas à respecter les standards canadiens en fait de rémunérations, on comprendra que les termes de transparence, d'équité et de respect des droits humains ne s'intègrent au vocabulaire de Paul Martin qu'au moment où il s'adresse à des auditoires étrangers.

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À peine de retour d'une tournée qui a permis à Paul Martin de se faire voir et entendre au Burkina Faso, en Haïti et au Soudan, le premier ministre canadien Paul Martin accueille en sol canadien le président George W. Bush. Moins d'un an après avoir succédé au premier ministre Jean Chrétien, Paul Martin obtient ce que son prédécesseur n'a jamais obtenu : une visite du président étatsunien. Sur ce terrain aussi, le recul critique produira plus de clarté que la transparence du personnage.

Car Paul Martin dissimule de son mieux la servilité avec laquelle son gouvernement accueille les incessants empiètements étatsuniens. Il ne voit rien d'anormal à ce que les entreprises canadiennes dont les camions traversent la frontière des États-Unis aient à noircir de copieux questionnaires au sujet de leur personnel, de leurs méthodes d'embauche, des précautions en vigueur contre le vol, etc. Le Canada ne demandera même pas entre quelles mains aboutissent ces informations. Paul Martin prétend que le bouclier spatial qui obsède les présidents étatsuniens l'un après l'autre ne sera pas évoqué au cours des « séances de travail » des deux leaders politiques, mais il suffit de prêter l'oreille à l'arrogant Donald Rumsfeld pour savoir que le Canada est déjà considéré comme un pion docile dans la planification de la Maison-Blanche. Recevoir le président Bush est peut-être prestigieux, mais le prédécesseur de Paul Martin, Jean Chrétien, avait sagement renoncé à ce contact pour mieux dispenser le Canada de l'aventure irakienne.

On appréciera également la souplesse avec laquelle le premier ministre canadien « module » ses propos. Il brandit la foudre et le tonnerre en Afrique, mais il redevient obséquieux s'il rencontre George Bush. Les États-Unis ignorent l'une après l'autre les décisions rendues par l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en faveur du Canada à propos du bois d'oeuvre, mais le Canada demeure admirablement patient. Les États-Unis expédient en Syrie un citoyen canadien qui faisait escale chez eux, mais cela ne provoque pas de la diplomatie canadienne une diatribe comparable à celle que le Canada sert à l'Iran à propos de la journaliste irano-canadienne Kazimi battue à mort à Téhéran. Les exportations de boeuf canadien en direction des États-Unis demeurent bloquées plus longtemps que nécessaire à cause d'un cas de vache folle, mais le Canada se borne à compter les mois.

La souplesse est une qualité, à condition qu'elle ne soit pas synonyme de servilité et d'amnésie. Dans le cas de Paul Martin, elle est extrême.

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Parfaitement à l'aise au sein d'un Parti libéral canadien qui gère l'État comme un legs familial, Paul Martin a vainement tenté de se dissocier du « scandale des commandites ». Il n'aurait jamais su, ce qui étonne de la part d'un ministre des Finances présumé compétent, que le gouvernement libéral bafouait les règles administratives pour mieux noyer le courant souverainiste québécois à coups de commerciaux illégaux. Paul Martin, ministre des Finances, n'aurait pas remarqué la dérivation de 150 ou 200 millions. Comme par hasard, c'est au moment où l'enquête publique allait évoquer son étonnante myopie que le premier ministre a senti l'appel du grand large. Comme par hasard, Paul Martin était « hors du pays » ou en « séances de travail » au cours des derniers jours.

La stratégie aura trop bien fonctionné si l'opinion mondiale a vu en lui un charismatique leader politique aux valeurs morales impeccables.


Laurent Laplante

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Recherche : Mychelle Tremblay

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