Dixit Laurent Laplante, édition du 21 octobre 2004

Certitude, quand tu nous tiens!

Au lendemain du scrutin qui a doté le Canada d'un gouvernement minoritaire pour la première fois en vingt-cinq ans, le chef du Parti libéral imitait assez bien le ton de la repentance. « Nous avons compris, disait-il, et nous tiendrons compte du message de l'électorat. » Il aura suffi de quelques semaines pour que fonde le maquillage. Dans le gouvernement chambranlant issu de l'ambivalence de l'électorat canadien, la démocratie ne reçoit son dû que si le parti de Paul Martin risque la culbute. Exemple unique? Non. Plutôt tendance lourde, à en juger du moins par l'acharnement du président Bush à entendre le tumulte irakien comme la voix sereine d'un monde apaisé ou, à notre échelle, par l'entêtement du chef péquiste Bernard Landry à s'enfermer dans une impasse blindée et à laisser tomber la clé dans les oubliettes. Décidément, il n'est pas de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

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Qu'un gouvernement soit minoritaire ne provoque pas les larmes. Qu'un parti qui gouverne et triche à la manière d'un despote incontesté soit soudainement astreint à quelques interrogatoires serait plutôt un motif de satisfaction et un espoir de transparence. Plus élégant, beaucoup plus démocrate, Paul Martin aurait pu aligner ses comportements sur la nouvelle donne et imiter de son mieux la politesse de ceux qui n'ont pas le choix. C'était trop demander. Toujours convaincu que son statut de minoritaire ne durera que le temps d'un demi-parfum de rose et que la monarchie libérale occupera de nouveau le trône qui lui appartient de droit divin, il adopte spontanément le ton de l'ultimatum. Quand le Bloc québécois a exigé que le nouveau parlement dise clairement les choses et admette par conséquent l'existence d'un déséquilibre fiscal, le premier ministre Martin a vu là un crime de lèse-majesté et menacé de provoquer un nouveau scrutin. À peine la fumée finissait-elle de lui sortir par les oreilles que le chef libéral négociait avec ses principes et amendait son texte. L'arrogance incrustée dans les moeurs libérales s'était pourtant étalée dans toute sa vigueur.

Quand l'amendement proposé par le Parti conservateur a atteint l'avant-scène, la dramaturgie ne jouait plus. Tout ce que demandait Stephen Harper, c'était que la Chambre des communes puisse s'exprimer au sujet de la participation du Canada au détestable projet du bouclier antimissiles étatsunien. Rien pour ébranler le gouvernement minoritaire de Paul Martin, puisque libéraux et conservateurs sont déjà agenouillés devant le projet et qu'ils représentent ensemble une nette majorité des élus. Cela, apparemment, ne suffisait pas à l'orgueil libéral. Il fallait défoncer la porte béante. Le gouvernement libéral insista donc pour dire que la porte ouverte était ouverte et que le vote relèverait d'un cérémonial sans portée concrète. Comportement infantile aux antipodes de ce qu'on attendrait d'un gouvernement qui a promis de quitter l'Olympe.

Au cas où un doute subsisterait quant à l'enlisement libéral dans la possession tranquille de la vérité triomphante, le ministre fédéral de l'Environnement Stéphane Dion a décrété urbi et orbi l'inutilité d'un débat des communes au sujet du protocole de Kyoto. Qu'on nous fasse confiance, demande Stéphane Dion. Peut-être ne sait-il pas que le Canada, engagé depuis Rio à réduire ses émissions de gaz à effet de serre, dépasse présentement de vingt pour cent ce qu'il se permettait en 1990. Comme transparence et comme humilité...

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Tendance lourde, pourtant, que cette propension des élus à réclamer l'acte de foi même dans les circonstances les moins conciliantes. Le président George Bush, protégé par sa bulle, juge le monde plus sûr qu'avant septembre 2001. Le chef péquiste Bernard Landry, aligné sur on ne sait quelle comète, s'engage à tenir un troisième référendum sur la souveraineté « dès la première moitié du prochain mandat gouvernemental » de son parti. Dans les deux cas, l'affirmation tient lieu de preuve et le souhait est présumé apte à intimider le réel.

Avant de ridiculiser la méthode, mieux vaudrait pourtant en admirer l'efficacité. Certes, on peut s'étonner que George Bush s'enorgueillisse d'une agression menée au nom de craintes mal fondées et qu'il affirme, à la face du monde, ne s'être jamais trompé, mais une autre surprise l'emporte nettement sur celle-ci : la moitié de la nation américaine lui donne raison. Quant à Bernard Landry, il applique la stratégie qu'on attribue à un maréchal français : « Mon centre craque, ma gauche recule, j'attaque! » Là encore, l'invraisemblable se produit : l'affirmation arrache l'adhésion, du moins à l'intérieur d'un cercle fervent.

Tout en admirant (?) l'efficacité d'un tel dédain du réel, ne confondons pas court terme et résultats durables. Les dettes colossales découlant de l'entêtement de Bush pèseront longtemps sur l'économie étatsunienne et même sur celle de la planète. Bernard Landry remporterait-il son double pari - victoire électorale et tenue d'un troisième référendum - qu'il pourrait bien devenir le fossoyeur de l'espoir souverainiste du Québec. Ce n'est certes pas mon voeu, mais c'est ma crainte.

Laurent Laplante

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20041021.html

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