Dixit Laurent Laplante, édition du 23 septembre 2004

Multiples dangers du populisme

Au cours des jours derniers, la propension au populisme a montré à quels dangers elle exposait les médias et, par ricochet, l'ensemble de nos sociétés. Dan Rather et le réseau CBS sont contraints à de plates excuses pour avoir diffusé des informations mal verrouillées; la circonscription de Vanier passe aux mains de l'Action démocratique du Québec (ADQ) grâce à la connivence de médias dangereusement démagogiques; la télévision de Radio-Canada, après avoir largement perdu ses marques, contamine maintenant la radio publique et étouffe ce qui reste de liberté aux auditoires. Inquiétant creux de vague ou tendance lourde?

--------

Une fois de plus, les grands médias étatsuniens font la preuve qu'ils peuvent être tour à tour serviles et rancuniers. Le parallèle entre aujourd'hui et l'après-Watergate est à cet égard éclairant, même si on ne devrait pas le pousser trop loin. Qu'on se souvienne. Richard Nixon, président inattendu, a terminé son premier mandat aux acclamations de tous. Les médias avaient pris l'habitude de le croire sans vérification et d'épouser docilement ses causes. Entre la presse et la Maison-Blanche, la cordialité régnait et encourageait le relâchement journalistique. Quand éclata, grâce à deux jeunes journalistes, l'affaire du Watergate et que la duperie républicaine s'étala sur la place publique, la presse étatsunienne imita le renard de la fable : elle aussi « jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus ». La presse, rancunière et toujours prompte à battre sa coulpe sur la poitrine de quelqu'un d'autre, devint anormalement soupçonneuse, méfiante, tatillonne. Le président Carter, qui succédait à Nixon, en prit pour son rhume et ne parvint jamais à reprendre le dessus.

Aujourd'hui, jusqu'à un certain point, répète cet étrange retour du pendule. Plusieurs des grands médias étatsuniens ont compris, mais bien tard, que George W. Bush les a trompés et qu'ils avaient avalé ses mensonges avec trop de candeur. Il leur faut, d'urgence, se racheter une virginité. Après l'aveuglement, les rayons X. Après l'endossement tout azimut, la filature inquisitoriale. Dan Rather et CBS ont procédé à un rétablissement différent de celui du New York Times et du Washington Post, mais leur motif était le même : prouver qu'on regrette sincèrement la crédulité des dernières années. Un journalisme qui compense ses erreurs par un excès de zèle aboutit à ce populisme. Le public trouve là de quoi douter encore davantage de la presse.

--------

La victoire qu'obtient l'ADQ dans la circonscription de Vanier dans la capitale du Québec témoigne elle aussi de la force perverse de la démagogie. Tocqueville voyait loin quand il prédisait la tyrannie de la majorité. Autant il y aurait eu motif à réjouissance si le parti de Mario Dumont avait amélioré sa députation par les bons moyens, autant on doit s'inquiéter de la victoire de médias irresponsables et d'apprentis-sorciers. Tenus dans le Salem d'une autre époque, les propos qui ont conduit à la victoire de l'ADQ se seraient fondus dans le climat général et malsain; rien qui révèle une louable maturité politique dans la capitale d'un éventuel pays. L'ADQ, je l'ai dit souvent, est injustement traitée par notre système électoral. Le scrutin général de l'an dernier aurait dû lui valoir une meilleure représentation. L'ADQ aurait dû également, si le chef du Parti québécois n'avait pas succombé à la mesquinerie, recevoir le statut de parti officiel. Au lieu de demander à l'électorat de corriger les failles du système en haussant le nombre de députés adéquistes, ce qui aurait été admissible et compris, l'ADQ a préféré pactiser avec ceux qui poussent à l'ébullition les thèmes explosifs de la liberté anarchisante et d'une prostitution juvénile dramatisée à plaisir.

On verra très bientôt si l'ADQ, piégée par ses tendances au simplisme et à la démagogie, tient parole, si, comme elle l'a promis, elle fait pénétrer à l'intérieur de l'Assemblée nationale les « vraies questions ». Promesse imprudente qui coince la jeune formation de Mario Dumont entre ses engagements électoraux et le programme attendu d'un parti désireux d'assumer le pouvoir. Quant à ces médias qui ont fait le jeu de la démagogie tout en faisant semblant de se placer hors de la mêlée, qu'ils se sachent complices.

--------

Une certaine démagogie propre aux médias consiste à renvoyer l'auditeur ou le téléspectateur à sa liberté de choix : « Si vous n'êtes pas content, allez voir ailleurs. » De cette liberté, beaucoup se sont prévalus au fil des ans. Comme moi, ils ont abandonné d'abord la télévision privée qui, pour une demi-heure défendable, provoque le gaspillage de je ne sais combien d'heures. Quand la télévision de Radio-Canada s'est jointe au choeur du racolage, les insatisfaits qui me ressemblent ont dirigé vers la radio leur liberté de choix. Évidemment pas la radio privée, surtout pas dans une région aussi rageuse que celle de la capitale, mais la radio publique. C'était l'ultime recours. Mais voilà que Radio-Canada émascule sa chaîne radiophonique dite culturelle, encourage sa radio à relayer la grossièreté de sa télévision et impose aux radiophiles l'audition des inepties télévisuelles qu'ils jugent salissantes. Comme résidu de liberté, que reste-t-il?

Qu'une télévision publique rivalise de mauvais goût avec ce qu'est devenue la télévision privée, c'est déjà une dégénérescence et un détournement de fonds. Quand, de surcroît, la télévision d'État se pique de ne pas verser dans la téléréalité, mais se complaît dans une programmation qui emprunte au trottoir autant que sa concurrente, la tartuferie pimente les calculs bassement mercantiles. Tout en reconnaissant à autrui le droit de trouver du charme ou du piquant à une diffusion publique qui a renoncé à ses différences et qui ignore sa mission, j'estime avoir le droit de ne pas la subir contre mon gré. Puis-je espérer que la radio publique ne m'infligera pas les indécences dont je croyais me protéger en fermant la télévision?

Il semble que non. Je refuse l'abrutissement de « Tout le monde en parle », mais la radio régionale de Radio-Canada me fait subir le lendemain de l'émission une entrevue populacière et même ordurière avec l'animateur de l'émission. Et Maisonneuve en direct contourne également mes défenses en diffusant comme s'il s'agissait d'un service public les meilleurs (?) extraits d'une empoignade entre un faussaire et un caricaturiste caricatural. Pour faire bonne mesure, la radio régionale de Radio-Canada rempile en après-midi pour que je n'ignore rien des voluptés malsaines de la télévision d'État et que j'ignore tout de ce qui se passe à l'Université Laval ou dans les services sociaux de la région.

J'estime qu'on brime mes droits quand la radio publique, sur laquelle je me rabattais, s'alimente à l'inculture de la télévision, en fait la promotion, se laisse contaminer jusqu'à l'os et me prive de toute possibilité de respirer un air moins pollué.

--------

La démagogie est l'un des précipices qui guettent la démocratie. Celle qui déferle maintenant menace directement les institutions névralgiques que sont la presse et la représentation politique. Qu'il soit donc permis de demander à Radio-Canada : « Y a-t-il un pilote dans l'avion? »

Laurent Laplante

__________

URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20040923.html

ACCUEIL | ARCHIVES | ABONNEMENT | COURRIER | RECHERCHE

© 1999-2004 Laurent Laplante et Les Éditions Cybérie. Tous droits réservés.