Dixit Laurent Laplante, édition du 26 août 2004

Vivement autre chose!

C'est rarement avec joie qu'on voit s'éteindre l'été et les teintes tourner à l'ocre. Quand, cependant, l'automne survient après un été stérile et crispant, on souhaite que la page se tourne. C'est le cas. L'affrontement entre George Bush et John Kerry s'est enlisé si profondément dans les attaques personnelles et les convergences déprimantes qu'on aspire à l'élection elle-même. Au Canada, le premier ministre Martin a passé l'été à creuser le fossé entre ses engagements électoraux et ses décisions concrètes. Quant au Québec, il a donné pendant l'été le spectacle d'une stérilité assez bien partagée entre ses trois partis principaux. Vivement l'automne!

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D'une longueur à émousser toutes les patiences, la course à la présidence étatsunienne a notablement réduit les attentes des électeurs et du monde en général. Les deux camps ont dépensé des dizaines de millions en commerciaux tonitruants, mais aucun n'a renouvelé les horizons. La culture des États-Unis, dont on attend un contrepoids aux propensions hégémoniques du pays, est trop peu intervenue pour renvoyer les deux camps à leur calme et leurs valeurs. On en arrive à un débat indigent autour des médailles militaires de l'un et des absences de l'autre. Comme s'il s'agissait d'élire non pas un chef d'État, mais un colonel. La culture la plus vivante du globe se dégrade en promesses de violence.

La surenchère entre démocrates et républicains aura servi les intérêts d'Ariel Sharon. Grâce à elle, le premier ministre israélien a pu, au mépris de toute décence, charcuter les pauvres territoires palestiniens, affamer et assoiffer des milliers de réfugiés, piétiner les conventions internationales. Ni l'Europe, ni la Russie, ni le verbeux monde arabe n'ont connu un été inventif ou courageux.

Quand à l'Afghanistan et à l'Irak, pays « libérés », ils ne jouissent encore que d'une sécurité circonscrite et d'une autonomie plus douteuse encore. Le gouvernement afghan assume à Kaboul le rôle modeste de conseil municipal, tandis que le reste du pays est retourné aux guerres de clans et à la culture de l'opium. En Irak, l'été a été pire encore. Des combats s'éternisent, alors que les ultimes prétextes sont disparus : Saddam Hussein est en prison, les armes de destruction massive manquent à l'appel, rien ne rattache les résistants irakiens au terrorisme qui meuble les discours de Bush et de Kerry... Alors, au nom de qui ou de quoi la force de frappe étatsunienne continue-t-elle de tonner?

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Au Canada, Paul Martin perpétue avec un beau souci de continuité les moeurs du premier ministre Chrétien auquel il a succédé en promettant du neuf. Après avoir mis fin aux travaux du comité qui se penchait sur le scandale des commandites, le premier ministre Martin a accueilli sans broncher la démission du PDG de la Société des postes. Il n'a pas compris qu'une démission n'efface pas tout. On manifestait une autre sévérité quand on contraignait l'ancien commissaire George Radwanski à divers remboursements...

M. Martin consolide aussi les contacts inquiétants qui se sont établis au fil des ans entre le Parti libéral et ses généreux commanditaires. Lui aussi va s'adonner au jeu des rencontres privées. Verser des fonds à l'organisation libérale achètera encore le droit d'échanger à huis clos avec le premier ministre. Pourquoi briser cette belle tradition? Pierre Trudeau lui-même, on s'en souviendra, avait reçu de donateurs anonymes une piscine dite publique, mais dont bien peu de Canadiens ont pu profiter. M. Martin recourra sans doute tout à l'heure à la justification déjà offerte quand il fut interrogé au sujet de ses voyages dans les avions de compagnies privées : « Ce sont des amis... »

Toujours prêt à substituer le discours vide à une réforme significative, Paul Martin prétend également créer du neuf en présentant à un comité les noms de deux nouveaux juges de la Cour suprême. Présenter est le terme exact, car il ne s'agit pas de soumettre les choix à qui que ce soit. Comme les décisions sont déjà arrêtées, nul recul critique ne pourra s'insérer dans un processus discutable. M. Martin continue à exercer seul son pouvoir de composer la Cour suprême selon son caprice. Quant à eux, les partis d'opposition n'ont pas compris que le tribunal suprême du Canada n'arbitrera de façon correcte les litiges entre le gouvernement central et les provinces qu'au moment où les provinces (pas les partis fédéraux d'opposition) participeront au choix des juges de la Cour suprême.

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Au Québec aussi, l'été se termine sans susciter l'euphorie. Le parti gouvernemental laisse l'année scolaire s'amorcer sans propager la moindre clarté sur le financement et les orientations du monde de l'éducation. C'est plutôt aux promoteurs de Mont-Tremblant qu'on versera, sans d'ailleurs mener les études souhaitables, l'argent dont les jeunes ont besoin. De même, le gouvernement de Jean Charest termine l'été sans avoir assaini la situation à Kanésataké, sans avoir honnêtement séparé le dossier de l'équité salariale et celui des négociations de la fonction publique, sans avoir rassuré l'opinion au sujet des congestions dans le système de santé, sans accélérer la réforme des institutions démocratiques...

Comme s'il tenait à se montrer aussi impuissant que John Kerry à profiter des bourdes de l'adversaire, le Parti québécois termine la saison en pire posture qu'au départ. L'ancien premier ministre Jacques Parizeau, qui gagnerait à suivre auprès de Jean Chrétien ou de Daniel Johnson quelques leçons sur « l'art de quitter la scène politique », ressuscite l'idée d'une élection référendaire et plonge dans l'embarras l'actuelle direction du Parti québécois. Certains, au sein même du PQ, en profitent pour réclamer une évaluation rapide du leadership de Bernard Landry, l'actuel chef de l'opposition. Celui-ci, qui n'éprouve aucun mal à contrôler son humilité, le prend de haut. Il adopte pour écarter la demande le ton qu'il ne faut pas et qui crispe même ceux qui reconnaissent ses états de service. Il aurait pu dire, calmement, qu'un parti d'opposition diminue ses chances de reprendre le pouvoir s'il se lance trop tôt (trois ans d'avance!) dans une course à la direction; il aurait pu ajouter qu'il se soumettra à l'exercice quand s'approchera l'échéance électorale. Au total, l'été péquiste aura peut-être valu au Parti libéral de Jean Charest d'effectuer dans les sondages une remontée imméritée.

Du côté de l'Action démocratique du Québec (ADQ), la situation a évolué de façon plus heureuse. Du moins selon les critères plutôt épidermiques du chef Mario Dumont. Loin de retenir la leçon du scrutin de 2003 et de raffiner d'urgence un programme électoral échevelé, Mario Dumont succombe de nouveau à la tentation du raccourci et de la démagogie. Au lieu de réclamer que soit radicalement modifié le régime électoral qui prive l'ADQ de la représentation parlementaire qu'elle mérite, il tente d'entraîner le Québec dans une offensive improvisée contre les institutions fédérales qui encadrent le secteur des communications. J'ai déjà dit tout le mal que je pense d'un CRTC anachronique; je persiste à croire, pourtant, que « l'on ne détruit bien que ce qu'on remplace ». Mario Dumont, myope et démagogue, préfère songer à l'élection complémentaire du 20 septembre qu'aux solutions à plus long terme.

Vivement l'automne et un minimum de couleur.

Laurent Laplante

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20040826.html

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