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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 19 août 2004

Les pions qu'on déplace, les examens qu'on omet

En dépit du fait qu'il soit moins assuré que jamais d'obtenir un nouveau bail à la Maison-Blanche, le président George Bush annonce que les forces étatsuniennes connaîtront prochainement de nouvelles assignations. Au même moment, le Vénézuela d'Hugo Chavez fait la démonstration qu'il est ardu, mais possible de résister aux pressions étatsuniennes. Il y a donc une saine délinquance chez certains pions.

Quant aux souhaitables examens de conscience qu'on attendrait des médias après trois ans de « distraction orchestrée », certains se font, d'autres tardent. Après le New York Times (NYT), c'est au tour du Washington Post de confesser les insuffisances de l'information offerte à propos de l'Irak. Dans la plupart de ces aveux tardifs, l'Irakien Chalabi est décrit comme un des grands responsables du déséquilibre de l'information. Toutefois, aucun journal n'a encore jugé bon d'examiner ses « dettes » à l'égard des démarcheurs israéliens. Cette fois, le tri n'est pas rassurant.

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Quand George Bush explique à un auditoire militaire que 60 000, 70 000 ou 100 000 soldats étatsuniens seront déplacés d'une base ou d'un pays à l'autre, on pense spontanément au Chaplin du Dictateur. Dans les deux cas, la planète est réduite au statut de mappemonde docile et malléable. Emporté par son délire, le personnage de Chaplin joue avec son globe terrestre et lui impose les trajectoires qui conviennent à son caprice. Bush? Même attitude. On dépouillera l'Allemagne des bases militaires étatsuniennes qui y sont installées depuis 1945; on les déplacera vraisemblablement vers la Pologne qui a bien mérité de l'administration Bush et qui travaille ardemment à accroître l'emprise américaine sur l'OTAN. On agira avec la même désinvolture dans le reste du monde, rapprochant l'armée étatsunienne de théâtres jugés inquiétants et imposant à divers pays une présence propre à attirer la colère et les attentats des fanatiques. Parions que la Maison-Blanche n'a pas vu de contradiction entre ce comportement hégémonique et la souplesse qu'on prétendait avoir apprise face à la communauté internationale.

Qu'en pensent les pions? Ça n'a pas de fierté, des pions! Paraît-il qu'on les a consultés. Paraît-il que les transferts s'effectueront entre 2006 et 2011. De deux choses l'une : ou la déclaration du président Bush relève de l'improvisation ou elle précise les menaces qui déjà hypothèquent l'avenir. S'il s'agit d'un propos vide de portée, il révèle le cynisme du candidat républicain et son mépris pour les autres États; si le candidat Bush et son état-major ont planifié sérieusement la mise sous surveillance de la planète entière, retournons visionner Le Dictateur.

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Il arrive pourtant que se dresse un Hugo Chavez et que des millions de Vénézuéliens préfèrent les manières rugueuses de leur président au renforcement de l'emprise étatsunienne sur le pays. Malgré les millions dépensés par la CIA pour que Chavez connaisse le sort d'Allende ou d'Aristide, Chavez remporte son référendum avec tant d'éclat qu'il mérite l'accolade de l'ancien président américain Jimmy Carter. Quant à l'Organisation des États américains (OEA), elle oublie un instant la servilité qui l'a toujours tenue aux ordres de Washington et l'ostracisme honteux dont elle frappe encore Fidel Castro. Elle proclame elle aussi la légitimité de Chavez.

L'administration Bush a quand même prétendu pendant un moment qu'il fallait attendre une enquête et vérifier si les accusations de fraude sont fondées. La même administration, on s'en souviendra, après avoir avoir offert tout son soutien au coup d'État tenté il y a deux ans contre Chavez, n'avait même pas attendu le coucher du soleil pour pactiser avec le clan des mutins. À ce moment, il n'y avait pas matière à soupçon ni à enquête, car la CIA ne tenait pas à examiner ses propres gestes.

Chavez n'a pourtant obtenu qu'un sursis. Washington n'a ni épuisé sa rancune pour le leader vénézuélien ni renoncé à le faire disparaître. Variable importante : la résistance irakienne. Tant que les approvisionnements pétroliers en provenance de l'Irak demeureront aléatoires, le Vénézuela demeure un fournisseur dont Washington doit endurer les humeurs.

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La réaction de la Maison-Blanche à l'éclatante victoire de Chavez ferait rigoler si son versant menaçant ne l'emportait pas. Pour deux raisons. La première, c'est que le système électoral jouit de la part de la Maison-Blanche républicaine d'une admiration à géométrie variable. La seconde, c'est qu'on n'a jamais précisé à qui il aurait fallu confier l'enquête sur l'imprécise corruption dont aurait profité Chavez.

Dans leur exportation pressante et forcée de la démocratie, les États-Unis appliquent leur doctrine de façon variable et sélective. Lors de la première attaque contre l'Irak, on avait laissé entendre que les victimes de Saddam Hussein, le Koweit et l'Arabie saoudite, progressaient en direction d'élections libres. Depuis lors, rien n'a bougé. Le président Bush s'accommode lui-même assez bien d'un processus électoral qui lui a procuré un résultat douteux et qui, cette année encore, mettra à contribution des « machines à voter » fort peu fiables. Quant aux élections promises au Pakistan, en Afghanistan et en Irak, mieux vaudrait leur accorder une crédibilité moindre qu'aux prévisions de la dernière cartomancienne. Dans ce contexte, douter de la victoire de Chavez manifestait une mauvaise foi que je qualifierais d'inconfusible si le mot existait...

D'autre part, la Maison-Blanche se ridiculisait en réclamant une enquête sur la campagne référendaire de Chavez. Qui aurait mené cette inutile enquête? Les mécanismes de surveillance normaux étaient en place et niaient déjà le bien-fondé des accusations. Les tribunaux internationaux qui auraient pu à la rigueur connaître du litige ne sont pas reconnus par Washington. On voit le cul-de-sac : une enquête sur la campagne de Chavez n'aurait été acceptable pour la Maison-Blanche qu'à condition de relever des Éats-Unis dont on sait déjà qu'ils tiennent à liquider Chavez... Heureusement, on s'est vite rendu compte de l'impasse dans laquelle on s'enfermait.

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Les comportements belliqueux et minutieusement trompeurs de l'équipe Bush inquiéteraient moins si les grands médias étatsuniens recouvraient enfin leur pleine autonomie. Il y a progrès. On a pu l'apprécier quand deux des grands quotidiens du pays ont calmé l'opinion en révélant que la hausse du niveau d'alerte découlait d'informations périmées. On a également fait un pas dans la bonne direction en circonscrivant les mensonges répandus par le démarcheur Chalabi. On aura cependant remarqué que ni le New York Times, ni le Washington Post n'ont jugé nécessaire de tourner les réflecteurs vers le travail efficace et discret du puissant lobby israélien. Pourtant, n'importe quelle personne sensée admettra que ce lobby pèse autrement plus lourd sur les orientations américaines et sur la politique éditoriale des grands médias que le dénommé Chalabi. Même le Business Week, qu'on ne soupçonnera pas d'antisémitisme virulent, s'étonnait de ce que Michael Moore n'ait pas non plus évoqué le rôle pourtant indéniable de ce lobby.

Tant mieux si des pions se rebiffent. Tant mieux si les médias vont jusqu'au bout dans leur examen de conscience.


Laurent Laplante

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Recherche : Mychelle Tremblay

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