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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 5 août 2004

Accords rassurants? Peut-être

Certaines unanimités surgissent de façon si rapide et inattendue qu'on cherche le chaînon manquant ou, si l'on préfère, l'étape qui a dû nous échapper. Non qu'on tienne tellement à ce que perdurent les tensions et les désaccords, mais parce que l'harmonie semble tenir du miracle et donc de l'invraisemblable. En somme, c'est trop beau pour être vrai. Quand, par exemple, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) dégage soudain un consensus entre 147 pays à propos des échanges commerciaux, le choc, pour bénéfique qu'il paraisse, ne s'absorbe pas aisément. De même, on se frotte les yeux en lisant que les premiers ministres des provinces canadiennes se sont entendus en quelques heures sur le principe d'une assurance-médicaments et cela, sans ébranler le régime que possède déjà le Québec. À l'examen, la méfiance recouvre ses droits : des clarifications demeurent indispensables. Dans les deux dossiers.

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N'en déplaise à la clameur populaire, le coût des médicaments dépasse présentement au Québec la rémunération globale des médecins. De plus, c'est dans le secteur des médicaments que se manifestent les plus fortes augmentations de dépenses. Le Québec répondait donc à des pressions palpables quand il a créé son régime d'assurance-médicaments. Cependant, preuve que le problème n'est pas résolu pour autant ni même contenu, le régime coûte de plus en plus cher et ne boucle son budget que grâce à des augmentations douloureuses des cotisations.

C'est dans ce contexte que surgit l'entente intervenue ces jours derniers lors de la rencontre entre les premiers ministres provinciaux. Comme l'expérience québécoise fait déjà partie des repères concrets, on peut présumer que le régime proposé par les premiers ministres des provinces présentera des caractéristiques analogues : coût extrêmement élevé et tendance à la hausse des cotisations individuelles. Pourquoi, dès lors, cette euphorique unanimité? Tout bêtement, je le crains, parce que les élus n'ont aucune objection à résoudre leurs crises budgétaires sur le dos des consommateurs de médicaments. Ils règlent leur problème, ce qui ne signifie pas qu'ils résolvent le nôtre. Car telle peut être la pirouette : un régime d'assurance-médicaments qui se finance par les cotisations des personnes alourdit les coûts de santé confiés aux portefeuilles personnels, mais soulage d'autant les budgets gouvernementaux. On voit donc l'astuce. Puisqu'ils ne parviennent pas à s'entendre sur le partage des impôts destinés à la santé, nos élus conviennent, en notre absence, de lever un nouvel impôt, celui de la cotisation au régime d'assurance-médicaments. Il fallait y penser et, comme d'habitude, donner tort aux absents que nous sommes.

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Le Québec, en apparence du moins, sort gagnant de cette astuce. Il possède déjà, en effet, son propre régime d'assurance-médicaments et se fait fort d'exercer un droit de retrait avec compensation. Le Québec continuerait donc de financer son régime par les cotisations individuelles et obtiendrait d'Ottawa l'équivalent de ce qu'il en coûterait au gouvernement central pour rattacher le Québec au régime canadien. Le bonheur québécois est tel que le critique du Parti québécois félicite le gouvernement libéral de Jean Charest d'avoir si bien défendu les intérêts de la belle province.

Empêchons quand même le bonheur de tourner à l'extase. Le flou est si omniprésent dans le bel accord qu'on ne sait pas encore combien le régime envisagé coûtera aux individus ni s'il soumettra discrètement les provinces aux normes fédérales auxquelles elles prétendent d'opposer. La première question est d'ordre financier. Si, en effet, Ottawa gère son régime d'assurance-médicaments comme Québec administre le sien, ce sont les individus qui en font les frais et le gouvernement central n'aura ni à le financer ni à verser une grosse compensation au Québec. La seconde question a trait aux normes qui ne manqueront pas d'émerger. Quelques exemples illustreront. La liste des médicaments admissibles au régime sera-t-elle la même au Québec et dans le reste du Canada? Qui l'établira? Quelle autorité déterminera si le régime s'oriente vers les médicaments génériques ou les médicaments brevetés? Y aura-t-il réduction ou abolition des cotisations dans le cas des assistés sociaux? Selon quels critères? Qui, des provinces responsables des ordres professionnels ou du gestionnaire canadien, surveillera les bizarres (et inquiétantes) relations entre pharmaciens, entreprises pharmaceutiques et médecins responsables des prescriptions?

Parions que le bonheur estival qu'ont pu éprouver nos élus québécois baissera d'un cran lors de la montée des questions.

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À première vue, l'entente arrachée par l'OMC après cinq jours de débat suscite un contentement comparable. Enfin, enfin, enfin, nous dit-on, les subventions des pays riches à leurs producteurs agricoles s'effilocheront et disparaîtront. Enfin, l'hémisphère sud aura accès au marché des pays nantis et ceux-ci ne pourront plus dévaster l'économie des pays pauvres en écrasant mortellement l'agriculture locale et régionale sous les monocultures propagées par les conglomérats. Aurait-on, sans le savoir, fermé l'oeil un instant pendant que s'effectuait la révolution?

« Calmati! », diraient les Italiens. L'OMC, en effet, n'a encore obtenu que le libellé d'une intention pure et abstraite. Le texte permet tout au plus la reprise, à compter de septembre, des négociations bloquées par les échecs de Seattle, de Cancun... On s'entend, il est vrai, pour tendre vers « la réduction des droits de douane et des aides gouvernementales dans trois domaines : l'industrie, l'agriculture et les services ». Bel idéal ou mirage? C'est à voir. Tous, d'une part, ne définiront pas de la même manière et avec la même générosité le terme de « réduction ». Plusieurs, d'autre part, retiendront surtout le bémol qui édulcore l'entente : « ...les pays auront le droit de maintenir des barrières douanières pour certains produits, ceux qu'ils considèrent comme les plus importants ». Le Canada, quant à lui, aurait quelques bonnes raisons de modérer ses réjouissances. Les traités lui garantissant le libre-échange avec les États-Unis ne sont appliqués ni à propos du bois d'oeuvre ni à propos des exportations de viande bovine.

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L'été n'est pas le saison la plus propice aux analyses rigoureuses. Les médias souffrent de l'absence de plusieurs de leurs spécialistes, les syndicats et les associations de paysans surveillent le ciel et ses nuages plus que les études techniques, le public estime qu'il sera toujours temps de jauger les hypothèses déprimantes. Obtenons quand même que subsistent certains doutes prudents.


Laurent Laplante

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Recherche : Mychelle Tremblay

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