Dixit Laurent Laplante, édition du 17 juin 2004

Une autre promesse en panne?

Sans même se donner la peine de chercher ou de polir une explication défendable, le gouvernement québécois de Jean Charest s'emploie à rendre improbable l'indispensable réforme des institutions démocratiques. Réforme pourtant promise, promesse pourtant assortie à sa naissance d'un échéancier agréablement court. Non seulement le Parti libéral trahit ainsi une autre des promesses surgies pendant la campagne électorale de l'an dernier, mais il réduit la transformation requise à un bricolage superficiel et trompeur. Non seulement il n'y aura pas de véritable réforme dans un avenir prévisible, mais on ne saura même plus à quoi elle aurait pu ressembler. « Nous sommes prêts » disait pourtant le slogan du Parti libéral au temps glorieux des leurres électoraux.

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Conformément à une triste coutume que se transmettent discrètement les gouvernements québécois de toutes couleurs, les réformes dites parlementaires dont on se gargarise parviennent rarement à identifier correctement leurs cibles. On évoque indistinctement institutions parlementaires et institutions démocratiques, confusion qui, déjà, trahit la facilité. Puis, une fois qu'on a substitué l'Assemblée nationale au champ plus ample des articulations démocratiques, on simplifie encore, au point de limiter la réflexion aux frustrations des députés. L'érosion termine son travail en un clin d'oeil : de la démocratie au parlementarisme et du parlementarisme aux préférences des députés, le tour est joué. Cela, qui affleurait nettement dans le rapport Vaugeois, se confirme dans les propos du ministre Dupuis, nouveau responsable de la réforme : si l'on pouvait rendre heureux les députés, notre démocratie entrerait d'un pas vaillant dans le postmodernisme... Quant aux institutions démocratiques qui ne se résument pas aux états d'âme des députés, on les escamote d'autant plus allègrement que les consultations menées par le comité Béland ne les ont guère choyées.

Qu'on parle, au choix, de cercle vicieux, de conflit d'intérêts ou de nombrilisme, le fait saute aux yeux : la réforme envisagée par le ministre Dupuis se borne à répandre une pommade apaisante sur les frustrations des élus qui, bien qu'admis à l'Assemblée nationale, tapent du pied à la porte du Conseil des ministres. L'immense majorité des députés n'ont jamais montré, au fil des législatures, le courage que requerrait de leur part l'expression de vues dérangeantes. Ils votent fidèlement selon les ordres reçus, ils n'osent pas contredire le chef ni même l'un de ses conseillers non élus, mais ils souhaitent l'auréole réservée normalement à ceux qui ont le courage de leurs convictions. Comment faire croire que ces députés soudain conviés à voter selon leur conscience (quel autre choix!) oseront désormais une saine délinquance? Les élus le savent mieux que quiconque, les épaules trop larges excèdent souvent la « capacité d'accueil » du Conseil des ministres...

Ceux qui, en cénacle intime, contrôlent les partis politiques, n'ont pas à s'inquiéter : même si on lui donnait la permission de voter contre son parti, le député moyen saura toujours de quel côté son pain est beurré et il opinera en conséquence. En somme, belle théorie qui nous garantit l'arrivée d'une souris.

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Dire que la démocratie réclame plus que le bonheur des députés, ce n'est pourtant pas mépriser le travail des élus. En proportion des tâches qu'ils assument et de l'horaire qui les écrase, ils ne reçoivent pas, n'en déplaise à une démagogie gluante, une rémunération adéquate. On doit également reconnaître que, si conciliants soient-ils, c'est par eux et par eux seulement que la fameuse voix du peuple peut se faire entendre. Le pouvoir exécutif, concentré en quelques mains, alourdit chaque jour son emprise sur la vie collective et rogne même les prérogatives du conseil des ministres. Être ministre ne signifie à peu près rien si l'on ne fait pas partie du tout-puissant groupuscule mi-élu mi-externe qui contrôle tout. Quant au pouvoir judiciaire, il sanctionne les dérogations à la loi plus souvent qu'il n'exprime le sentiment populaire. Si la démocratie se prétend toujours le gouvernement par le peuple, c'est forcément la députation qui, plus que tous les autres groupes, donne sens et poids à cette prétention. Faciliter le travail des députés demeure donc un objectif louable et une simple mesure de prudence.

Cela dit, on batifole autour du pot si l'on attend de la sérénité des députés les effets qu'elle ne peut produire. Bien peu de personnes entreprennent une carrière politique en se fixant comme idéal les « joies » de l'arrière-ban. De nombreux ministres se voient premier ministre, encore plus de députés se jugent dignes de fonctions plus nobles et injustement jetés dans un purgatoire frustrant et provisoire. Tant que les députés n'auront pas de pouvoir, ils seront frustrés, irrévocablement frustrés. Et la démocratie, elle, sera réduite à peu de choses, puisque c'est par les élus qu'elle s'exprime.

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Ce n'est donc pas en stabilisant le calendrier et l'horaire des débats parlementaires qu'on redonnera vie à la démocratie. Ce sera en réduisant la part d'artifice, d'injustice et d'opacité du système actuel. Il y a artifice et injustice quand un chef de gouvernement déclenche selon son caprice une campagne électorale. Il y a opacité et fausses représentations quand le pays revendique l'image d'un parlementarisme scrupuleux, alors qu'il fonctionne selon un régime présidentiel. Il y a injustice et distorsion lorsqu'il est possible à un parti de gouverner seul alors qu'il a obtenu nettement moins que la moitié des suffrages. Il y a opacité et distorsion quand un chef de gouvernement concentre dans sa main l'essentiel du pouvoir alors que seule sa circonscription a voté en sa faveur.

Des provinces canadiennes ont déjà démontré qu'on peut, sans ébranler les colonnes du temple et précipiter l'anarchie, instaurer le scrutin à date fixe. Il existe à travers le monde une diversité de pays qui, sans perdre leur stabilité, pratiquent une forme ou l'autre d'élection à la proportionnelle. Différents aménagements sont également possibles pour que l'électorat tout entier ait quelque chose à dire dans le choix du chef de l'État. En somme, précédents et exemples surabondent qui montre qu'une réforme des institutions démocratiques ne ressemble pas aux travaux d'Hercule.

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Si le ministre chargé de piloter la réforme des institutions démocratiques juge sa mission infiniment complexe, comprenons qu'on lui a demandé de ne pas y procéder.

Laurent Laplante

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20040617.html

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