Dixit Laurent Laplante, édition du 14 juin 2004

Le Canada de juillet sur la scène internationale

La désinformation ne prend pas de vacances. Après un effort chauvin et concerté pour transformer Ronald Reagan en « grand président américain », le G-7 (G-8?) a tenté une fois de plus de s'accréditer comme un carrefour crédible. Dans les deux cas, la presse - et pas seulement aux États-Unis - a emboîté le pas. Il faudrait donc, sur la foi d'un communiqué de presse euphorisant, croire que le vote unanime du Conseil de sécurité à propos de l'Irak plaide en faveur d'une participation plus active de l'OTAN à l'apaisement et à la reconstruction de l'Irak. Ce n'est pas le cas, comme l'ont immédiatement fait savoir certains chefs d'État, mais ni Paul Martin ni Stephen Harper, les deux chefs de partis qui peuvent diriger le Canada après le 28 juin, ne semblent au courant. Étrangement, c'est peut-être le Bloc québécois qui servira de boussole au prochain gouvernement.

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Dans le dossier irakien, le Canada, comme si de rien n'était, a opté pour la schizophrénie. Les énormes manifestations contre la guerre, à Montréal en particulier, ont empêché le premier ministre d'alors, Jean Chrétien, de se laisser embrigader par l'imprécise « coalition » anglo-étatsunienne. Elles n'ont cependant pas convaincu le Canada d'adopter la même position au sein de l'OTAN. Soutien de la France, de l'Allemagne et de la Belgique quant au refus de participer à l'invasion de l'Irak, le Canada s'est docilement rangé dans le camp des bellicistes qui poussaient l'OTAN à exiger de la Turquie l'ouverture de ses frontières aux troupes conscrites par George Bush et Tony Blair. Comme le grand public manifeste bien peu d'intérêt pour l'OTAN, la contradiction entre les deux attitudes canadiennes n'a attiré l'attention de personne, pas même des pacifistes.

Agile et toujours envahissante, la diplomatie étatsunienne a compris, de son côté, le parti à tirer de l'OTAN. À l'OTAN d'obtenir sans débat ce que les États-Unis n'ont arraché qu'en partie au Conseil de sécurité. Il n'y a pas de droit de veto à l'OTAN et les États-Unis tendent à gouverner l'organisation comme un fief conquis et asservi. Et ce n'est pas le recrutement mené par l'OTAN chez les pays de l'ancien bloc socialiste qui va inverser la tendance. Même si les États-Unis semblent se résigner à ce que l'OTAN ne fournissent pas de troupes, ne croyons pas pour autant que les États-Unis et la Grande-Bretagne ne demanderont pas à l'OTAN des « tâches logistiques » aptes à réduire leurs dépenses militaires. Le but recherché serait quand même atteint..

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Paul Martin, tout à la joie d'être photographié avec George Bush, tombe allègrement dans le panneau. Il ne voit pas le fil blanc qui court entre les perles. Il ne faut pourtant pas un doctorat en études stratégiques pour prévoir ce qui vient. Selon le secrétaire général de l'OTAN, l'organisation « pourra difficilement fermer les yeux si le gouvernement irakien sollicite son intervention dans les semaines qui viennent ». Comme le gouvernement irakien (?) formulera forcément les demandes qui lui seront susurrées par la Maison-Blanche, Paul Martin se montre bien imprudent en déclarant « le Canada prêt à hausser sa participation non militaire en Irak ». Tout comme le Canada, en promettant d'effacer la dette de l'Irak à son endroit (750 millions), jette dans l'embarras les pays qui, comme la France ou la Russie, supportent plus que leur part d'une dette globale de 120 milliards. Le président Bush, toujours généreux avec l'argent des autres et qui tolère paternellement que la communauté internationale finance la reconstruction d'un pays détruit par ses soins, pourra sourire à Paul Martin : dans la campagne destinée à effacer des ardoises la dette irakienne, la mansuétude canadienne renforce la position étatsunienne. Malgré cela, Paul Martin semble avoir oublié de demander à son homologue si le Canada fera désormais partie des pays admissibles aux plantureux contrats de la reconstruction irakienne.

Peut-être Paul Martin a-t-il également oublié, en se rendant aux États-Unis, qu'une échéance électorale l'attend dans deux semaines et que son avenir politique est plus nébuleux que jamais.

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Quant au chef conservateur, qui n'est guère plus assuré de diriger le Canada après le 30 juin, il se montre à la fois inquiétant et imprudent quand il se colle (ou croit se coller) aux positions étatsuniennes en matière d'environnement et de droits fondamentaux.

Ainsi, l'analyse de Stephen Harper à propos du protocole de Kyoto est terriblement courte. Certes, le rejet du protocole par les États-Unis en rend la ratification laborieuse. Pour peu que le président Poutine tienne parole, les pourcentages requis pour la ratification du protocole sont quand même accessibles. Que l'Australie change de gouvernement et secoue la tutelle américaine et le seuil fatidique sera atteint et même dépassé. Enterrer le protocole en raison de l'irresponsabilité étatsunienne en ces matières, ce n'est donc ni lucide ni inévitable. L'idée d'abolir le fichier des armes à feu mériterait un verdict aussi dur : ce n'est ni réfléchi ni habile. Dans aucun de ces dossiers, Stephen Harper n'a adopté des vues vraiment pancanadiennes. De plus, sur toutes ces questions, Stephen Harper indispose inutilement le Bloc québécois, pourtant le seul parti politique qui pourrait, de façon ponctuelle, sauver la mise à un gouvernement conservateur minoritaire.

Quant au débat qui concerne les orientations du Parti conservateur en matière de droit à l'avortement, de peine de mort ou de mariages homosexuels, il envahit la campagne électorale avec une force que n'avaient prévue ni Stephen Harper ni les analystes. Jusqu'à maintenant, le chef du Parti conservateur se défend en jouant sur deux demi-vérités. D'une part, non, un gouvernement conservateur n'inscrirait pas à son ordre du jour un projet de loi pour rescinder les droits existants; d'autre part, oui, le Parti conservateur permettrait à l'un ou l'autre de ses députés de provoquer un vote sur la question. En défendant cette position éminemment équivoque, plusieurs des ténors conservateurs se décernent des éloges immérités : leur parti se montrerait plus démocratique que les autres en permettant une libre expression des opinions. Le Parti conservateur estime également manifester un surcroît d'esprit démocratique en transférant la responsabilité finale de la Cour suprême au parlement.

C'est là que se révèle chez des conservateurs pourtant entichés du fondamentalisme étatsunien une étonnante méconnaissance de la sagesse étatsunienne. Les États-Unis, en effet, sont beaucoup mieux protégés que le Canada contre le risque de fièvres subites et dévastatrices. Au Canada, il suffit d'un crime particulièrement révoltant pour que surgisse une législation ou, à l'inverse, un assaut contre la loi; aux États-Unis, nombre de questions à forte teneur émotive sont tranchées par la constitution et Dieu sait ce qu'exige là-bas un amendement constitutionnel. La fièvre retombe bien avant que l'amendement ait terminé dans sa course à obstacles! Stephen Harper se trompe et trompe l'électorat en présentant comme une démocratie plus achevée celle qui accroît la pression démagogique sur la loi. Les États-Unis agissent autrement et c'est pourquoi, quoi qu'en pensent les Européens, leur constitution est l'une des plus vieilles et des plus stables.

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Sur nombre de fronts, les positions du Bloc québécois constituent une protection non seulement pour le Québec, mais pour l'ensemble du pays. Le Bloc québécois a d'emblée accepté le protocole de Kyoto, tandis que les libéraux ne s'y sont résignés, en particulier Paul Martin, qu'en désespoir de cause et en tentant toujours de mettre les conglomérats à l'abri de ses exigences. Quant aux droits fondamentaux, le Bloc québécois n'a aucune leçon à recevoir de qui que ce soit; c'est lui qui défendait les droits fondamentaux quand libéraux et conservateurs se sont entendus pour adopter une loi inutilement punitive sur les jeunes contrevenants.

Quant au NPD, c'est en défendant ses propres états de service en matière d'équité sociale et de protection des droits qu'il continuera à progresser, pas en satanisant un éventuel flirt des conservateurs avec les méchants souverainistes. Autant on apprécierait que le NPD civilise un gouvernement libéral minoritaire, autant c'est le Bloc québécois qui peut exercer une influence comparable sur un gouvernement conservateur minoritaire.

Laurent Laplante

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20040614.html

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