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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 10 juin 2004

Un palier de trop?

Parmi les anomalies d'une campagne électorale qui fait des pieds de nez aux prévisions des spécialistes, l'une concerne les municipalités, une autre l'éducation. Tout en professant avec les trémolos réglementaires leur scrupuleux respect du pacte confédératif, nos chefs politiques en quête de votes en bafouent les stipulations qui concernent le partage des responsabilités. Seule exception : le Bloc québécois. Il y a même étonnamment peu de différence sur ce terrain entre le premier ministre Martin, le chef conservateur Stephen Harper et le leader néo-démocrate Jack Layton. Si peu de différence qu'on peut, paranoïa aidant, lire cette convergence comme un désir spontané et partagé de réduire encore le poids des provinces, peut-être même d'en faire des coquilles vides. Pareille complicité, en l'occurrence, a valeur de tendance lourde.

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Ce n'est pas d'aujourd'hui que le Canada s'écarte d'une tendance presque généralisée au renforcement des régions, des länder, des divers paliers intermédiaires de gouvernement. Pendant que l'Espagne, la Belgique, la Grande-Bretagne, la France consentent à élargir le champ de manoeuvres de leurs composantes politiques, le Canada interdit toujours aux provinces canadiennes de participer librement aux échanges internationaux qui portent, par exemple, sur l'éducation. Malgré les espoirs exprimés à ce sujet par le conciliant premier ministre québécois, le gouvernement central du pays continue à se charger de tout. Lui qui n'a aucune responsabilité en matière d'éducation se prononce à ce propos sur la scène mondiale au lieu de laisser les provinces s'exprimer sans tutelle. On invoque, bien sûr, les textes constitutionnels pour justifier cette mesquinerie : qui n'est pas un État souverain n'a pas de rôle international.

Comme par hasard, les mêmes textes de la même constitution valent moins qu'un sou déprécié quand il s'agit de répartir les responsabilités à l'intérieur du pays. En effet, même si la constitution confie explicitement aux provinces le vaste domaine de l'éducation, le gouvernement central établit des relations directes avec les étudiants et finance ce qui lui convient dans les collèges et les universités. De la même manière, le gouvernement central promet aux municipalités, qui sont pourtant créatures du palier provincial de gouvernance, des subventions considérables. Quand Yves Séguin, ministre québécois des Finances, demande à Ottawa de lui verser la taxe sur les biens et services (TPS), la chose est, d'emblée, jugée impensable. Le lendemain, le gouvernement de Paul Martin promet aux municipalités de leur donner accès à la solution réputée impensable. Constitutionnalistes tout aussi sélectifs, Stephen Harper et Jack Layton renchérissent sur ces promesses. Quand on n'offre pas aux municipalités une tranche de la TPS, c'est la taxe sur l'essence qu'on fait miroiter sous leurs yeux. De surcroît, Jack Layton se taille un succès facile en promettant aux étudiants de réduire de dix pour cent leurs frais de scolarité. Le chef néo-démocrate choisit d'ignorer que le gouvernement central n'a pas sa place dans le domaine de l'éducation. Indélicatesse supplémentaire, son cadeau de 10 % n'aurait pas la même valeur partout au pays, puisque les frais de scolarité varient d'une province à l'autre.

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Pareil dédain pour la constitution aurait peu de conséquences s'il ne se manifestait pas concrètement . Cette condition est amplement remplie quand les différents partis offrent aux municipalités (ou à l'éducation) une brassée de milliards. Détester une constitution qui définit les municipalités comme une simple émanation du pouvoir provincial, c'est une chose; l'invalider subrepticement en faisant manger les municipalités dans sa main, c'en est une autre. Quand cela se produit, on doit forcément conclure à une situation fiscale anormale. Cette situation existe : le gouvernement central a les moyens financiers de son mépris des textes. Preuve est ainsi offerte que le gouvernement central extrait de l'activité économique nationale plus que n'en requièrent ses responsabilités propres. Il y a donc, tout verbiage abandonné, déséquilibre fiscal au bénéfice du gouvernement central.

Il n'est pas impensable qu'un déséquilibre fiscal plantureux se justifie, mais encore faudrait-il des raisons de poids. Il faudrait, par exemple, que le palier provincial de gouvernement gère si mal ses finances qu'il devienne prudent et même vertueux de le placer sous tutelle. Ou encore il faudrait qu'un certain consensus conduise à penser que la structure nationale compte un palier de trop et que mieux vaut, par souci d'efficacité, le faire disparaître. Dans la présente conjoncture, aucune de ces raisons ne tient. La première tombe, car le gouvernement central ne peut se targuer d'une gestion exemplaire; l'autre motivation ne vaut pas mieux, car la structure que le gouvernement central foule aux pieds n'a jamais fait l'objet d'un débat, ni même d'une attaque frontale. Comme quoi il est possible de foncer sans préoccupation éthique et sans légitimité constitutionnelle.

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Que le gouvernement central se juge meilleur gestionnaire que les provinces, cela ne fait aucun doute. Au regard d'Ottawa, les provinces sont inaptes à lire les besoins du public et à choisir correctement les remèdes aux maux sociaux. Le gouvernement central doit donc, paternellement, encadrer l'action des provinces par des normes dites nationales. Paternalisme qui prétend enseigner la transparence, l'efficacité, l'efficience, et quoi encore? Cette arrogance nie l'évidence. Ce n'est pas au palier provincial, en effet, qu'on a a englouti des dizaines de millions en commandites illégales. Ce ne sont pas les provinces qui ont ourdi le complot destiné à puiser dans les coffres de l'assurance-emploi la quarantaine de milliards grâce auxquels le ministre des Finances Paul Martin a pu équilibrer ses budgets. C'est la gestion fédérale qui a engouffré deux milliards dans un fichier des armes à feu qui devait coûter deux ou trois millions. Soumettre les provinces aux normes fédérales, cela signifie-t-il les contraindre au gaspillage? Patent, constant et massif, le déséquilibre fiscal entretenu par un gouvernement central noyé dans sa gabegie est, en plus, indécent.

Il n'en demeure pas moins que le gouvernement central persiste et signe : le palier provincial de gouvernement ne mérite pas plus de respect qu'une potiche décorative. À toutes fins utiles, les provinces peuvent taper du pied jusqu'à se raccourcir les mollets, cela ne change rien. Une fois par quatre ans, à l'occasion d'une campagne électorale, on les enterre sous les promesses, mais la mystification ne dure que quelques courtes semaines. Dès le soir du scrutin, les vannes se referment, les promesses fuient en direction du puisard et l'arbitraire plus ou moins corrompu du pouvoir central siffle la fin de la récréation. L'érosion des compétences provinciales reprend sa vitesse de croisière et le déficit fiscal permet à Ottawa de mettre à sa botte les municipalités et le monde de l'éducation. Pouvoir provincial? Qu'en reste-t-il?

Bien sûr, aucun discours du trône lu à la Chambre des communes ne révélera l'intention profonde du gouvernement central. Trois des partis fédéraux présentement en campagne agissent pourtant comme si l'autorité provinciale se vendait à l'encan.


Laurent Laplante

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Recherche : Jean-Pierre Cloutier

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