Dixit Laurent Laplante, édition du 21 juillet 2003

Vers un changement de la garde?

Ce qui paraissait invraisemblable il y a quelques mois à peine entre lentement dans le domaine du possible. Pas encore du probable, mais du pensable. Au rythme où s'effectuent les dérobades à Londres et à Washington, il se peut, en effet, que MM. Blair et Bush succombent sous le poids de leurs mensonges et plus encore sous l'effondrement des économies britannique et américaine. Pour heureux que ce virage puisse paraître, rien n'autorise encore à pavoiser. D'une part, ce n'est pas chose faite, ni à Londres ni à Washington; d'autre part, rien de très enthousiasmant ne plaide en faveur des éventuels remplaçants.

Devant les législateurs américains, le premier ministre britannique a presque formulé des aveux. À ses yeux, l'histoire approuvera l'attaque anglo-américaine contre l'Irak même si l'on ne trouve pas trace d'armes de destruction massive, car, insiste Tony Blair, Saddam Hussein méritait d'être abattu. On est loin des affirmations péremptoires par lesquelles M. Blair, récemment encore, jouait les croisés. Il ne parle plus de ce qu'il a vu, il ne prétend plus qu'il sait où sont les armes recherchées, il ne promet même plus qu'on trouvera quoi que ce soit. Il déplace le problème et met désormais l'accent sur ce dont personne n'a jamais douté, c'est-à-dire le caractère hautement antipathique du régime irakien. Même cette position de repli de M. Blair se révèle fragile et même intenable. M. Blair, en effet, reconnaît qu'on ne peut quand même pas lancer l'humanité à l'assaut de tous les régimes répugnants. Alors? La seule façon acceptable de déboulonner un tyran, c'est à la communauté internationale de la définir, et cela, M. Blair devra, de dérobade en sophisme, finir par l'admettre et donc par renier son passé récent.

La position de George W. Bush ne résiste pas davantage aux révélations embarrassantes. Le stoïcisme avec lequel le grand patron de la CIA accepte, en bon soldat, d'assumer l'odieux d'une affirmation chambranlante formulée par le président américain ne trompe pas grand monde. Rien ne prouve, en effet, que la dernière mouture du discours présidentiel ait été soumise à la CIA et tout indique, en revanche, que certains faucons tenaient, CIA ou pas, à loger dans le discours présidentiel une mention de l'uranium africain. Que Bush se cache ainsi derrière un subalterne ne le grandit pas dans l'opinion. On le constate dans les divers sondages. George W. Bush conserve encore, à ce jour, l'appui d'une majorité de plus en plus courte, mais ce n'est certes pas parce que l'Américain moyen croit en la parole de son président ou le pense capable de compassion. Même si les pertes américaines en vies humaines demeurent modestes par rapport aux milliers de morts irakiens, l'opinion note avec une colère croissante que les cadavres américains n'ont cessé de se multiplier depuis que, le 1er mai, le président Bush a annoncé dans un spectacle son et lumière la fin des « grandes activités militaires ».

C'est alors qu'intervient le facteur économique. L'occupation de l'Afghanistan et de l'Irak coûte beaucoup plus que ne le prévoyait la Maison blanche. En avril, Donald Rumsfeld prévoyait une dépense de deux milliards par mois pour l'Irak. En juin, le même secrétaire à la Défense (à la Guerre préventive?) corrigeait ses prévisions : 500 millions mensuellement pour l'Afghanistan, trois milliards mensuellement pour l'Irak. Le mercredi 9 juillet (Le Monde, 12 juillet 2003, p. 2), nouvel ajustement : la facture mensuelle atteint de 900 à 950 millions pour l'Afghanistan et à 3,9 milliards pour l'Irak. À ce rythme, les États-Unis consacreront à ces deux théâtres d'opérations une soixantaine de milliards par an. Pendant combien de temps? Encore là, les prévisions ne cessent de repousser l'horizon : deux ans, trois ans, davantage...

Ces dépenses inattendues s'ajoutent aux autres imprudences budgétaires de l'administration Bush. Brûler les secrétaires au Trésor au tempo d'un par année, cela n'engendre pas la confiance. Contredire le gourou de la Fed, Allan Greenspan, c'est hautement aventureux. Décréter des réductions d'impôt de plusieurs centaines de milliards au moment même où le pays se lance dans une offensive militaire, ce n'est pas la trouvaille du siècle. Bousculer l'ONU et acheter ensuite le support d'un nombre de capitales suffisant pour faire illusion, ce n'est ni éthiquement acceptable ni financièrement intelligent. Le résultat, c'est un déficit temporairement évalué à environ 460 milliards et une économie stagnante. Le résultat, c'est aussi de rendre le mensonge aussi systématique dans le domaine économique et statistique qu'en matière militaire et politique. On s'en aperçoit quand la Maison blanche dissimule et fausse les données, change les bases de calcul et répand le secret sur tout chiffre déplaisant. Les militaires ont obtenu des augmentations de salaires qu'ils ont tôt fait d'oublier après deux mois de trop en Irak, mais cela ne crée pas l'optimisme dont auraient besoin l'emploi, la production, les dépenses des ménages.

À une quinzaine de mois de l'élection présidentielle, les atouts de Bush s'effritent. D'un côté, l'accumulation des mensonges et des fabulations rendent plus difficile l'exploitation politique du terrorisme. D'autre part, l'économie est un domaine où il est permis à quiconque, républicain ou démocrate, paria ou investisseur, d'exprimer le fond de sa pensée. Un Américain ne peut pas critiquer la politique antiterroriste de son pays sous peine de passer pour un traître; il peut, par contre, s'insurger contre l'irresponsabilité, la mégalomanie et l'inefficacité d'une administration. Pour toutes ces raisons, la réélection de George W. Bush est moins assurée qu'elle ne l'était. Pour des raisons à peine différentes (jusqu'à ces jours-ci), celle de Tony Blair est tout aussi douteuse.

Modérons quand même l'élan de joie. Remplacer Blair par une équipe conservatrice, ce n'est pas repousser en touche le présent bellicisme anglo-américain. N'oublions pas, en effet, que ce sont les dissidents travaillistes qui ont fait la vie dure à Tony Blair et contesté ses affirmations et non pas l'opposition conservatrice. Tony Blair ment pour justifier la guerre, les conservateurs n'auront même pas à mentir pour participer aux prochaines croisades. Aux États-Unis, il faudrait de bien profonds changements dans les mentalités démocrates pour que le pays soit vraiment purgé de sa paranoïa et qu'il apprenne à respecter la communauté internationale. Ce n'est certes pas dans l'actuel leadership démocrate qu'on dénichera une candidature capable de parler à Ariel Sharon avec une fermeté minimale.

Alors? Il faut, une fois de plus, éviter de faire confiance à la magie. Le redressement moral et politique dont les États-Unis ont besoin et qu'espère le reste du monde ne s'effectuera pas de façon instantanée. La protestation au ras du sol et dans le quotidien prendra plus de temps, mais c'est sur elle qu'il faut parier.

Laurent Laplante

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20030721-1.html

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