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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 9 juin 2003

Perceptions faussées, espoirs excessifs

Il faudrait une grande dureté de coeur pour ne pas s'accrocher au plus fragile espoir de voir la paix s'instaurer enfin au Proche-Orient. Tant de souffrances et d'injustices se sont accumulées au fil des décennies dans ce coin de l'univers qu'il faut, malgré tout, encore et toujours prêter l'oreille à quiconque parle de paix. Cela ne veut pourtant pas dire qu'il faille entendre tous les messages de paix comme s'ils procédaient d'une lecture juste de la réalité et comme s'ils traduisaient les intentions profondes des marchands de bonheur.

À elle seule, la photographie du président Bush installée entre les premiers ministres Sharon et Abbas invite à de multiples réflexions. Deux des trois personnages de la scène n'y sont que par d'étonnants détours de l'histoire. Côté palestinien, c'est Arafat qui devrait représenter sa communauté; côté américain, le président Bush montre par sa présence qu'il assume, après avoir juré qu'il ne tomberait jamais dans ce panneau, le même rôle ou presque que ses prédécesseurs Carter et Clinton. Par ailleurs, la photographie laisse entendre que la « feuille de route » constitue une proposition de la Maison blanche aux belligérants du Proche-Orient. On nous a pourtant sérénadé que l'ONU, la Russie, l'Union européenne étaient parties prenantes à ce projet. Ou on nous a menti, ce qui ne serait guère étonnant, ou les États-Unis ont évincé cavalièrement les autres signataires de la « feuille de route ». Il est patent, en tout cas, que les États-Unis agissent comme s'il leur appartenait de donner à la dite feuille de route sa version finale. Photographie révélatrice en même temps que trompeuse.

Il y a plus. En accaparant ouvertement l'avant-scène, les États-Unis font, peut-être à leur insu, quelques aveux d'importance. Le premier, c'est qu'ils sont en mesure, s'ils le veulent, de mettre fin aux abus israéliens. Une question en découle : pourquoi ne sont-ils pas intervenus plus tôt? Le second aveu, c'est que le comportement étasunien adopté à propos de l'Irak n'est pas un accident de parcours, mais la politique à laquelle il faut désormais s'attendre de la part de la Maison blanche. Tel est le message : ce n'était pas à l'ONU de se prononcer sur la nécessité d'agresser l'Irak; ce n'est pas davantage à l'ONU de mettre de l'ordre au Proche-Orient. Tout cela est anormal et malsain, mais on remarquera avec quelle rapidité les médias et l'opinion publique s'habituent à ce que l'hégémonie américaine décide de toutes choses. Dès que parle la Maison blanche, le ciel s'obscurcit ou s'illumine comme si l'on ne devait plus s'étonner si quelqu'un inscrit son nom dans le premier commandement de Dieu et réclame à la place du Très-Haut la prosternation de tous. Kofi Annan ne se doute probablement plus que c'est lui, plutôt que le président américain, qui devrait occuper le centre de la photographie. Photographie qui devient une triste et éloquente démonstration de notre dérive.

Allons un pas plus loin. Dans le cas du président américain, ce n'est pas seulement d'usurpation de rôle qu'il s'agit, mais d'un grossier conflit d'intérêts. Nul juge, en effet, ne peut se sentir à l'aise de prononcer sentence quand il a participé au crime. Si l'homme avait la moindre décence, il se rendrait compte, en effet, que les États-Unis, au lieu d'occuper le siège du juge, devraient se trouver à la barre des accusés. Autant il est clair qu'il faut mettre fin à un demi-siècle d'occupation et de déni de justice, autant il est clair que les États-Unis sont en partie responsable des abus commis. Chaque fois que l'ONU a osé intimer à Israël un ordre quelconque, les États-Unis ont recouru au droit de veto. Dans nombre de cas, le Conseil de sécurité ne s'est même pas donné le mal de provoquer le vote, tant il était clair que les États-Unis en bloqueraient les corollaires. La photographie ne livre quand même pas l'image d'un juge mal à l'aise. Si l'on dénombre aujourd'hui plus de 200 000 colons israéliens en sol palestinien, la faute en revient pourtant, en partie du moins, aux États-Unis qui ont empêché l'ONU d'agir et qui ont accordé à des hommes comme Ariel Sharon tout loisir de créer une situation irréversible.

Que peut-on attendre, malgré tout, de l'intervention américaine? Hélas! Assez peu de choses. On trompe d'ailleurs le monde en laissant entendre que le premier ministre israélien va procéder dans les prochains jours au démantèlement des colonies dites « illégales ». Elles le sont toutes, en effet, mais Israël n'applique ce terme qu'aux implantations sauvages qui n'ont pas reçu la bénédiction du gouvernement israélien. Celles qui ont été voulues, planifiées, financées par l'État d'Israël demeurent, aux yeux d'Israël, parfaitement légales et promises à une durée éternelle. Après avoir empêché l'ONU de contenir l'expansionnisme israélien, les États-Unis font semblant de ne pas voir quels en sont les effets.

Ainsi, pendant qu'on demande aux Palestiniens de renoncer à tout droit de retour dans leur ancien décor, Israël et les États-Unis agissent comme s'il fallait reconnaître aux colons israéliens un droit d'occupation.

L'essentiel, on devrait l'avoir perçu depuis longtemps, c'est la suprême importance de la force dans cet affrontement. Une force qui n'asservit pas seulement les Palestiniens, mais qui détourne le peuple israélien des comportements attendus d'une collectivité évoluée. La force se manifeste par la présence des militaires au sein des délibérations ministérielles, par la légalisation des détentions et des interrogatoires abusifs, par la domestication du pouvoir judiciaire, par le dédain montré à l'égard de toutes les conventions internationales, par les pressions exercées sourdement contre la presse israélienne d'opposition. Et comme si cette force incarnée dans l'armée israélienne ne suffisait pas, l'hégémonie américaine s'arroge le droit de décider si la balance est égale entre ceux qui subissent l'occupation israélienne et ceux que menace la pitoyable résistance palestinienne. Jusqu'à aujourd'hui, jamais la force israélienne n'a été freinée. Ni par les admonestations de l'ONU, ni par la seule autre force qui pourrait la faire fléchir. L'entrée en scène du président américain n'annonce rien d'heureux si la violence palestinienne continue d'être réprimée de façon excessive, pendant que celle d'Israël est toujours prête à déferler avec l'impunité d'une force sans contrepoids.

Oui, il faut entretenir l'espoir, mais que la chose serait plus facile si le prétendu arbitre n'était pas l'associé de l'occupant!


Laurent Laplante

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