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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 22 mai 2003

La guerre et ses visages

Faudra-t-il, après avoir subi Bush I, subir deux fois Bush II? Et faudra-t-il, une fois Bush II parvenu au terme de son second mandat, voir s'installer à son tour à la Maison blanche le frère de Bush II, l'actuel gouverneur de la Floride? Le scénario, loufoque et désespérant, est cependant considéré comme plausible même chez ceux qui devraient déjà s'employer à débarrasser la planète des guerres préventives et autres appropriations. C'est dire quelle dépression traverse le parti démocrate américain. Avant même que s'ouvre la véritable campagne électorale, on semble prêt à jeter la serviette.

Le parti démocrate ne manque pourtant pas d'assises. Beaucoup plus souvent qu'à son tour, il a dominé le Sénat et la Chambre des représentants et il a fourni à la Maison blanche une forte proportion de ses locataires. La conjoncture économique est si peu glorieuse en sol américain que le président en poste devrait normalement subir une défaite cuisante à la prochaine échéance électorale. Alors?

Alors, les démocrates sont massivement victimes d'une peur qui fait reculer tous ceux qui conçoivent les États-Unis autrement que comme le coeur de l'hégémonie guerrière : la crainte de passer pour de mauvais Américains. Quand sonne l'appel aux troupes, seul un mauvais Américain refuse son adhésion. Quand le lavage des cerveaux persuade l'opinion que le pays est menacé, il n'est pas de concessions que ne consente le bon Américain, institutions et principes compris. Cela se vérifie sous d'autres latitudes et des leaders comme Margaret Thatcher et Vladimir Poutine doivent leurs succès électoraux à la mobilisation qu'ils ont su faire autour de la défense du pays. Soit. Mais le risque de passer pour un mauvais Américain n'est-il pas réduit à rien lorsqu'il s'avère que l'Irak n'avait rien de l'armement qu'on prétendait menaçant et que les attentats se poursuivent alors que l'Irak subit l'occupation américaine? Qu'un démocrate réponde présent quand son pays est menacé, on l'en félicitera; s'il demeure au garde-à-vous quand la preuve est faite qu'on l'a berné, il n'est plus un bon Américain, mais un naïf.

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En l'espace de quelques jours, des kamikazes ont donné leur vie et pris celles des autres au Maroc, en Arabie saoudite, dans les territoires palestiniens et en Israël. Par dizaines, à l'heure fixée, ils se sont transformés en bombes humaines. Le geste, malgré sa répétition, heurte tellement une certaine logique qu'on ne parvient ni à le banaliser complètement ni à le comprendre.

Pour ce motif, on s'efforce d'expliquer le « suicide meurtrier » en l'analysant selon les plus antiseptiques de nos schèmes mentaux. On aurait affaire à des gens fanatisés par des gourous cyniques, à des désespérés mentalement malléables, à des gueux en mal de récompenses familiales, à des illuminés auxquels serait offerte l'occasion d'entrer glorieux dans un paradis peuplé de houris voluptueuses et admiratives. Cela calme nos consciences. Si, en effet, les kamikazes sont de cette farine, nous n'avons pas à tenir compte de leurs sinistres exploits. Puisqu'ils sont fous et irresponsables, ils ne prouvent rien contre nos certitudes. CQFD.

Le problème, c'est que cette image des kamikazes craque. La recherche la met à mal. Ils sont plus instruits que la moyenne, aussi rationnels que ceux d'entre nous qui mènent jour après jour une vie vide de sens, capables de se déterminer à partir de constats vérifiables. Leur logique, pour déroutante qu'elle soit à nos yeux, ne doit pas plus à l'hypnose ou à la drogue que le fanatisme guerrier qui anime l'équipe de mégalomanes rassemblée autour d'un Bush ou d'un Sharon. En cessant de les caricaturer, peut-être commencerons-nous à comprendre leur sacrifice.

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Les experts en écriture sont décidément nombreux. Depuis Colin Powell jusqu'au plus vert des analystes instantanés, on a tôt fait, dès que des explosions synchronisées font leur triste travail, de détecter la « signature » d'al-Qaéda. Comme si le Sentier Lumineux n'avait jamais provoqué un feu d'artifices d'explosions simultanées aux quatre coins de Lima. Comme si les pauvres Palestiniens n'étaient pas capables, eux aussi, de regrouper cinq attaques en 48 heures. Comme si les pauvres cerveaux du tiers monde avaient attendu un seul et unique génie maléfique pour apprendre les rudiments de la guérilla urbaine et l'art de disperser l'attention de la police. Quand on a autant de succès qu'aujourd'hui dans la capture de ben Laden, du Mollah Omar et de Saddam Hussein, il devient ridicule d'imputer une compétence particulière à des gens dont on connaît seulement l'agilité.

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Dès qu'un débat oppose en terre québécoise un Arabe et un Juif, que ce soit sur les ondes de Radio-Canada ou dans un milieu universitaire comme celui de Concordia, un argument intervient qui milite puissamment en faveur d'Israël : c'est le seul pays démocratique dans cette partie du monde. De fait, la contradiction ne peut venir du Koweit, de l'Arabie saoudite, de la Libye ou de l'Égypte.

On lira donc avec intérêt et avec surprise pour quiconque n'a jamais vu Israël le sondage mené le mois dernier par un organisme israélien dénommé Israel Democracy Institute. En effet, les professeurs Asher Arian et David Nachmias, qui ont appliqué 31 critères à plus d'une trentaine de pays différents, en arrivent à une conclusion brutale : Israël est une démocratie de forme plus que de substance et le pays n'a pas réussi encore à assimiler (internalize) vraiment le concept de démocratie. Ainsi, Israël est l'un des seuls quatre pays (sur 32) à croire que « des leaders forts font plus pour leur pays que les débats et la législation ». Alors que 90 pour cent des gens croyaient en 1999 que la démocratie est le meilleur mode de gouvernement, il ne s'en trouve plus que 77 pour cent pour l'affirmer aujourd'hui. Dans le domaine des violations commises contre les droits fondamentaux, Israël domine la liste des délinquants en compagnie de l'Afrique du sud. En matière de disparités sociales, seule l'Inde fait pire qu'Israël. En ce qui touche aux changements de gouvernements, Israël et l'Argentine dominent la liste : 5 en 10 ans.

Le rituel électoral, on l'oublie trop souvent, ne suffit pas à conférer à un pays l'auréole démocratique. Sinon le Mexique serait démocratique depuis presque un siècle.

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Un chiffre terrible risque d'être enfoui dans les innombrables commentaires sur l'après-Saddam : en trois semaines de paix (?), on dénombre déjà au moins 250 victimes civiles des bombes à fragmentation. Il y en aura des milliers d'autres. Cela s'inscrira, comme en Afghanistan, dans la pudique colonne des dommages collatéraux. On tiendra des colloques, on fera pleurer des princesses devant les photographes, on signera des protocoles affirmant les mérites de la vertu, mais les membres du Conseil de sécurité et plusieurs des pays opposés à l'invasion de l'Irak, comme l'Allemagne, continueront à fabriquer, à vendre, à utiliser des armes qui font lever le coeur à n'importe quel humain normalement constitué. Réponse des généraux à quatre étoiles : « On ne peut se passer de ces armes, car elles sont efficaces. » Charcuter un enfant pour voler du pétrole, c'est une triste mesure de l'efficacité.

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La France et l'Allemagne, qui n'apprécient pas que les États-Unis bousculent grossièrement le Conseil de sécurité et l'ONU, ne se gênent pas pour bafouer les règles budgétaires auxquelles elles soumettent les petits pays européens. Paris et Berlin prétendent aujourd'hui que les interdictions ne sont, à dire vrai, que des repères dont il faut tenir compte dans la mesure du possible. « Power tends to corrupt, absolute power corrupts absolutely. »


Laurent Laplante

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