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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 1er mai 2003

Le difficile respect des institutions

Les institutions nous plongent volontiers dans l'ambivalence. Elles nous offrent parfois tant de sécurité que nous ne songeons plus à vérifier leur pertinence. En d'autres occasions, elles nous semblent si sûres d'elles-mêmes et si inamovibles qu'elles découragent notre humanité et que nous sommes tentés d'écouter plutôt nos intuitions. Trop les vénérer conduit à la sclérose, trop les ignorer mène à privilégier l'immédiat et le superficiel. L'actualité fournit des exemples des réponses que nous envoyons aux institutions, aussi bien à l'échelle locale qu'au palier international.

Le désormais célèbre syndrôme de la pneumonie atypique (SRAS) a révélé à plusieurs d'entre nous l'existence de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ainsi que le rôle qu'elle joue. On soupçonnait bien que quelque chose du genre devait posséder un siège social quelque part et que des spécialistes s'y rencontraient pour échanger des observations et des statistiques. Bien peu en savaient davantage. Le grand nombre aurait été en peine de porter un jugement un peu avisé sur la fiabilité de l'organisme. Le choc fut donc brutal quand l'OMS a placé Toronto, la métropole du Canada, sur la liste des destinations à éviter. En un clin d'oeil, l'image de l'OMS devenait suffisamment précise pour que se lève la colère canadienne. L'OMS ne savait pas à quoi s'en tenir. Elle sous-estimait la qualité des mesures adoptées par la Ville-Reine. Elle mettait en péril des centaines d'emploi et des revenus plantureux sans qu'il y ait la moindre justification. Le maire de Toronto, selon sa coutume, versa dans le ridicule.

Il s'en trouva assez peu pour accorder à une institution sérieuse et fiable le bénéfice du doute. Assez peu pour comprendre que Toronto, du fait même de son attrait, constitue un grand centre exposé à un va-et-vient propice à toutes les contaminations. Assez peu pour admettre que les pressions politiques sont sans prise sur le cycle du virus et sur les précautions à respecter. Étrange façon de traiter une institution que de l'autoriser à juger autrui tout en lui interdisant de nous évaluer.

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À l'échelle internationale, on assiste présentement, à cause du style de l'actuelle Maison blanche, à l'ébranlement d'une diversité d'institutions. L'indispensable forum qu'est l'ONU est amputé de ses prérogatives et traité comme quantité négligeable. Les règles internationales les mieux établies sont ignorées ou clairement contredites, qu'il s'agisse du sort des prisonniers de guerre ou de la protection des populations civiles en passant par les responsabilités confiées aux armées d'occupation. Non seulement les conventions dûment ratifiées sont renvoyées dans l'inexistence, mais des notions aussi dangereuses que celle de la guerre préventive se substituent cavalièrement aux concepts éprouvés. Aux yeux du président Bush et de ses irresponsables conseillers, les institutions internationales ne méritent le respect que si elles avalisent les coups de force de l'hégémonie américaine.

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Par un étrange retour de manivelle, c'est de Grande-Bretagne, du premier ministre Tony Blair plus précisément, que nous vient la dénonciation enflammée de la doctrine des contrepoids : la France se trompe, dit Londres, si elle incite l'Europe à prendre ses distances par rapport à Washington. C'est pourtant de Grande-Bretagne qu'est venu le très sage adage sur les conséquences du monopole. « Power tends to corrupt, absolute power corrupts absolutely. »1 Ce constat issu du pragmatisme britannique devrait conduire en droite ligne à la recherche des équilibres, à la mise en place d'alternatives, à l'invention de contrepoids. M. Blair, visiblement, n'a que faire de ce patrimoine. Il s'en remet à l'hégémonie étasunienne plutôt qu'aux analyses raffinées de l'expérience britannique. Et les États-Unis, qui ont fondé leur système politique sur la séparation institutionnelle des pouvoirs et sur la tension féconde du « checks and balance », rompent aujourd'hui avec leur propre philosophie et laissent la Maison blanche bousculer allègrement le pouvoir législatif.

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Au Québec comme en bien des pays, un changement de gouvernement donne lieu à des scènes à la fois classiques et imprévisibles. Il est de bonne guerre, par exemple, que le gouvernement qui accède au pouvoir se plaigne de trouver les finances publiques dans un état lamentable. L'accusation, dont le bien-fondé varie selon les transitions, est prévisible. Ce qui l'est moins, c'est la méthode choisie par le nouveau premier ministre libéral, M. Jean Charest, pour étaler les roueries comptables du gouvernement précédent. Il confie, en effet, à un ancien Vérificateur général du Québec, M. Guy Breton, le mandat de faire la lumière sur la question. Je ne suis pas certain que l'institution qu'est au Québec et au Canada le Vérificateur général sorte grandie de l'aventure.

Bien sûr, ni la compétence ni l'intégrité de M. Breton ne sont en cause. Dans l'exercice de ses fonctions, il a constamment parlé net, rappelé fermement les principes qui guidaient son travail, regretté le manque de transparence de certains gestionnaires. Je serais le dernier à laisser planer quelque doute que ce soit à propos de la probité et du professionnalisme de M. Breton. Ce qui pose pourtant problème, c'est ceci : le Vérificateur général est choisi par l'Assemblée nationale et donc par le pouvoir législatif, tandis que M. Breton, aujourd'hui à la retraite, reçoit son mandat du gouvernement et donc du pouvoir exécutif. Cela, me semble-t-il, sera source de confusion dans les médias et dans l'opinion publique, car M. Breton demeure le même homme alors que le travail qui lui est demandé ne s'effectue pas dans les mêmes conditions.

Précisons. Le nouveau gouvernement a parfaitement le droit, surtout s'il a de bonnes raisons de penser qu'un fossé sépare la réalité et les états financiers rendus publics par le précédent gouvernement, de solliciter un avis externe. Ce qui étonne, c'est qu'on demande cette expertise à un homme qui s'est déjà exprimé sur ce sujet quand il dépendait de l'Assemblée nationale. M. Breton ne peut que reprendre, pour le compte du gouvernement libéral, l'analyse effectuée pour l'Assemblée nationale. Bien malgré lui, M. Breton aura l'air de livrer un avis partisan. Est-ce le bon moyen de clarifier les choses? Est-ce bénéfique pour l'institution qu'est le Vérificateur général?

Pour ma part, malgré mon respect pour M. Breton, j'aurais préféré qu'il décline l'offre gouvernementale. Il me paraît délicat qu'un professionnel de sa trempe soit appelé à juger deux fois la même cause en partant de perspectives différentes. Et je me demande ce que deviendra la cote de crédit du Québec si les Standard & Poor's et cie se font expliquer qu'ils ont cru à un faux équilibre budgétaire.

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Il arrive, toutefois, que les institutions tardent trop à se réformer. Le mode de scrutin québécois entre dans la catégorie des institutions dangereusement périmées. Quand l'Action démocratique du Québec (ADQ) n'obtient que quatre sièges en récompense de ses 696 972 voix, on n'est plus en présence d'une institution digne de respect.

Laurent Laplante

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