Dixit Laurent Laplante, édition du 10 avril 2003

Face à l'avenir

À quelque jours du choix de leur prochain gouvernement, les Québécoises et Québécois sont à peine mieux renseignés qu'il y a trente jours sur l'avenir que prétendent leur façonner les différents partis politiques. En raison des présents débordements militaires et économiques de l'hégémonie étasunienne, ils en savent, en revanche, beaucoup plus sur ce que le monde est en train de devenir. Il reste aux électeurs à remplir eux-mêmes les vides entre les exigences des prochaines années et l'aptitude des différentes équipes politiques à y faire face. En jetant lui-même des passerelles entre ce qui s'élabore à l'échelle mondiale et les propositions plutôt étriquées des partis parmi lesquels il lui faut choisir, l'électeur s'aperçoit vite du décalage entre ce qu'on lui a promis et ce dont lui et sa collectivité auront besoin.

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Sans surprise, les chefs auront occupé l'avant-scène. Ainsi le veut le vedettariat auquel tiennent autant les uns que les autres les médias et les appareils politiques. Cela exposait les chefs à une tension plus vive et à un plus grand nombre de bourdes, mais cela permettait à l'électorat de juger ces hommes en meilleure connaissance de cause. Dans l'ensemble, les trois chefs nous laissent sur notre appétit.

Adulé puis ramené à ses véritables possibilités, le chef de l'ADQ, Mario Dumont, n'a jamais été capable de freiner la glissade de son parti vers un statut marginal. Il s'est longtemps entêté à nier la concordance des sondages, à improviser chiffres et affirmations au hasard de l'inspiration, à compter uniquement sur le vent de fraicheur qui fit sa force au départ et qui a cessé de le porter en cours de route.

Le chef du Parti québécois, Bernard Landry, a mené une campagne en dents de scie. Il pouvait compter sur son expérience, sur le besoin de sécurité hypertrophié par l'invasion illégitime de l'Irak, sur le bilan amélioré et rassurant de son gouvernement en matière d'emploi, de santé et d'éducation. Cela a contrebalancé dans l'opinion publique les difficultés de la Caisse de dépôt et les conflits d'intérêts du gestionnaire Frigon, mais il en fallait davantage pour susciter la ferveur de l'électorat. M. Landry a alors cru bon d'épicer son bilan par une brassée de promesses. Malheureusement, la plupart des engagements additionnels sont demeurés trop flous pour convaincre. L'idée d'une semaine de quatre jours a sans doute ses vertus, mais on ne l'a pas creusée. Le crédit d'impôt envisagé à propos des vacances prises au Québec, en plus de ne reposer sur aucune étude précise, ne correspond d'aucune manière à un besoin manifeste. Décontenancé un moment lors du débat télévisé, M. Landry a repris depuis, pour le meilleur comme pour le pire, son style sentencieux et magistral qui séduit peut-être les conseils d'administration, mais qui creuse l'écart entre lui et le commun des mortels. Il avait pourtant adopté d'emblée le style du chef d'État et du visionnaire au moment où il rangeait clairement le Québec dans le camp des peuples opposés au coup de force étasunien.

Quant au chef libéral, Jean Charest, que les récents sondages m'incitent à présenter à la fin, il a été égal à lui-même : agile et inconsistant. Confronté à ses promesses à propos des fusions municipales, il a subrepticement modifié sa politique. Il fait courir et rire les foules, mais il demeure irrévocablement peu crédible dans le rôle de chef d'État. S'il devait gagner l'élection, ce serait, conformément à ce qu'enseigne l'histoire, parce que le gouvernement s'est battu et non parce que l'opposition a mieux lu la réalité et accouché de solutions plus adaptées. Bien traité par les sondages, il n'en a pas profité pour équilibrer son équipe. Un peu comme un instructeur qui ajoute des marqueurs aux brillants avants qu'il possède déjà au lieu de recruter les défenseurs qui lui font défaut, M. Charest a alourdi la représentation du monde des affaires au sein de son parti au lieu d'ouvrir largement sa porte à des personnalités rompues à l'analyse sociale.

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Un mot du débat télévisé. Nul doute qu'il a laissé des traces : dérive accélérée dans l'ADQ, flottement au sein du Parti québécois, regain de confiance chez les libéraux. Je continue à regretter que l'exercice n'ait laissé aucun espace aux partis autres que les trois plus familiers. Je déplore également que le gouvernement péquiste n'ait jamais proposé publiquement un débat en langue anglaise parallèle à celui que les réseaux francophones ont organisé. Le débat en français a fourni à M. Charest l'occasion de gagner des points auprès de l'électorat francophone, mais, en ne proposant rien comme équivalent anglophone, le Parti québécois a raté la chance de rejoindre le chef libéral sur son terrain et de montrer à l'autre électorat qu'il fait partie du Québec.

Dans mon esprit, M. Charest ne mérite aucune félicitation pour le coup bas qu'il a porté à MM. Parizeau et Landry lors du débat. M. Charest s'est mal conduit en laissant entendre à tort que M. Parizeau venait de reprendre les propos controversés qu'il avait tenus lors du dernier référendum. M. Charest commettait ainsi un « délit de fuite », puisque la victime ne pourrait jamais obtenir réparation. Ou M. Charest a escamoté la vérification des faits ou il a sciemment déformé la déclaration de M. Parizeau. Dans les deux hypothèses, le geste était indigne d'un aspirant chef d'État. À vaincre malproprement, on triomphe sans gloire et on usurpe le pouvoir..

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Et les grands enjeux? La campagne électorale ne les a ni correctement circonscrits ni même tous identifiés. Les trois partis gâtés par les médias ont parlé de santé, mais aucun n'a ébranlé les clichés courants. Tous trois ont tenu pour acquis qu'on manquait d'argent, alors qu'un examen le moindrement sérieux et une transparence courageuse auraient conduit à dire tout haut que le gonflement des budgets importe moins que le changement des moeurs et le contrôle des appétits. Personne n'a rappelé que l'éducation doit passer en premier lieu : l'investissement en éducation aide indirectement la santé, alors que la dépense de santé laisse l'éducation en l'état. Tous ont insisté pour que l'université reçoive davantage, mais nul n'a osé signaler que les besoins sont plus criants à la base de la pyramide scolaire. Après un mot d'approbation rendu nécessaire par les vastes manifestations contre l'agression étasunienne contre l'Irak, les trois partis se sont repliés sur les horizons domestiques. Rien ou si peu sur la réforme des institutions démocratiques, sur l'eau, sur la persistante pauvreté, sur le sort fait aux jeunes contrevenants par le dérapage punitif du gouvernement central, sur la contribution québécoise à la mise en oeuvre du protocole de Kyoto, sur la nécessité d'une alternative au monopole agricole de l'UPA, sur la réhabilitation urgente des métiers manuels, sur la défense des droits fondamentaux contre l'hystérie sécuritaire, etc.

Que le quasi silence au sujet de l'eau nous soit ici un symbole de myopie collective. D'une part, l'eau se profile comme une occasion de conflits majeurs aux quatre coins du monde. D'autre part, l'actualité ne nous permet pas d'ignorer que notre puissant voisin considère les ressources mondiales, l'eau comprise, comme faisant partie des intérêts vitaux étasuniens. Que des partis politiques censément tournés vers l'avenir en aient si peu à dire sur la propriété et la distribution de l'eau, cela est-il normal? J'ai beau présumer que les rédacteurs de programmes ont glissé quelque part une mention au sujet de l'eau, je serais plus rassuré si les partis avaient consacré plus de temps à parler de l'eau, dont l'importance s'accroît, que de fusions municipales déjà intégrées aux sédimentations sociales.

Laurent Laplante

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20030410.html

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