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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 3 mars 2003

Le Québec à court et à moyen terme

Un double questionnement traverse présentement le Québec. L'un découle de l'échéance électorale, l'autre d'un souci plutôt tardif et assez flou d'enrichir et de rénover nos institutions démocratiques. Dans le premier cas, les équipes en présence s'adonnent à un étonnant jeu de saute-moutons, échangeant leurs rangs dans les sondages à un rythme sans doute éprouvant pour leurs nerfs. Dans le second, quelques amendements au régime actuel semblent recevoir l'aval de la population, mais rien n'indique encore que les Québécois et leurs élus d'aujourd'hui ou de demain tiennent à des réformes dignes de ce nom. Ni dans un questionnement ni dans l'autre on ne sent le souffle des grands jours.

La remontée du Parti québécois dans les sondages contredit à la fois la prévision à laquelle s'abandonnait l'électorat et les savantes projections des spécialistes. Il y a moins d'un an, l'Action démocratique (ADQ) de Mario Dumont marchait d'un bon pas vers une victoire éclatante. Si beaucoup s'interrogeaient sur la lucidité de ce parti, nul ne doutait de sa popularité; il formerait aisément un gouvernement majoritaire. Pendant ce temps, l'on procédait d'avance et l'oeil sec à l'enterrement d'un clan péquiste péremptoirement déclaré vieilli et dépassé. Les libéraux, quant à eux, se tenaient à assez courte distance de l'ADQ sans jamais séduire l'électorat francophone qui prononce l'ultime verdict à chaque scrutin et sans que le chef Jean Charest se soit jamais élevé à la stature attendue de lui. La liquidation du Parti québécois était d'autant plus inévitable, pensait-on, que son allié sur la scène fédérale, le Bloc québécois, cherchait aussi gauchement que d'habitude son unité et sa raison de vivre et voyait certains de ses piliers le délaisser au bénéfice de l'ADQ. Aujourd'hui, après plusieurs enquêtes révélant que le Parti québécois avait stoppé l'hémorragie, voilà que le plus récent coup de sonde persuade les analystes que le PQ peut obtenir un troisième mandat consécutif. Le même sondage confirme une tendance qui dure depuis assez longtemps pour en devenir plausible : l'ADQ dégringole vers les enfers et occupe désormais la troisième place.

Que s'est-il donc passé? Aucun facteur n'est intervenu qui puisse justifier à lui seul un aussi radical changement de décor. En revanche, plusieurs éléments ont joué dont quelques-uns tiennent à la conjoncture plus qu'à la performance des partis et des chefs. Qu'on le veuille ou non, par exemple, les préparatifs d'une guerre contre l'Irak plaident en faveur d'un pari sur la stabilité et l'expérience. Charles Péguy, s'il pouvait s'adresser à Bernard Landry lui servirait peut-être de façon impie son célèbre vers : « Et les pas des légions avaient marché pour lui ». Pour traverser la triste guerre qui s'annonce, mieux vaut, semble penser l'électeur, miser sur une équipe qui connaît la navigation.

Autre facteur qui fera au moins sourire le chef du Parti québécois, le départ imminent du premier ministre fédéral vaut aux « méchants séparatisses » la bouffée d'oxygène économique tant attendue. M. Chrétien ne pouvait se permettre de s'en aller en rejetant aussi cavalièrement que d'habitude les demandes unanimes des provinces. Ce fut certes sa politique depuis des années, mais ce ne pouvait être le mot d'adieu d'un homme politique arrivé au stade où on se préoccupe du jugement de l'histoire. Stéphane Dion souffrant d'une réjouissante aphonie, M. Chrétien ne pouvait nier un déséquilibre fiscal patent et honteux sans monter lui-même au front et se discréditer personnellement. Le gouvernement central, bien contre son gré, a dû se résigner à partager ses surplus et à donner quelque chose aux provinces. L'équipe de M. Landry profite ainsi de ce que les astronautes appelleraient une fenêtre inattendue; son mérite aura été de consacrer à des priorités défendables cet argent presque inespéré et de calmer la grogne aux endroits les plus bruyants. Jusque-là, le gouvernement Landry profite de la conjoncture et reçoit le crédit que méritent les équipes prudentes. Il ne démontre ni inventivité particulière ni sollicitude accentuée, mais il a montré du sérieux.

Si le décor a changé aussi radicalement, il faut ajouter d'autres explications. La principale, ce sera forcément l'insondable ineptie de l'ADQ. Déjà, quand il était seul à exposer ses idées, Mario Dumont manquait de clarté, de continuité, d'esprit pratique. Autant M. Dumont excellait à planter des banderilles dans le conformisme de ses adversaires, autant il était incapable d'articuler des propositions crédibles. Depuis qu'il a su recruter quelques personnalités respectables, la situation, loin de s'assainir, s'est dégradée. On a même le sentiment que des personnalités recrutées au cours de la période d'euphorie découvrent aujourd'hui avec une certaine gêne qu'elles se sont fourvoyées dans une étrange galère. Il est malaisé d'imaginer, en tout cas, un arrimage entre le simplisme de M. Dumont en matière de santé et les nuances que dicte sa compétence à la docteure Lescop. De la même manière, on ne voit pas comment une femme aussi articulée que Diane Bellemare peut prétendre, même emportée par le stoïcisme, que l'ADQ n'est pas un parti de droite. Madame Bellemare a été mal traitée par le gouvernement du Parti québécois, mais cela ne peut quand même pas la rendre aveugle à la réalité adéquiste. Il en va de même du président de l'ADQ; plus le respectable Guy Laforest s'entête à défendre les plus fumeuses élucubrations de M. Dumont, plus il déroute ceux qui, comme moi, le lisaient avec intérêt. Il est vrai que dans ses textes de 1994 et de 1995 M. Laforest, déjà, faisait des détours pour trouver et parfois inventer des vertus à M. Dumont et à l'ADQ. Dès 1995, par exemple, le politologue Laforest vantait « l'autonomisme de Mario Dumont et de l'Action démocratique, un parti ouvert à l'idée d'interdépendance mais incapable d'accepter un fédéralime de tutelle enfermant le Québec dans le nationalisme ethnique » (De l'urgence, Textes politiques 1994-1995, Boréal, 1995, p. 177). Cela n'explique pourtant pas l'entêtement que mettent le chef et le président de l'ADQ à défendre des concepts aussi bizarroïdes que les bons d'éducation. Signe que l'ADQ est pleinement consciente de sa déroute, le chef Mario Dumont emprunte depuis quelques jours un ton métallique qui ne lui va pas et un débit qui respire l'affolement.

Cela dit, M. Landry a plus que raison de mettre ses troupes en garde contre le triomphalisme. Espérons qu'il s'adresse à lui-même ce genre de conseil. D'une part, il faut plus qu'un seul et unique sondage pour asseoir solidement l'hypothèse d'un nouveau gouvernement péquiste. D'autre part, élément plus inquiétant, le Parti québécois ne parvient pas encore à se renouveler. Il perd autant et plus de candidats qu'il n'en recrute. Certains des ministres, comme MM. Legault et Simard, ont acquis de l'expérience et renouvellent les perspectives. Il faudrait pourtant des additions. Les résultats annoncés par les sondages ne peuvent, en effet, se traduire en gains locaux que si des candidats sont là pour en profiter. Le PQ, sur ce terrain, est encore loin de la victoire.

Quant au questionnement conduit pour rénover les institutions démocratiques québécoises, il est trop tôt, en l'absence du rapport, pour tirer des conclusions définitives. À ce stade, rien ne justifie de grandes réjouissances. La participation a été restreinte et peu enthousiaste. On a souvent perdu de vue qu'un système est un tout et qu'il est aventureux de vouloir renouveler telle composante sans réfléchir à l'ensemble. On a jonglé avec les structures sans assez prendre en compte la réalité. Ce fut particulièrement frappant à propos du régime présidentiel : on a rejeté l'hypothèse sans se rendre compte que ce régime existe déjà dans les faits. Il est particulièrement inquiétant, enfin, qu'une réflexion sur les institutions démocratiques n'ait pas songé un instant à s'arrêter sur la concentration de la presse. La presse, en effet, est une institution démocratique si névralgique qu'il est vain d'espérer le pluralisme politique qui fonde la démocratie sans un véritable pluralisme de presse. En ignorant ce préalable, la réflexion se concentrait sur les structures et perdait de vue qu'une démocratie dépend de citoyens renseignés plus que de cadres légaux.

Bien sûr, il faudra revenir là-dessus quand le rapport aura été déposé.

Laurent Laplante
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