Dixit Laurent Laplante, édition du 6 février 2003

Qui et quoi croire?

Il faut y revenir sans cesse : quand le mensonge remplit l'horizon, comment choisir entre une guerre qu'on nous affirme légitime et une paix qui, comme celle dont Hitler bénéficia en son temps, constituerait une lâcheté et une coûteuse naïveté? On a beau, en effet, demeurer aussi conscient que possible du « devoir d'information » et investir dans la méfiance une paranoïa nourrie de quelques décennies de journalisme, le mensonge se pratique aujourd'hui avec tant d'agilité et mobilise tant de professionnels censément au-dessus de tout soupçon qu'on soupçonne qu'un traquenard attend chacun de nos pas. Le pire, c'est qu'on a raison : le doute, plus que jamais, est de rigueur. Mais puisque, malgré tout, il faut choisir, penchons du côté de la paix.

Ce combat contre la désinformation est à reprendre chaque jour, tant sont inextinguibles les soifs de bénéfices et tant sont imaginatifs les menteurs qui les maquillent en vertus. Voilà, par exemple, que deux témoignages, évidemment à vérifier comme tous les autres, viennent d'ébranler quelques-unes des rares certitudes (?) que l'on pouvait encore entretenir au sujet de Saddam Hussein et au sujet des positions européennes face à l'hypothèse d'une guerre contre lui. Ces certitudes, répétons mentalement le point d'interrogation, ne rendaient pas inévitable la guerre contre l'Irak, mais nous assuraient du moins que Saddam Hussein la mériterait amplement et que les États-Unis bénéficient, n'en déplaise à la France, d'un soutien important de la part de l'Europe.

Que disent ces dérangeants témoignages? L'un prétend, contre un avis pourtant répandu, que Saddam Hussein n'a peut-être pas commis le pire des crimes retenus contre lui. Il n'aurait pas « gazé » ses propres citoyens. L'autre témoignage est un amalgame d'affirmations en provenance du Los Angeles Times et du Wall Street Journal. Une conclusion un peu alambiquée se dégage de la lecture parallèle : la fameuse lettre signée par huit chefs d'État européens ne serait pas imputable à une initiative européenne, mais découlerait d'une invitation du Wall Street Journal à laquelle le premier ministre britannique aurait apporté son concours. Deux chefs d'État, ceux de l'Italie et de l'Espagne, auraient saisi au vol la suggestion du belliqueux journal américain et une certaine animosité européenne à l'égard d'un axe franco-allemand aurait permis à la boule de neige de prendre de l'ampleur. Que ces deux pavés dans la mare méritent pleinement créance, il est permis d'en douter. Que les partisans de la guerre à tout prix soient capables de propager des mensonges caractérisés d'une telle ampleur ou des écrans de fumée qui empêchent toute perception nette de la vérité, cela, en revanche, est aisément admis.

Que faire? À mon avis, se laisser porter par deux règles raisonnablement simples : choisir la paix aussi souvent que possible; croire ceux qui, tout en constituant des témoins crédibles, n'ont pas d'intérêt à nous mentir. À elles seules, ces deux règles font pencher la balance vers le rejet musclé de toute action militaire contre l'Irak.

Choisir la paix est aujourd'hui non seulement possible et souhaitable, mais parfaitement conforme aux exigences du réalisme. Établir un parallèle entre le nazisme trop longtemps dorloté par le pacifisme anglo-français et le régime de Saddam Hussein insulte au bon sens. D'une part, Hitler pouvait être jugé sur ses actes, tandis que Hussein, depuis une douzaine d'années, n'a manifesté aucune propension à l'agression. On l'a pourtant espionné quotidiennement, tout comme on a bombardé massivement son territoire, tout comme on l'a induit en tentation en lui vendant tout ce qu'on lui reproche ensuite de posséder. D'autre part, Hitler possédait une armée, un équipement et surtout des généraux capables d'intimider ses voisins, tandis que Saddam Hussein n'appartient pas à la même ligue que les États-Unis. Dans les circonstances, parier sur la paix n'est même pas un risque. Saddam Hussein prendrait-il l'initiative d'une attaque qu'il serait déboulonné par Israël et les États-Unis en quelques jours. Le seul parti politique à reconnaître cette évidence, c'est le NPD qui ne veut aucune guerre, même pas celle qu'approuverait l'ONU.

L'autre facteur qui milite (sans jeu de mots) contre l'hypothèse d'une guerre contre l'Irak, c'est la piètre qualité des arguments mis de l'avant par l'axe anglo-américain. Au temps de ma jeunesse, on nous enseignait l'apologétique, discipline dont je n'ai retenu que les deux principes permettant de départager quelque peu les témoins crédibles et ceux qui ne le sont pas. Ces principes sont simples. Le premier dit ceci : les témoins qui parlent ont-ils vu eux-mêmes les faits dont ils parlent? Le second dit : les témoins qui parlent ont-ils un quelconque intérêt à nous mentir? Appliqués à la conjoncture actuelle, ces principes me paraissent valoir de l'or. Le premier, certes, ne nous éclaire pas beaucoup, car les mensonges pullulent et le commun des mortels ne peut même plus savoir si celui qui parle sait de quoi il parle. À première vue et sous réserve des démentis que lui oppose Human Rights Watch, il est au moins possible que Stephen C. Pelletiere sache de quoi il parle quand il affirme (cf. hyperlien) que Saddam Hussein n'a pas « gazé » ses citoyens. S'il fut vraiment un analyste politique de haut vol affecté par la CIA à la situation irakienne pendant la guerre entre l'Iran et l'Irak, il est sûrement mieux renseigné et plus crédible qu'un Ronald Rumsfeld qui semble avoir tout oublié de sa rencontre avec Saddam Hussein. Quant au deuxième principe applicable à l'évaluation des témoins, celui de leur intérêt à mentir, poser la question à propos du président Bush et de ses acolytes, c'est déjà y répondre : on hésiterait à traverser la rue de confiance si ces gens-là nous assuraient que le feu est vert.

En somme, la disproportion est si grande entre Saddam Hussein et ses adversaires qu'il n'y a aucun risque à suivre le NPD dans son rejet de toute offensive militaire. Et les « témoins » qui jugent la guerre nécessaire ont pris tant de libertés avec la vérité que la prudence la plus élémentaire invite à ne pas les croire.

Laurent Laplante

P.S. 1 Pourquoi les États-Unis n'ont-ils pas remis leurs 'preuves' aux inspecteurs?

P.S. 2 Quand on peut espionner un pays ennemi jusque dans sa chambre à coucher, quelle menace représente-t-il?

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20030206.html

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