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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 20 janvier 2003

Que veut exactement l'inspecteur Blix?

Les semaines passent sans alléger le moindrement les pressions que subit le chef des inspecteurs de l'ONU. S'il ne trouve pas ce que Washington et Londres prétendent avoir localisé, on l'accuse de manquer d'audace ou de compétence. Si, au contraire, il pointe du doigt des ogives vides, on s'empresse de conclure à sa place à l'existence d'un noir complot irakien. Blix, visiblement, ne peut satisfaire à la fois le président Bush et le président Chirac, à la fois les guerriers du Pentagone et les pacifistes d'un peu partout. L'évaluation de son travail, déjà difficile en raison des divergences d'intérêts et de perspectives, devient presque impossible quand Blix lui-même semble s'adonner à une navigation passablement sinueuse. Si l'équipe d'inspection de l'ONU se montre aussi taciturne ou équivoque que Saddam Hussein, que doit-on penser?

Le facteur temps occupe depuis peu l'avant-scène. On peut penser que Hans Blix s'en réjouit. Au départ, en effet, les États-Unis mettaient en doute la pertinence des inspections. Du point de vue de Américains, la cause était entendue, Sadaam Hussein coupable, la guerre inévitable et glorieuse. Quand des réticences ont commencé à se manifester, grâce à la France et, ne l'oublions pas, à l'Allemagne, le Conseil de sécurité s'est résigné, évidemment sans enthousiasme délirant dans le camp des guerriers, à ce que des inspections aient lieu. C'était un premier gain pour l'inspecteur Blix. On en arrive aujourd'hui à se demander si les inspections ne devraient pas durer plus que prévu initialement. La France, quant à elle, plaide pour une prolongation et l'Angleterre ne milite pas contre cette hypothèse. Cela, qui pourrait constituer une deuxième victoire pour l'inspecteur Blix, soulève cependant beaucoup de questions. Or, M. Blix ne les affronte pas directement.

Pourquoi, en effet, faut-il continuer à zigzaguer à travers le territoire irakien? Est-ce parce que les États-Unis, jamais à court d'une rouerie, tiennent maintenant à tout prix à ce que les inspections débouchent sur des constats accablants pour l'Irak? Est-ce plutôt sous la dictée de la France et des autres pays raisonnablement sereins que les inspecteurs demandent un report de l'échéance et tentent d'accoucher d'un verdict indiscutable? Après la visite de plus de 300 sites et une récolte négligeable, les probabilités sont minces de résultats vraiment menaçants. Pourtant, en l'absence d'une explication convaincante de la part de M. Blix, les diverses hypothèses s'entrechoquent.

Ce qui ajoute à l'ambiguïté, c'est cette nouvelle voulant que l'équipe d'inspection en soit arrivée à envisager une base d'opération permanente à Mossoul. La résolution 1441 évoquait la possibilité de créer deux centres d'opérations, mais pourquoi avoir attendu la veille de l'échéance pour donner suite au projet et pourquoi une base permanente si la mission se termine d'ici peu? M. Blix est-il déjà si assuré d'un sursis qu'une telle permanence lui paraisse indispensable? Et pourquoi une base permanente en plein territoire kurde? A-t-on déjà en tête une partition de l'Irak et la création, contre le gré de la Turquie, d'un État kurde autonome? À ma connaissance, jamais M. Blix n'a justifié la création d'une base permanente. Pas plus qu'il n'a expliqué pourquoi son équipe obtient des États-Unis et non de l'ONU l'avion ou l'hélicoptère soudainement nécessaire aux déplacements des inspecteurs. Dépendre d'un avion américain, n'est-ce pas faire connaître d'avance aux guerriers les prochains sites à inspecter? On aimerait croire M. Blix quand il affirme que cela ne rend pas son équipe dépendante des États-Unis; il serait plus sain que même les apparences de l'autonomie soient assurées.

Il est également étrange que l'équipe d'inspection, au moment où elle s'immobilise comme un chien d'arrêt devant des ogives capables de porter des charges chimiques, ne sache pas si ce stock apparaissait dans le plantureux inventaire irakien. J'aurais pourtant pensé, naïf que je suis, que des inspecteurs consulteraient l'inventaire avant de débarquer sur un site et sauraient d'avance ce qu'ils risquent d'y découvrir et ce dont ils doivent vérifier l'existence. Comment expliquer qu'il faille après coup s'en remettre à l'inventaire sur lequel les États-Unis ont fait main basse et qu'ils ont expurgé par milliers de pages? D'ailleurs, est-ce bien toujours du même inventaire que l'on parle ou faudrait-il distinguer entre ce que les Américains ont photocopié et ce qu'ils ont remis aux autres pays? Comment fera-t-on, puisque les membres non permanents Conseil de sécurité n'ont pas la version intégrale de l'inventaire, pour les persuader que l'Irak a omis ou non de mentionner le stock litigieux? La grossière interception du courrier onusien par les États-Unis déploie ici ses pire conséquences.

Il serait temps, enfin, que M. Blix précise ce qu'est à ses yeux le manque de collaboration. Car il a mentionné ce problème dans des contextes bien différents. Pendant les premières inspections, alors que la tension se coupait au couteau, M. Blix a calmé le jeu en se félicitant de l'accueil offert par les Irakiens aux inpecteurs de l'ONU. À peu près au même moment, M. Blix a reproché aux États-Unis et à son allié anglais de cacher des informations à l'équipe d'inspection. On tenait, à Washington, à Berlin, à Londres, à Moscou, à Beijing et à Paris, à ne pas fournir la liste des marchands qui avaient équipé l'Irak en amements nauséabonds et cela privait les inspecteurs de renseignements névralgiques. À cette époque, le blâme pour manque de collaboration allait dans un certain sens. Aujourd'hui, M. Blix n'en finit plus d'inciter l'Irak à plus de transparence, mais il ne reproche plus rien à ses cibles d'hier. Dira-t-il clairement ce qui a changé et en quoi les uns et les autres adoptent aujourd'hui un comportement différent de celui d'hier?

Allons un cran plus loin. Est-ce à l'Irak qu'incombe le fardeau de la preuve? Saddam Hussein doit-il, en plus de laisser circuler les inspecteurs de l'ONU sur son territoire, démontrer la pureté de ses intentions? Est-ce à Saddam Hussein de s'incriminer, au sens du cinquième amendement étasunien, ou est-ce aux inspecteurs à trouver de quoi accuser Saddam Hussein? Si la police entre chez moi avec un mandat de perquisition, peut-elle m'inculper parce que je ne mène pas la fouille à sa place?

Comprenons-nous bien. Les inspections menées sous l'égide de l'ONU sont une nécessité. Certes, elles bafouent la souveraineté de l'Irak, mais Saddam Hussein n'a que lui à blâmer si la communauté internationale le regarde avec méfiance. Tout bien considéré, les bombardements angloaméricains sur une partie du territoire irakien constituent une agression beaucoup plus grave et infiniment plus arbitraire contre Bagdad que les inspections. Il est, d'autre part, tout à la gloire de M. Blix que d'être devenu, face à la monomanie du président Bush, celui qui donne du temps au temps et qui l'oblige à légitimer la guerre. Je souhaite simplement que, dans ces débats où la bonne foi de chacun est constamment mise en doute, les mandataires de l'ONU élèvent la leur au-dessus de tout soupçon. Cela est possible en expliquant ce que Mossoul vient faire dans la surveillance de l'Irak, ce qu'est le manque de collaboration et sous quelles formes il s'est manifesté dans un camp comme dans l'autre. Un élément mérite une attention particulière : annoncer la découverte d'ogives vides sans vérifier d'abord si elles apparaissaient dans l'inventaire irakien, cela risque de ramener l'opinion dans le camp de ceux qui, d'avance, traitaient Saddam Hussein de cachottier.

Laurent Laplante

P.S. Je ne prétends surtout pas tout savoir ou tout avoir compris. On trouvera sans doute des inexactitudes dans mes perceptions comme on localisera des questions envoyées à la mauvaise adresse. J'essaie simplement de démontrer que la guerre n'a pas encore de justification claire et que la paix jouirait de meilleures chances de se réaliser si les diplomates osaient se montrer plus transparents.

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