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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 16 décembre 2002

Un sondage aux multiples corollaires

Effectué en Israël au moment où les deux principales formations politiques du pays viennent de choisir leurs duellistes, un sondage plutôt déconcertant lance la réflexion dans plusieurs directions. Dans un premier temps, le sondage ne livre pas les résultats auxquels on pouvait s'attendre et cela ne peut qu'exacerber les supputations quant à l'utilité de l'élection qui se déroulera à la fin de janvier. Dans un deuxième temps, le Québec, qui examine présentement ses institutions démocratiques, a tout intérêt à digérer lentement le sondage israélien. Il jette, en effet, une lumière crue sur les mérites et les inconvénients du vote à la proportionnelle.

Demandé par le quotidien Yedioth Ahronoth, le sondage étonne. Moi le premier, j'ai d'abord pensé, et je ne m'en suis pas caché, qu'Ariel Sharon avait gagné son pari. Contesté à l'intérieur même du Likoud, Sharon a relevé le gant que lui jetait l'ancien premier ministre Netanyahu et il a provoqué un scrutin avant l'échéance prévue. Cela forçait les partis à retourner à leur base et à tester la popularité de leurs différents porte-parole. On devait rapidement découvrir que le bluff de Sharon avait comblé les membres du Likoud : l'actuel premier ministre l'a emporté sur son rival par au moins 20 pour cent. Défait et même écrasé, Netanyahu acceptait dès lors de limiter ses ambitions au poste de ministre des Affaires étrangères et se soumettait à Sharon. Ce n'était que l'étape préliminaire, mais on eut alors l'impression, moi comme bien d'autres, que le pire obstacle sur la route du premier ministre était éliminé et que Sharon aurait encore moins de difficulté à remporter l'élection nationale de janvier qu'à conquérir la direction du Likoud. À partir d'une boule de cristal que je destine maintenant à tel ou tel économiste en panne d'inspiration, j'ai pensé que Sharon sortirait du scrutin de janvier plus fort qu'il n'est aujourd'hui et qu'il pourrait presque former le gouvernement avec les ressources du seul Likoud et se soustraire au chantage de tiers partis intolérants.

Mon calcul se fondait également, de manière tout aussi erratique, sur les flottements observés à l'intérieur du parti travailliste. Les pressions, en effet, étaient très fortes pour que le candidat travailliste Amram Mitzna cesse de promettre la reprise des négociations avec les Palestiniens. Évoquer la paix au pays des faucons, disait-on à Mitzna, c'est suicidaire. Ce courant de pensée devait sans doute beaucoup aux travaillistes conciliants qui, tel Shimon Péres, ont fait parti du cabinet Sharon. Ces gens ont pactisé avec Sharon et son bellicisme beaucoup trop longtemps pour percevoir la futilité de l'intransigeance hargneuse. On pouvait néanmoins se demander s'ils ne prêchaient pas un pragmatisme cynique, mais rentable. Après tout, les discours de la droite rejoignaient l'opinion israélienne. Chère boule de cristal!

Le sondage nous ramène sur terre. Mitzna continue de traîner de l'arrière, mais le recul de Sharon est si net que la marge entre les deux hommes se rétrécit. Sharon, à qui on promettait 40 sièges et plus, n'en obtiendrait plus que 33. Non seulement Sharon ne réduit pas sa dépendance à l'égard des tiers partis, mais il la voit se cristalliser et peut-être s'alourdir. La fragmentation de la Knesset résiste à la polarisation souhaitée par Sharon et le pouvoir ne se concentre pas encore entre les mains du Likoud. Les prévisions sont les suivantes : Likoud : 33; travaillistes : 21; Shinui : 12; Meretz : 9; Shas : 9; Union nationale : 8; Agudat Israël : 5... Au moins neuf partis auraient des représentants à la Knesset.

Du coup, ceux des travaillistes qui pressaient Mitzna de maintenir le cap et de proposer carrément un discours d'apaisement retrouvent une certaine crédibilité. Puisque le durable morcellement de la droite risque de replonger le pays dans son alternance d'attentats et de représailles et d'aggraver une dégradation économique et sociale déjà douloureuse, peut-être est-il rentable pour les travaillistes de se différencier vraiment. Les prochains sondages diront (je deviens un peu plus prudent!) si les travaillistes progressent dans la faveur populaire grâce à un tel discours. Ce serait heureux.

À regarder de loin cette élection menacée de frivolité, le Québec ne peut que s'interroger sur l'efficacité d'un scrutin à la proportionnelle. Certes, ce mode de scrutin permet aux diverses tendances de s'exprimer. Pour peu qu'un parti israélien obtienne un et demi pour cent du suffrage universel, il accède à la Knesset qui compte 120 sièges. Bien peu de tendances sont privées de visibilité. En revanche, il est manifeste qu'un parlement aussi divisé que le fut et que risque de l'être encore la Knesset ne peut gouverner efficacement ni même de façon transparente. Quand s'impose une réaction rapide, il n'est pas question d'entreprendre d'interminables palabres avec les diverses tendances représentées au conseil des ministres. Un noyau de ministres prend les commandes et, surtout, l'armée obtient carte blanche. Telle fut la situation sous Sharon. Israël a ainsi souvent sacrifié la représentativité théorique d'une Knesset éclatée et abandonné aux généraux le pouvoir réel. Concept admirable que celui de la proportionnelle pure; retombées au mieux équivoques.

Est-ce à dire que le Québec doit s'en tenir à son mode de scrutin uninominal à un tour? Doit-il se résigner aux énormes distorsions dont ce système est couramment responsable? Faut-il encore et toujours attacher un plus grand prix à la stabilité politique qu'à la représentativité de l'institution parlementaire? Ces questions font surface régulièrement. On cite régulièrement les distorsions observées lors des scrutins de 1970 et de 1973. Dans le premier cas, le Parti québécois obtient 23 pour cent des voix, mais seulement sept députés; dans le second, le vote péquiste monte à 30 pour cent, tandis que sa députation diminue à six. Résultats évidemment scandaleux. Comme pour se racheter, le système a pénalisé les autres formations politiques de façon aussi frustrante lors du plus récent scrutin. L'ADQ de Mario Dumont méritait, sur la foi de ses résultats globaux, beaucoup plus qu'un député. Le Parti libéral de Jean Charest, du fait qu'il avait obtenu plus de voix que le Parti québécois, aurait dû, en bonne équité, constituer le gouvernement.

Il n'est pourtant pas obligatoire de choisir entre la lèpre et le choléra. D'une part, parce qu'Israël, à titre d'État farouchement confessionnel, favorise la prolifération de blocs idéologiques incapables de souplesse. Quand un courant religieux interdit à l'avion Hercule expédié au Kenya de revenir en Israël le jour du sabbat à moins que des vies soient en danger, on mesure la complexité de la politique israélienne et on comprend que les diverses orthodoxies religieuses maintiennent la Knesset sous haute surveillance. Le scrutin à la proportionnelle n'est pas exposé souvent à de tels dérapages.

D'autre part, le Québec aurait toutes les raisons du monde de préférer la souplesse allemande à l'intransigeance israélienne, la proportionnelle pondérée à la mathématique implacable de la proportionnelle pure. Déjà, au temps où le ministre Robert Burns multipliait les consultations sur cette question, plusieurs des meilleurs politologues avaient évoqué avec sympathie la formule allemande. Outre l'harmonisation qu'elle réussissait entre les députés élus au suffrage direct et ceux qu'ajoutait la correction des distorsions grâce à la proportionnelle, l'ingéniosité allemande obtenait un équilibre entre les tendances centralisatrices et le poids des régions. Les députés issus des listes de « repêchage proportionnel » ne provenaient pas tous de la centrale du parti. Dans le Québec d'aujourd'hui, cette dimension ajoute à la séduction de la proportionnelle pondérée.

Le Québec a raison de réévaluer ses institutions démocratiques. Il n'a cependant pas à choisir entre un statu quo insatisfaisant et une formule piégée par une mathématique éthérée, une confessionnalité abrupte et le simplisme militaire.

Laurent Laplante
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