Dixit Laurent Laplante, édition du 5 décembre 2002

Menaces et équivoques en matière d'information

Parler d'information, c'est parler de culture, de démocratie, de société, d'intelligence, d'humanité et de quoi encore? Nul n'a donc à s'excuser d'y revenir sans cesse, surtout au moment où certains pouvoirs la menacent de tout leur poids, où de vieilles tendances à la manipulation se réincarnent en nouvelles impostures, où les journalistes eux-mêmes s'interrogent plutôt maladroitement sur l'encadrement de leur profession ou sur les relations entre leur rôle et celui de l'État.

Tout en identifiant septembre 2001 comme le déclencheur d'un redoutable assaut contre la libre circulation de l'information, plantons certaines balises ou rappelons-en l'existence : les gouvernements, les transnationales et leurs bureaucraties n'avaient pas attendu cet ébranlement pour entourer leurs activités et la rédaction de leurs études d'un secret aussi étanche que possible. Exemple entre plusieurs, l'ancien Vérificateur général du gouvernement central et son collègue du Commissariat à la protection de la vie privée avaient dénoncé, bien avant l'actuelle hystérie collective au sujet de l'omniprésent Ben Laden, la « culture du secret », culture qui, depuis le sommet de la pyramide politique, encourageait les fonctionnaires à esquiver les questions du public et des médias. La propension à l'opacité n'est pas née du 11 septembre 2001.

Ce qui a alors fait surface et qui marque l'aggravation d'une propension déjà inquiétante, c'est, sous les pressions de la Maison blanche, une connivence explicite et hargneuse entre le pouvoir exécutif et le secret. Propagée par Washington, la contamination affecte un nombre croissant de capitales. L'esquive face aux questions les plus légitimes a cessé d'être une entorse aux lois pour devenir une vertu digne des complaisances du pouvoir suprême. Quand M. Ashcroft promet son soutien aux fonctionnaires qui enfreindront la loi sur le droit d'accès à l'information, il commet un crime contre la démocratie. Quand les gouvernements des pays soumis aux pressions américaines consentent eux aussi à favoriser la dissimulation de peur, paraît-il, de renseigner une quelconque cinquième colonne, il y a, là aussi, crime contre la démocratie. Requérir l'emprisonnement d'un individu tout en refusant de présenter les preuves qui militent en faveur d'une mesure aussi extrême, c'est, à sa face même, un déni de justice. Catch 22 n'allait pas aussi loin, ni Le Procès. Quand, à l'inverse, les divers gouvernements, le nôtre compris, prélèvent sans vergogne des renseignements personnels dans les dossiers des compagnies d'aviation, les font circuler d'une police à l'autre et modulent ces intrusions selon le pays d'origine, l'äge ou la couleur de la peau, l'information, là aussi, cesse d'être ce qu'elle doit être, c'est-à-dire un vecteur de liberté. Cela, sous nos yeux, est chose faite.

L'irrespect du gouvernement américain à l'égard de l'information cause différents effets pervers, dont celui de faire douter de l'information. Comme par hasard, tel média publie de quoi discréditer un inspecteur de l'ONU à l'oeuvre en Irak. Comme par hasard, un journal britannique laisse entendre que des armes prohibées seraient entreposées dans les résidences des fidèles de Saddam Hussein. Comme par hasard, cela survient pendant que le président Bush et son écuyer britannique affichent leur mépris pour les inspections de l'ONU et continuent leurs bruits de botte.

Changeons de dossier, mais parlons encore d'information. Même si je persiste à croire que le Québec mérite une autonomie enrichie, à défaut d'une souveraineté complète, je me sens mal à l'aise quand le gouvernement québécois met des avantages fiscaux à la disposition d'une quelconque thèse politique. Certes, le gouvernement central s'est toujours mal conduit en ce domaine. Ottawa, pourvu en sophismes par les soins du grand défenseur de la Charte des droits, Pierre Trudeau, n'a jamais hésité à bafouer cyniquement les règles québécoises sur les référendums et à entourer de secret la distribution clandestine de fonds publics aux défenseurs du fédéralisme. Cela, je le sais. Dans ma candeur sans doute anachronique, je persiste pourtant à croire que deux torts n'égalent pas un droit. Une souveraineté qui en devrait trop aux techniques de mise en marché aurait un goût amer au palais des démocrates. Le gouvernement québécois agirait plus utilement par rapport à l'information s'il se préoccupait davantage de la concentration de la presse et s'il s'inquiétait par la même occasion de la raréfaction des entreprises vouées à l'impression et à la distribution des journaux. La démocratie se loge dans la diversité plus que dans des instruments de propagande. La fin ne justifie pas les moyens.

Et parlons de journalisme. Réunis en congrès, les journalistes québécois ont eu le bon sens de renvoyer dans les limbes l'idée d'un encadrement législatif de leur métier. Peut-être cependant certains d'entre eux sont-ils parvenus à la bonne décision par le mauvais chemin. Il y a simplisme et démagogie à rejeter le recours au pouvoir législatif de l'État en arguant du fait que le journalisme doit rester à distance de tous les pouvoirs. La loi, en elle-même, peut affirmer des droits, tout comme elle peut ajouter des contrôles. Sataniser le contact avec l'État aux fins de jouer le Robin des bois des ondes publiques, je doute que cela soit conforme à l'intérêt public ou qu'il s'agisse d'une information fiable. Quand se déroule le procès d'une personne admissible à l'aide juridique, les fonds publics sont partout : ils paient l'avocat de l'aide juridique, ils paient le procureur de la couronne, ils paient le juge et son entourage. La justice est-elle alors absente? Pas nécessairement. Tout est dans la façon de traiter avec l'État, non dans le rejet facile et global de l'État. Les prix littéraires du Gouverneur général ont si souvent abouti dans les comptes bancaires d'écrivains souverainistes qu'on devrait savoir que ce qui vient de l'État n'est pas nécessairement contrôle, prébende ou trente deniers. Certains auraient dit moins de sottises s'ils avaient lu le plus récent ouvrage d'Armande St-Jean, en se concentrant sur les passages où il est question des façons prudentes et souhaitables d'établir des relations entre l'État et le journalisme.

Il est à remarquer, dans la même veine, que les journalistes veulent un financement plus substantiel pour le Conseil de presse. Ils ont raison, car un budget de 400 000 $ ne peut produire des miracles, mais leur réflexion est singulièrement rachitique à propos de cet organisme. Créé au moins théoriquement pour recevoir les plaintes du public, le Conseil abandonne quand même les deux tiers de ses sièges aux entreprises de presse et aux journalistes. C'est là un vice structurel dont le milieu journalistique ne semble plus voir qu'il édulcore la critique et mine la crédibilité de l'organisme.

Quant aux relations entre les différentes catégories de journalistes, elles demeurent étrangement équivoques. Certains se scandalisent qu'il soit si facile à un politicien ou à un instructeur de hockey de se recycler soudainement en journaliste. Je ne trouve pas grande gloire moi non plus à subir ces concubinages. En revanche, le droit d'expression est un droit universel et je déplorerais qu'un corporatisme toujours renaissant vienne déterminer qu'on ne peut écrire ou parler sans un diplôme en journalisme, l'appartenance à la FPJQ ou l'aval du Conseil de presse. D'ailleurs, bon nombre des dérapages qui magacent sont le fait d'individus qui sont, indubitablement, des journalistes et des journalistes permanents, mais qui accomplissent un travail indubitablement choquant. L'information, en tout cas, perd en clarté et en utilité sociale quand un journaliste indubitablement journaliste et indubitablement imbu de lui-même truffe de ses états d'âme personnels la lecture des informations et en brouille la teneur. Dans ces cas, le tort est le même qu'il soit imputable à un vrai de vrai journaliste ou à un quelconque pigiste marginal.

Je me réjouis enfin que les professionnels permanents du métier jettent un regard attendri sur les pigistes. Peut-être pourrait-on, sur cette lancée, vérifier si l'on a expurgé toutes les conventions collectives où le syndicat et la direction s'entendent pour réduire à presque rien la rémunération et la présence de collaborateurs extérieurs à la salle de rédaction. Les défenseurs de la diversité montreraient alors une sympathique cohérence.

L'information fait partie des plus indispensables utopies. À chacun de la garder sur ses rails.

Laurent Laplante

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20021205.html

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