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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 18 novembre 2002

Des régions à respecter ou à dégriffer?

Entrepris dans la controverse et la méfiance, le face-à-face entre le gouvernement québécois et les représentants des régions aura réussi à faire renaître, une fois encore, certains espoirs. C'est à l'épreuve, cependant, qu'on saura si cette fois est la bonne et quel contenu concret aura la décentralisation. Ce qui rassure quelque peu, c'est qu'une décentralisation québécoise ne ferait que se rattacher à un courant mondialement ressenti. D'autres pays, la France par exemple, se sont engagés de façon délibérée, vigoureuse et parfois brouillonne dans la voie de la régionalisation. Au Québec de donner à sa politique la coloration adéquate.

MM. Charest et Dumont ne nous apprennent pas grand-chose quand ils accusent le gouvernement Landry de n'évoquer la régionalisation que par crainte d'une prochaine déconfiture électorale. Ils ne nous apprennent rien, car les trois partis sont, à cet égard, dans le même bateau : dans une lutte électorale triangulaire, les régions détermineront l'identité du gagnant et la composition de l'Assemblée nationale. Peut-être même susciteront-elles le premier gouvernement minoritaire dans l'histoire du Québec. Un parti politique québécois qui ne ferait pas de mamours aux régions manifesterait plus de masochisme que de grandeur d'âme. Heureusement, il arrive que de mauvais motifs conduisent à un geste nécessaire.

Le diagnostic des partis d'opposition aurait été plus juste s'il avait pointé du doigt la fragilité d'une régionalisation entreprise avant que soit achevée ou même fermement enclenchée la réflexion québécoise sur les institutions démocratiques. Alors même, en effet, qu'on sonde les reins et les coeurs pour savoir si les Québécois veulent des élections à date fixe et à la proportionnelle, alors même qu'on évoque la possibilité d'adjoindre à l'actuelle Assemblée nationale une chambre plus directement représentative des régions ou qu'on sache si les Québécois veulent d'un régime présidentiel, le gouvernement, court-circuitant sa propre consultation, offre aux régions une panoplie d'ententes inédites. En procédant de façon aussi irrationnelle, le gouvernement a peut-être cédé à la crainte : de peur de voir les délégations des régions quitter la rencontre, le gouvernement a d'avance mis sur la table la réponse qu'il entend faire à la consultation populaire sur les institutions démocratiques. C'est une triste façon de stériliser cette consultation. Sur ce terrain, la réaction des jeunes libéraux a été étonnamment sereine et intelligente lorsque, au lieu d'ergoter à propos de l'opportunisme péquiste qui vaut bien celui de MM. Charest et Dumont, elle a clairement proposé une forme d'élections à la proportionnelle combinant la prudence et les audaces de la formule allemande.

Cela dit, il demeure heureux que le gouvernement Landry consente au beau risque d'une certaine régionalisation. En manifestant de la souplesse, le gouvernement péquiste cesse de mériter la critique des tenants du fédéralisme rigoureusement symétrique. En accordant aux régions ce qu'il réclame pour sa propre gouverne, le Québec s'approche, en effet, d'une rentable cohérence. Il cesse d'homogénéiser tout en revendiquant son droit à la différence. Il donne la marge de manoeuvre qu'il réclame. Il y a plus, toutefois. Le geste québécois s'inscrit, en tout cas, dans un mouvement qui déborde d'emblée ses frontières. Il montre que le Québec peut entendre la voix des petits patries comme bien d'autres États commencent à le faire. En France, le plan Raffarin, qui promet de contrer la séculaire tendance française à l'uniformité et à la centralisation, renvoie aux instances locales et régionales une série de pouvoirs décisionnels. Les régions de la France n'avaient d'ailleurs pas attendu ce plan pour s'exprimer. Déjà, la Corse suscitait la controverse à droite comme à gauche. Déjà, si vous rouliez en Bretagne, vous pouviez constater la résurgence du breton dans l'affichage routier. Non seulement le breton s'ajoute au français sur bon nombre de panneaux routiers, mais il s'impose à l'occasion comme un véritable unilinguisme régional. Le Québec ne fera que se montrer sensible à un courant de grande portée s'il entend la voix des régions.

Un intéressant ouvrage de Stéphane Paquin propose une interprétation plus large encore de ce réalignement des responsabilités et des pouvoirs politiques. La simplification des relations commerciales entre les États-nations fait tomber, dit l'auteur, bon nombre des contrôles qu'exerçaient les gouvernements centraux sur leurs composantes. Les régions en profitent pour s'émanciper. Ce qu'une entreprise étrangère peut faire sur le sol national, comment l'interdire à une région? Pourquoi une région raterait-elle la chance de traiter directement avec le monde quand l'État-nation devient commercialement poreux? Jacques Parizeau tenait d'ailleurs un discours analogue quand il décrivait la mondialisation comme une occasion offerte à la spécificité québécoise.

Pour s'intégrer à ce mouvement sans se laisser fragmenter jusqu'à l'atomisation, le Québec doit cependant se donner des ancrages précis. La réflexion sur les institutions démocratiques, à laquelle le Québec s'est refusé pendant des années en se croyant déjà parvenu à la transparence idéale et à la perfection démocratique, doit s'intensifier, s'accélérer, s'approfondir. Je le répète, modifier à la hausse l'autonomie des régions quand on ne sait pas encore si les Québécois veulent un régime présidentiel, ni s'ils modifieront l'Assemblée nationale, ni si les députés proviendront d'un scrutin proportionnel, cela est illogique et aventureux.

Dès maintenant, il faudrait savoir où se situent MM. Charest et Dumont à ce propos. Ont-ils l'intention, eux qui se portent si tendrement à la rescousse des régions, de poursuivre la réflexion amorcée par le ministre Jean-Pierre Charbonneau et d'y donner suite? C'est de cela qu'ils doivent parler au lieu d'insister sur les lacunes évidentes de l'accolade verbale entre le gouvernement péquiste et des régions mal représentées. Certes, MM. Charest et Dumont ont raison de marteler que la rencontre a surtout mis en présence le gouvernement et ses relais artificiels et complaisants de fonctionnaires régionaux, mais ils ratent l'essentiel s'ils ne précisent pas dès aujourd'hui leurs intentions et leurs valeurs en matière d'insitutions démocratiques.

Autre ancrage majeur, celui de l'éducation. Des régions qui ne peuvent instruire les jeunes à proximité des familles sont vouées au dépeuplement et à la stagnation économique. Prétendre les aider sans leur donner les moyens d'instruire leurs jeunes à proximité de leurs racines, c'est promettre aux régions une aide illusoire. Encore faut-il que l'instruction offerte intervienne sans discontinuité. Je veux dire par là que les besoins des établissements universitaires en régions ne doivent pas occulter les besoins criants des paliers antérieurs de l'instruction publique. Le Québec compte une vingtaine d'établissements universitaires et moins de 50 cégeps. Situation indéfendable. Au sortir de la polyvalente, pour parler de la région où je vis, les jeunes de Sainte-Croix, de Dosquet, de Laurier-Station, de Lotbinière, de Sainte-Apollinaire, etc., n'accèdent à l'instruction collégiale qu'à condition de gagner Trois-Rivières, Québec, Lévis ou Victoriaville. En l'absence de transports en commun, c'est la rupture prématurée du lien avec la famille et le milieu. C'est aussi, pour les familles, la fin d'une gratuité scolaire dont les jeunes des centres profitent sans même s'en rendre compte. Ou bien les régions et les sous-régions sont équipées pour offrir l'enseignement collégial à proximité des milieux de vie, ou bien la relève continuera à se déraciner dès le palier collégial. Je veux bien qu'on pleure sur le sort des constituantes régionales de l'Université du Québec, mais je m'étonne que le discours à propos des régions escamote aussi allègrement la nécessité d'une instruction collégiale offerte en région. Qu'on observe les retombées d'antennes collégiales dans Portneuf, dans la vallée de la Matapédia ou à Baie-Saint-Paul, et on reconnaîtra qu'une stabilisation des régions passe nécessairement par le renforcement régional des ressources éducatives.

Réjouissons-nous si les régions font davantage partie des préoccupations. Insistons cependant pour intégrer la réflexion québécoise sur les régions à un courant presque mondial. Ayons la sagesse de donner un contour à la réforme des institutions démocratiques avant de lancer des hameçons séducteurs en direction des régions. N'accordons pas aux antennes gouvernementales en région le même poids qu'aux élus des instances locales et régionales. À ces conditions, les régions seront respectées et non pas seulement séduites ou dégriffées.

Laurent Laplante
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