Dixit Laurent Laplante, édition du 14 novembre 2002

Et on redémarre!

Allons-y à rebours et offrons la conclusion avant de proposer une analyse : oui, Mychelle Tremblay et moi poursuivrons l'aventure des Dixit. En tenant compte de ce que nous ont dit lectrices et lecteurs et en versant également au dossier les réflexions que nous avons menées, elle et moi selon des cheminements différents, pendant cette quarantaine de jours de silence. La porte demeure d'ailleurs ouverte pour quiconque voudrait, de façon plus tardive mais encore utile, nous octroyer ses suggestions.

1. J'ai personnellement apprécié que personne ne nous intente le procès d'intention du faux départ. Comme tout le monde, j'ai déjà rêvé d'assister discrètement à mes propres funérailles pour entendre tout le bien qu'on dirait alors à mon sujet et dont on avait négligé de me parler de mon vivant. Je jure pourtant que tel n'a pas été mon calcul. Je ressentais le besoin d'une remise en question. Toutes les hypothèses me paraissaient mériter examen. Personne ne m'a soupçonné de racolage. Merci.

2. Beaucoup ont d'ailleurs reconnu la légitimité de la démarche. À ne jamais songer au départ, on risque la sclérose et la complaisance en plus d'obstruer la voie que pourrait emprunter la relève. Quelques-uns ont d'ailleurs interprété mes récents recours aux feuilles volantes comme l'indice d'une certaine fatigue; je ne leur donne pas tort, même s'il est vrai que l'actualité place parfois sur le même pied une gamme de sujets attirants. Çà et là, quelques voix ont évoqué l'hypothèse que la cadence bihebdomadaire en exige trop; que les signataires sachent que ce rythme est certes difficile à maintenir, mais que le virus journalistique est encore si vivant en moi que je souffrirais l'enfer si je devais attendre toute une longue semaine ou davantage avant de réagir! À moi d'inventer l'équilibre toujours précaire entre l'impatience du critique et la croissante fragilité qu'impose le poids des ans.

3. Bon nombre d'interventions ont mis l'accent sur mes responsabilités. Dans l'ensemble, on n'allait pas jusqu'à me culpabiliser de songer à un désistement. Certes, le mot devoir a fait quelques apparitions, mais sur un ton que je ne saurais désavouer : oui, le débat public s'impose et il incombe à toutes celles et à tous ceux qui en ressentent le besoin de l'alimenter et de le garder vivant. J'accepte donc de bon coeur qu'on invoque contre mes doutes mon devoir de citoyen. Ce rappel à l'ordre a pesé lourd dans la balance.

4. Beaucoup ont manifesté de l'étonnement en apprenant que Mychelle Tremblay et moi ne retirons aucune rémunération pour ce travail. Cet étonnement m'étonne un peu. Peut-être aussi m'inquiète-t-il. Pourquoi présumer que le droit de parole ne s'exerce que motivé par la récompense pécuniaire? Pourquoi le plaisir de la citoyenneté ne se suffirait-il pas à lui-même? Pourquoi le journalisme refuserait-il une place au bénévolat? La liberté de parole risque gros, en tout cas, si elle devient le fief des corporatismes financiers ou professionnels. Des gens écrivent parce qu'ils sont rémunérés par des médias et cela assure à la circulation de l'information un professionnalisme et une stabilité indispensables. D'autres, cependant, peuvent et doivent réfléchir et écrire sans dépendre en quoi que ce soit de qui que ce soit. Pourquoi, dès lors, ai-je signalé le caractère gratuit de notre contribution journalistique? Précisément pour que la transparence reçoive son dû et pour qu'on ne nous soupçonne jamais d'avoir un vilain fil à la patte. Si, un jour, il devait y avoir commandite, nos abonnés seront les premiers à l'apprendre et, espérons-le, à réagir.

5. Plusieurs ont précisé qu'ils aimaient la formule même s'ils n'étaient pas toujours d'accord avec mes propos. Cette liberté va de soi. La démocratie n'a que faire des groupies.

6. Dans une bonne moitié des commentaires, un verdict inquiétant affleurait : Dixit est d'autant plus nécessaire que les médias classiques ne fournissent pas l'analyse nécessaire à la compréhension de notre temps. Je partage douloureusement ce point de vue, mais j'admets ne pas être aussi neutre à ce propos que mes interlocuteurs. D'autre part, plusieurs et parfois les mêmes déploraient de ne pas retrouver la substance des Dixit dans des médias à grand tirage. Je crains qu'il n'y ait là une forme de pensée magique. Si la logique à laquelle obéissent les médias, logique marchande à l'état brut, a conduit au nivellement et à la superficialité, ce n'est pas en acceptant sa loi qu'on demeurera capable d'esprit critique. La liberté se paie chez le rédacteur comme chez le lecteur. Le premier trouve dans ses valeurs l'incitation au travail et à l'engagement; le second s'acquitte avec un courage comparable du devoir d'information. Le recours aux mass-médias est un raccourci dont les avantages sont connus, mais il comporte aussi des risques que je préfère garder à distance.

7. La référence aux valeurs vient de surgir. Plusieurs m'ont souligné que mieux vaut revenir souvent aux mêmes valeurs, au risque d'un certain radotage, que de vivre et d'écrire sans leur accompagnement. Cela me rassure.

8. J'ai été profondément touché, Mychelle Tremblay aussi, par la chaleur humaine qui se dégageait de nombreuses interventions. À eux seuls, les témoignages pourraient justifier la reprise du collier. J'espère qu'on comprendra que ce soutien, qui m'a profondément ému, ne constitue pas le seul motif qui joue dans ma décision personnelle de poursuivre l'effort. On m'aurait vertement critiqué que ma conscience aurait quand même pu me presser de poursuivre; à l'inverse, qu'on me trouve des mérites ne me dispense pas d'interroger mes valeurs et de fonder ma décision sur ma conception personnelle de la vie civique. Heureusement, les deux analyses ont convergé.

9. Les hyperliens ont attiré l'attention de plusieurs, de façon élogieuse dans la nette majorité des cas. Deux ou trois témoignages insistaient cependant pour établir une hiérarchie entre le texte proprement dit et les hyperliens. Chacun a droit à son opinion. Ceci, cependant, doit être clair. Les hyperliens ne sont pas des additions postérieures à la rédaction du Dixit. Ils se situent la plupart du temps en amont et en aval du texte. Autrement dit, les hyperliens sont des sources dont je me sers et dont je révèle ensuite l'existence. C'est dire ma dette.

10. J'ajoute un dernier élément. Je regrette qu'Internet soit encore à ce point méconnu du monde journalistique. Jusqu'au palier du Conseil de presse, ce milieu tarde à traiter le journalisme informatique comme un mode de respiration civique à apprivoiser et à respecter. Abandonner la grande toile aux seuls intérêts mercantiles, ce serait, comme on l'a fait dans la câblodistribution, rater l'occasion d'en tirer la contribution démocratique dont Internet est capable.

Donc, un grand merci. Nous redémarrons avec des convictions rajeunies.

Laurent Laplante

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20021114.html

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