Dixit Laurent Laplante, édition du 30 septembre 2002

Feuilles volantes 3
par Laurent Laplante

Beaucoup d'éléments dignes de réflexion dans l'actualité, donc un Dixit en pièces détachées. Je ne garantis pas que l'ordre choisi soit le bon. C'est tout bonnement le mien, sans plus.

L'assaut de Bush contre les États-Unis
En demandant carte blanche pour déterminer seul les prochains gestes guerriers de l'État américain, le président Bush ne se borne pas à plonger le monde dans l'arbitraire. Il s'attaque également aux bases mêmes de la sagesse politique de son pays. On a tant vanté l'équilibre d'un système politique grâce auquel chacun des trois pouvoirs agit sous le regard et la contrainte des deux autres qu'on s'étonne d'entendre si peu de protestations quand le pouvoir exécutif réclame l'abdication du pouvoir législatif.

Notons qu'il ne s'agit pas d'un bluff. En effet, le pouvoir exécutif a déjà lancé ses opérations militaires contre l'Irak. On demande l'aval du pouvoir législatif, on prétend consulter les « pays amis », mais on a déjà atteint le stade du fait accompli puisque les débarquements de troupes ceinturent déjà l'Irak et que les bombardements s'intensifient, changent de cibles et s'approchent de Bagdad. Preuve que la guerre sortie toute armée du cerveau du président américain, en plus d'être illégitime et immorale, est inconstitutionnelle. L'Irak n'est pas le seul pays menacé par le délire du président Bush, les États-Unis le sont aussi au plus intime de leurs institutions politiques. Et les démocrates ne semblent pas le comprendre.

Un autre Jean Chrétien?
Une fois n'étant pas coutume, je suis tenté d'écrire de manière louangeuse au sujet du « nouveau » Jean Chrétien, en me munissant toutefois de la mention qu'adorent les prudents avocats : « sans préjudice ». Autrement dit, oui, j'aimerais proposer une hypothèse gentille à propos du premier ministre canadien. Elle tient en peu de mots : tout se passe présentement comme si, en commençant à se détacher du pouvoir, cet homme sans culture ni fibre morale abandonnait de temps à autre son ton fracassant et simpliste. Il trouve alors l'occasion et peut-être le courage de dire des choses intelligentes sans en soupeser les avantages partisans. M. Chrétien, par exemple, dit que la pauvreté est pour quelque chose dans le terrorisme. Nous le savions, mais il est agréablement surprenant que M. Chrétien, au risque de mécontenter l'ayatollah américain, ose enfin évoquer l'évidence. Il n'a pas dit, bien sûr, que la pauvreté explique à elle seule ou justifie le terrorisme, mais il a replacé la pauvreté au coeur du débat.

M. Chrétien a également fini par dire, toutes nuances laissées sur la touche, que le Canada ratifierait le protocole de Kyoto d'ici la fin de l'année. Ce n'est pas fait, mais la déclaration survient au moment où la résistance de l'industrie et des provinces riches en pétrole fait feu des quatre fers. Cela est rafraîchissant.

Ce qui est moins sympathique et qui révèle peut-être qu'on sait le lion blessé, les ministres libéraux et les fonctionnaires fédéraux se font un malin plaisir de contredire sourdement le premier ministre. Alors que M. Chrétien a dit, avec justesse et respect, qu'il incombe aux Palestiniens de choisir leurs leaders politiques, voilà qu'un ministre déclare qu'il ne faut pas tuer Yasser Arafat, car « on en ferait un martyr et cela n'aiderait pas au renouvellement de l'Autorité palestinienne ». Ce propos correspond davantage aux vues américaines qu'au jugement sain exprimé par M. Chrétien. De même, on jette une peau de banane devant le premier minisre quand on évalue à 200 000 le nombre d'emplois que ferait perdre au pays la ratification du protocole de Kyoto.

Il ne faudrait quand même pas que M. Chrétien soit plus mal traité au moment où il dit des choses sensées qu'à l'époque toute récente où il proférait des insanités.

Un racisme qui cache son nom
Israël se conduit de façon raciste, mais crie à l'antisémitisme chaque fois qu'on le laisse entendre et, a fortiori, lorsqu'on le lui signifie clairement. Les populations palestiniennes ne sont pas traitées de la même manière que les envahisseurs des colonies israéliennes. Le couvre-feu ne frappe qu'une ethnie, pas l'autre. L'eau, l'éducation, la liberté de circulation ne sont pas offertes de façon équitable. L'assassinat de leaders palestiniens est un mandat officiel et valorisant confié par Israël à des soldats en uniforme, celui d'un ministre israélien qui crie vengeance vers le ciel. La justice universelle ne s'applique pas aux Palestiniens qu'Israël enlève, arrête, interroge jusqu'à la torture inclusivement, détient pendant des mois et prive indéfiniment de procès. Quant aux résolutions de l'ONU, Israël les ignore avec plus de morgue que Saddam Hussein. Les inspections, les interpositions de troupes neutres, les évacuations ordonnées par l'ONU, rien de ce qui est jugé admissible ou tolérable ailleurs dans le monde n'est accepté par Israël. Comme si un peuple émergeait d'une tête au-dessus de la masse des peuples.

On se moque de nous quand on brandit la légitime défense pour justifier et même sanctifier ces abus honteux et systématiques. La première manifestation du racisme, on la trouve dans le mépris d'un peuple pour d'autres peuples. Condition remplie, même si le mot provoque la colère.

L'horizon se clarifie
Le passage du chef de l'Action démocratique du Québec (ADQ) à Toronto aura beaucoup contribué à préciser ce qu'on peut attendre de Mario Dumont. On le savait primesautier et erratique; on le découvre plus dogmatique que prévu. Il semblait improviser selon les circonstances et donnait l'impression de ne pas voir les retombées de ses cogitations; on constate qu'un fil conducteur rattache ses « perles » en un tout cohérent, mais inquiétant. L'homme parle désormais comme si des mentors s'étaient réunis autour de lui pour l'aider à mettre de l'ordre - un certain ordre - dans ses idées. Comme si on avait fait comprendre à M. Dumont qu'il est logique, si l'on accepte une médecine à deux vitesses, d'appliquer à toute la population un seul et unique taux d'imposition. Quand, en effet, on juge bon que des droits différents soient reconnus aux riches, pourquoi ne pas poursuivre sur cette lancée? Chose certaine, la coïncidence est observable : les pièces du casse-tête tombent en place et composent un dessin (dessein ?) lisible depuis que les poids-lourds de la finance et de l'industrie font partie de l'entourage du chef de l'ADQ.

Plusieurs réflexions viennent alors à l'esprit. La première, bien sûr, c'est que l'ADQ, qui devait faire souffler un vent de renouveau et de rajeunissement sur le Québec, n'a même pas attendu d'être au pouvoir pour renouer avec de vieilles et vilaines traditions. Les caisses électorales occultes contre lesquelles la révolution tranquille s'est battue n'attendent qu'un signal pour reprendre leur travail de sape.

Une autre réflexion concerne le rapide virage effectué dans le vocabulaire des analystes. Il y a bien peu de temps, plusieurs commentaient la campagne présidentielle française en utilisant, cela allait de soi, les termes de gauche, de droite et d'extrême-droite, mais en affirmant que de telles catégories intellectuelles n'étaient aucunement importables en terre canadienne. Ici, disaient-ils, ces notions n'ont pas cours et ne correspondent à rien. La correction de trajectoire est enfin venue et nos experts de s'ajuster. Ils veulent bien reconnaître que Mario Dumont demeure inintelligible sans une grille d'analyse comprenant des références à la droite et à la gauche. Partout où le souci d'équité l'emporte sur le droit individuel à l'enrichissement, une certaine notion de l'État et de la vie en société émerge. Nous sommes alors quelque part à gauche du centre. Quand l'argent définit et régit les rapports sociaux, les inégalités se répandent et l'État laisse se creuser les fossés entre les strates sociales. Nous sommes alors quelque part à droite. Le discours de Toronto a prouvé que M. Dumont mènerait le Québec très loin à droite.

À noter qu'il est possible d'être bête à gauche comme à droite.

__________

URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20020930.html

ACCUEIL | ARCHIVES | ABONNEMENT | COURRIER | RECHERCHE

© 1999-2002 Laurent Laplante et Les Éditions Cybérie. Tous droits réservés.