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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 1er juillet 2002

La désinformation du G-8

Même si les sommets des pays dits industrialisés réussissent à envahir téléjournaux et quotidiens à volonté, rien n'oblige à croire en leur utilité ni même en leur légitimité. Certes, les médias, contents de se mettre quelque chose sous la dent à un moment du calendrier où la canicule réelle ou appréhendée devient le seul sujet de conversation, s'agitent comme si chacune des grands-messes d'un G-7 ou d'un G-8 rendait plus équitables les conditions d'accès au paradis libéral. Ils devraient pourtant savoir, depuis que l'initiative de Rambouillet s'est hissée au statut de cérémonial obligé, que la publicité orchestrée à propos de ces sommets voile les orientations réellement privilégiées par les pays riches et leur attire plus de louanges qu'ils n'en méritent.

1. D'entrée de jeu, comment justifier l'existence même d'un club sélect s'autobaptisant G-7 ou G-8 et se donnant mission de remplacer l'oracle de Delphes? Au nom de quoi un groupe de pays même riches peut-il prétendre parler au nom de la communauté internationale, définir les priorités de la planète, décerner les éloges et les blâmes? L'ONU est là pour cela et mieux vaudrait la renforcer que la court-circuiter.

2. Le malaise s'alourdit quand on regarde la liste des membres de ce club. À sa face même, la sélection des membres du G-7, puis du G-8, est aussi injustifiable que possible. Le Canada, par exemple, est là comme docile appendice des États-Unis et non pas en raison de son poids économique propre ou de la plus grande transparence de sa gestion publique. L'Italie, il est vrai, joue un rôle comparable en faveur de l'Europe, mais deux torts n'ont jamais égalé un droit.

3. L'admission de la Russie comme nouveau membre à part entière confirme que le club a l'intention de poursuivre dans la voie de l'illogisme et de l'arbitraire. Ce n'est certes pas, en effet, au nom de ses mérites industriels, financiers ou sociaux qu'une Russie exsangue et incontrôlable obtient un fauteuil au sein du club. À partir de ce non-sens, chacun peut bâtir les scénarios pétroliers ou gaziers de son choix. Les pires sont les plus probables. Chose certaine, il faudra attendre pour que la Tchétchénie s'insinue dans l'ordre du jour.

4. Que l'Afrique ait droit à une sérieuse compensation de la part des pays qui ne cessent de la piller, cela est manifeste. Il n'appartient pourtant pas au G-8 ou à Jean Chrétien de se substituer à l'ONU et d'établir la hiérarchie des besoins. Il est indécent, en outre, que ce soit les prédateurs qui, par des consultations qui n'en sont pas malgré ce qu'en dit le président du Sénégal, définissent les caractéristiques de la réparation. On voit d'ailleurs les conséquences de cet illogisme : plusieurs de ceux qui ergotent au sujet de la pauvre Afrique refusent de ratifier le protocole de Kyoto qui rendrait les produits africains plus concurrentiels.

5. Parmi les facteurs qui enracinent l'Afrique dans son dénuement, il y a telle chose que la volatilité des capitaux dont les pays riches s'accommodent fort bien. Le G-8 n'adresse pourtant aucun reproche au FMI, à la Banque Mondiale, à l'OMC, organismes qui ont toujours veillé et veillent encore à ce que les échanges économiques entre les deux hémisphères profitent aux plus riches.

6. Les membres du G-8, l'un après l'autre, prennent prétexte des attentats de septembre dernier pour compliquer l'existence aux gens qui veulent quitter l'hémisphère sud. Si les nantis parlent d'immigration, c'est pour coordonner des législations de plus en plus méfiantes à l'égard des pays pauvres.

7. La faim et la maladie, qui tuent des millions de personnes dans les pays pauvres et plus cruellement en Afrique, ne suscitent pas beaucoup de pleurs au sein du G-8. Les médicaments brévetés demeurent hors de portée pour les pays les plus mal en point et les OGM qui enrichissent les pays riches accentuent la dépendance des pauvres à l'égard des Monsanto et consorts. Ni l'un ni l'autre de ces thèmes ne cause de remous au sein du G-8.

9. L'illogisme déferle toujours lorsque le G-8 assortit ses mesures réparatrices à l'égard de l'Afrique d'exigences hautaines à propos de la démocratie. On parle transparence, équité, élections libres, comme si l'Afrique devait, pour s'initier à de telles valeurs, se mettre à l'écoute et à la remorque des plus prospères démocraties. Quelles leçons les membres du G-8 peuvent-ils donner quand on sait en quelle estime Bush, Poutine, Chirac, Berlusconi, Chrétien tiennent l'éthique? Quelle démocratie le G-8 peut-il enseigner quand la France, l'Angleterre, la Russie, les États-Unis, tous membres du G-8, opposent leur veto régalien aux volontés démocratiques de l'ONU? Comment prendre au sérieux les leçons de démocratie que George Bush donne à l'Afrique quelques jours après avoir entendu le même président américain se substituer à la volonté démocratique du peuple palesinien?

10. Le G-8 ne voit visiblement pas de contradiction à inviter l'Afrique à un dépassement moral et à un culte renouvelé de la démocratie, même si certains de ses membres, dont les États-Unis, s'opposent avec virulence à ce qu'une justice véritablement internationale puisse agir. On oublie que les seuls êtres humains à avoir subi jusqu'à maintenant les foudres de la justice internationale sont... des Africains.

11. L'illogisme sévit encore à propos du désarmement. Le G-8 se targue de consacrer des milliards de dollars à la destruction d'armes nucléaires russes, mais, au même moment, les États-Unis se dégagent des anciens traités plafonnant les stocks d'armes nucléaires et se dotent d'un budget de défense de 400 milliards. On peut présumer que ce qui disparaîtra sera remplacé par pire et par plus abondant. D'ailleurs, à juste titre, Greenpeace met en doute les méthodes auxquelles on entend recourir : le G-8 envisage un recyclage à haut risque plutôt qu'une véritable destruction.

12. Autant il est clair que l'Afrique ne connaîtra la prospérité que si elle trouve d'abord la paix, autant il est patent que certains membres du G-8 sont les principaux commerçants d'armes et les premiers responsables des violences qui ensanglantent l'Afrique. Les États-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne et la France occupent, en effet, quatre des cinq premières places au chapitre du commerce mondial des armes. Dans les circonstances, on peut même penser que tout allégement de la dette africaine, s'il s'avère, sera compensé par de nouveaux achats d'armes auprès des fournisseurs habituels de l'Afrique.

Faut-il multiplier les griefs? À quoi bon? Qu'il nous suffise, en dépit de la rentable servilité des médias, de ne pas bénir tout ce qui est ostentatoire.

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