Dixit Laurent Laplante, édition du 25 avril 2002

Le Canada s'éloigne honteusement de Kyoto
par Laurent Laplante

Pour la plus grande honte des citoyens et citoyennes de ce pays, les pressions qui s'exercent sur nos gouvernants pour torpiller le protocole de Kyoto semblent en voie de l'emporter. Le ministre canadien de l'Environnement, M. David Anderson, a même réussi le triste exploit, en dressant le bilan de la réunion des ministres de l'Environnement du G-8 tenue à Banff du 12 au 14 avril, de ne jamais mentionner ce protocole. Le Canada, qui avait pourtant proclamé haut et fort son intention de le ratifier avant la fin de 2002, manque ainsi à ses engagements les plus clairs et mérite pleinement la réprobation des pays et des groupes qui ont compris, eux, l'urgence de contrer les gaz à effet de serre.

Le recul canadien a ceci de particulièrement dramatique qu'il risque de stériliser ou au moins de retarder dangereusement une offensive de dimension mondiale contre le réchauffement de la planète. Ce n'est pas, en effet, notre seul environnement que menace la myopie de divers gouvernements canadiens, mais la terre entière. Toute rhétorique mise au rancart, telle est et sera notre indiscutable responsabilité : si le Protocole de Kyoto meurt avant de naitre, le Canada fera partie des deux ou trois avorteurs.

Un coup d'oeil sur l'article 25 du protocole signé à Kyoto et en attente de ratification confirme cette lecture de l'actualité. Ce protocole entrera en vigueur, y lit-on, quatre-vingt-dix jours suivant la date où « 55 pays signataires de la Convention... dont les émissions comptent pour au moins 55 pour 100 du total des émissions de 1990... auront déposé un document de ratification du Protocole ». Dès l'instant où les États-Unis, entraînés par une Maison-Blanche vouée aux intérêts pétroliers et gaziers américains, rejettent le Protocole, que devient l'objectif de 55 pour 100? Un idéal qui ne possède plus qu'un souffle de vie, car il ne sera atteint que si les tous autres pays se mobilisent fermement, Canada compris, en faveur du protocole. Le refus du protocole par les États-Unis, qui pèsent presque 40 pour 100 dans le total des émissions, transforme, en effet, la lutte contre les gaz à effet de serre en parcours du combattant. Comment atteindre 55 pour 100 à même le bloc de 60 pour 100 que se répartissent les pays autres que les États-Unis? Tout se passe comme si, dans un contingent réduit à 60 pollueurs, il fallait obtenir 55 signatures. C'est dans ce cadre extrêmement exigeant qu'il faut évaluer - et regretter amèrement - la myopie canadienne. Le Canada et le Japon, même si leurs émissions de gaz à effet de serre représentent des pourcentages limités du tonnage mondial, constituent, en tout cas, la différence entre le 55 pour 100 indispensable et un échec à deux doigts de ce seuil.

Il serait facile d'imputer toute la culpabilité aux États-Unis et de présenter le Canada comme un impuissant satellite. On pourrait dire que le Canada s'est conduit en vassal à la conférence sur le racisme comme dans la lutte au terrorisme et qu'il demeure fidèle à ses ornières. Plusieurs provinces canadiennes recourent déjà à une telle argumentation en affirmant que leurs entreprises ne pourront soutenir la concurrence avec leurs homologues américaines si elles sont astreintes à des règles environnementales auxquelles échappent leurs concurrentes. C'est à un tel point de vue, d'ailleurs, que le gouvernement central semble sur le point de se rallier.

Sans justification cependant. Que les pressions gouvernementales et industrielles en provenance des États-Unis soient massives, cela ne fait pas de doute. Mais le Canada ne peut pas, même en exagérant sa dépendance à l'égard des États-Unis, faire oublier sa responsabilité spécifique. En dépit des engagements contractés il y a une dizaine d'années, non seulement le Canada n'a pas effectué la diminution promise de six pour cent dans le volume de ses émissions de gaz à effet de serre, mais il l'a accrû de 13 pour 100! De 1990 à 1998, le tonnage canadien passe de 611 770 à 692 230, une augmentation qui, en pourcentage, dépasse même le gonflement des émissions américaines ( 6 048 786 en 1990 et 6 726 997 en 1998, soit 11 pour 100 de plus). Un article récent du journaliste spécialisé Louis-Gilles Francoeur du Devoir établissait même à 20 pour 100 l'augmentation des émissions canadiennes depuis la promesse de les réduire. Honteuse performance canadienne à inscrire à notre tableau d'honneur (!), non à celui des Américains. Le Canada procédait ainsi à une démonstration peu glorieuse  : ce pays, qui étale depuis dix ans son impuissance à s'autodiscipliner, a perdu le droit de rejeter une coercition internationale. Et cela, répétons-le, indépendamment de ce que font et demandent les États-Unis.

Il y a plus honteux encore. En plus de pratiquer l'amnésie volontaire à l'égard de ses engagements de Rio et de Kyoto, le Canada remet en question ce qui paraissait pourtant acquis au début de la présente ronde de négociations. Par d'étranges contorsions, le Canada avait obtenu que l'étendue de ses forêts, décrites comme des puits de carbone, le dispense d'une partie de ses responsabilités. Les pays disposés à ratifier le Protocole de Kyoto, l'Union européenne en particulier, n'avaient consenti à ce maquignonnage que dans l'espoir de se rapprocher grâce au Canada du seuil fatidique de 55 pour 100. Mais voilà que le Canada, abusant de l'importance qu'il tire de son statut de « balance du pouvoir », demande des accommodements supplémentaires. Nous ne sommes plus en face d'atermoiements, mais d'une claire manifestation de mauvaise foi. Le « plusse beau pays du monde », comme le décrit notre premier ministre, est surtout, en ce domaine névralgique, le plus exaspérant et le plus myope.

Car les faits témoignent contre les arguties canadiennes. Le réchauffement de la planète n'est plus une hypothèse, mais un constat dûment accepté. L'influence des émissions à effet de serre n'est plus à démontrer, mais à gérer. Le réchauffement de la planète n'est plus un sujet de dissertation, mais une menace précise, chiffrée, meurtrière. Que notre pays soit parmi les pires coupables, voilà qui est établi sans contexte. Ne pas agir est preuve de myopie et d'irresponsabilité. Seuls des prédateurs à courte vue se conduisent ainsi.

P.S. Je ne saurais trop recommander à quiconque veut s'y retrouver (un peu) le superbe livre que signent Claude Villeneuve et François Richard : Vivre les changements climatiques - L'effet de serre expliqué (Éditions MultiMondes, 2002). Tout est là depuis les démissions politiques, le témoignage des sciences, les dommages causés par les véhicules au gabarit excessif, les astuces de la désinformation, les imminentes conséquences du réchauffement...

__________

URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20020425.html

ACCUEIL | ARCHIVES | ABONNEMENT | COURRIER | RECHERCHE

© 1999-2002 Laurent Laplante et Les Éditions Cybérie. Tous droits réservés.