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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 18 mars 2002

On aimerait tant y croire!

Jeudi dernier, sur les ondes de Radio-Canada (Québec), Yoav Talmi, le chef d'orchestre de l'Orchestre symphonique de Québec, un juif né en Palestine avant la création de l'État d'Israël, était invité à exprimer son sentiment à propos du Proche-Orient. J'étais à la porte du studio, attendant l'heure de ma chronique. « Nous avons espéré la paix tant de fois... », a-t-il répondu, avec une émotion palpable dans la voix. Il ne blâmait personne, il n'opposait pas son identité juive à une autre, il souffrait de ce que j'appellerais « un espoir rentré ». On sentait, malgré la prudence du propos, l'entêtement de cette espérance. C'est à lui que je pense aujourd'hui en relisant la résolution 1397 du Conseil de sécurité de l'ONU.

Avant d'encourager M. Talmi à entretenir son optimisme, il faut malheureusement prendre en considération deux sources d'incertitude : d'une part, le texte même de la résolution; d'autre part, les louvoiements et les roueries de la politique américaine.

Même si les médias répètent comme un indiscutable mantra que, pour la première fois, le Conseil de sécurité propose la création d'un État palestinien, il faut beaucoup d'imagination pour localiser dans le texte quoi que ce soit qui confine à une prise de position claire et ferme. L'idée d'un État palestinien ne fait même pas partie du dispositif de la résolution. Autrement dit, la mention surgit dans les considérations dont le Conseil de sécurité tient compte dans sa réflexion, mais la création d'un État palestinien ne fait pas partie des conclusions qu'il tire de son analyse. La différence n'est pas réductible à la sémantique. La référence à un État palestinien, en effet, se limite à ceci : « Le Conseil de sécurité..., professant la vision d'une région où deux États, Israël et la Palestine, vivraient côte à côte dans des frontières sûres et reconnnues et exprimant sa profonde inquiétude... » Vision sûrement émouvante et presque bucolique, mais simple vision tout de même.

Pour mesurer la distance qui sépare cette évocation bien peu exigeante de ce qui serait une volonté sans équivoque, il suffit de quitter le terrain des « considérant » et des « attendu que » et de prêter attention au ton et au vocabulaire du dispositif : « Le Conseil de sécurité... 1. exige la cessation immédiate de tout acte de violence... » Cette fois, on délaisse l'approche conciliante et lénifiante et on adopte le style universellement intelligible de la mise en demeure. Exiger est un verbe qui évacue l'ambiguïté; si on l'évite à propos de l'État palestinien, le corollaire devient attristant. Certes, on apprécie que le Conseil de sécurité professe la vision d'une région pacifiée, mais de là à transformer ce rêve en exigence clairement déployée, il y a malheureusement une marge.

Ce déprimant scepticisme est alimenté par les incessantes et croissantes contorsions de la politique américaine. Seule puissance en mesure d'intervenir partout sur la planète, les États-Unis mènent de front des négociations qui, à une époque encore récente, se seraient déroulées sans influer les unes sur les autres. Il n'en va plus ainsi. Pendant que l'émissaire Zinni s'entretient avec Ariel Sharon, puis Yasser Arafat, le vice-président Dick Cheney se rend dans une dizaine de capitales avoisinantes. Le premier tente de rapprocher Israéliens et Palestiniens; le second s'efforce de gagner des appuis à l'hypothèse d'une nouvelle offensive américaine contre l'Irak. La synchronisation des deux tournées interdit de les croire étrangères l'une à l'autre. On doit plutôt conclure de cette concomittance que les résultats obtenus par M. Cheney détermineront en bonne partie l'attitude américaine dans la crise du Proche-Orient. Si la plupart des pays arabes devaient maintenir leurs réticences face à l'ambition américaine de détrôner Saddam Hussein, il est à craindre que la « vision » que le Conseil de sécurité « professe » à la demande des Américains s'estompe sans laisser de traces. La résolution 1397 rejoindrait alors, dans les limbes des déclarations qui ne modifient pas le réel, les résolutions 242 (1967) et 338 (1973).

Israël sait d'ailleurs à quoi s'en tenir. Ariel Sharon, en contact constant avec Washington, reçu autant de fois qu'il le souhaite par le président Bush, parfaitement au fait que les conglomérats pétroliers et gaziers américains s'intéressent au sous-continent voisin, pourvu d'antennes dans toute l'administration républicaine, comprend fort bien jusqu'où il peut aller et comment doser dans le temps la frappe et la patience. En l'occurrence, Sharon esquisse gentiment l'ombre d'un soupçon de commencement de retrait partiel, mais il garde ses blindés et ses troupes aux portes des villes palestiniennes. Si le vice-président Cheney n'obtient pas l'appui désiré, Washington décidera probablement, comme en Afghanistan, de se passer du concours arabe et Ariel Sharon pourra reprendre là où il a laissé. La résolution 1397 aura vécu. L'espoir, une fois de plus, aura été de courte durée.

Doucher ainsi l'espoir, même par souci de réalisme, n'est pourtant pas une solution. Et je revois le chef Yoav Talmi, un homme d'âge mûr dont l'enfance est inscrite dans cette partie enfiévrée du monde et qui, depuis des décennies, n'entend en provenance de son coin natal que des détonations, des bruits de bottes et les pleurs des endeuillés. Mieux vaut, à tout prendre, parier encore et encore sur la paix et puiser dans les sourires de la conjoncture actuelle de quoi nourrir l'optimisme. Car la conjoncture est, malgré tout, favorable. Le plan de paix élaboré par le prince Abdallah résiste assez bien au défaitisme et reçoit plus d'appui que prévu. Les appuis partisans d'Ariel Sharon fondent de jour en jour. Les priorités américaines, pour mercantiles qu'elles soient, militent quand même en faveur d'un apaisement et peuvent imposer à Israël un certain sens de la mesure. Le Conseil de sécurité, enfin appelé à se comporter selon sa dignité théorique, découvre, avec peut-être un certain étonnement, qu'on attend de lui plus que de la docilité. Autant de variables encourageantes. Autant de chances supplémentaires accordées à l'espoir.

On aimerait tant y croire!

RÉFÉRENCES :

Résolution 242, Conseil de sécurité, 22 novembre 1967
Résolution 338, Conseil de sécurité, 22 octobre 1973.
Résolution 1397, Conseil de sécurité, 13 mars 2002.
Plan Mitchell, 30 avril 2001 (en anglais)
Plan Tenet, 13 juin 2001 (en anglais)

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