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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 14 février 2002

La soif du pouvoir jusqu'à l'empoisonnement?

« On naît à gauche et on meurt à droite », disait, paraît-il, André Laurendeau. Il arrive, en revanche, ce qui ne réjouit pas davantage, que la révolution dévore ses enfants. Rares sont, en tout cas, les projets politiques qui progressent de leur naissance à la réussite sans rien trahir de la flamme originelle. Plus rares encore les réussites politiques qui ne se cramponnent pas au pouvoir jusqu'à l'oubli de leur raison d'être. Chose certaine, le Parti québécois confirme tristement plusieurs poncifs, dont celui qui affirme que « le pouvoir corrompt et (que) le pouvoir absolu corrompt absolument ». Cela confortera dans leur paresse de coeur ceux qui n'ont jamais recherché autre chose que le profit; cela peinera don Quichotte et tous ses enfants spirituels, dont moi.

Ce serait une piètre défense de la part du Parti québécois que de comparer ses imprudences aux vilaines habitudes des adversaires. Oui, M. Gagliano a fait pire. Oui, M. Charest a déjà rêvé de vacances peu coûteuses. Mais, à mes yeux, deux torts n'égalent pas un droit et celui dont la vertu dépérit dès que sévit le mauvais exemple perd tout droit à l'admiration. C'est une défense tout aussi moche encore d'affirmer, comme le fait le premier ministre québécois, qu'aucune loi n'a été enfreinte. La conscience qui devient aphone quand le code criminel ne lui souffle pas de réponses manque décidément d'autonomie et de mordant.

S'approche-t-on d'une justification acceptable en invoquant le droit de chacun au choix de ses amis ou l'utilité sociale des démarcheurs? Pas vraiment.

L'amitié est une bien belle chose, mais celle qui ne s'avise pas des responsabilités de l'ami manque clairement de lucidité et, plus encore, de générosité. Celui qui veut du bien à un ami ne le met pas dans l'embarras. Il s'éclipse plutôt que de lui témoigner publiquement une amitié qui serait embarrassante. Il agirait comme ces chefs syndicaux qui s'abstenaient d'appuyer ostensiblement telle candidature ou telle cause de peur que leur endossement nuise au lieu d'aider. Calcul mesquin dont une amitié est incapable? Pas du tout. Les amis des élus ont un devoir de réserve dicté par le souci de l'ami et le respect de ses fonctions; les élus ont, face à leurs relations personnelles, un devoir de prudence qui les suit depuis le passage de la femme de César. Invoquer l'amitié pour justifier un voyage avec un démarcheur ou la présence d'un démarcheur au sein même de l'appareil du parti gouvernemental, c'est ravaler ce sentiment à sa pire contrefaçon. Il y a d'ailleurs des circonstances, M. Landry le sait mieux que quiconque, où l'amitié doit céder le pas à d'autres devoirs : renvoyer de vieux amis souverainistes comme MM. Chevrette et Brassard par souci d'efficacité et justifier par l'amitié le voyage de M. Baril ou le cumul de fonctions de M. Bréard, c'est pratiquer l'amitié à géométrie variable.

Mauvaise défense encore que celle qui met de l'avant le droit qu'a chacun de gagner sa vie. L'activité des démarcheurs auprès de la fonction publique et des élus est, quelle que soit la façon de torturer le bon sens, une atteinte à la démocratie. S'il s'agit pour un individu ou une organisation de se prévaloir d'un programme gouvernemental, c'est le dossier qui doit faire foi de tout et non l'intimité du démarcheur avec tel décideur. Les divers demandeurs ont, en démocratie, un droit égal aux bénéfices des programmes. S'il s'agit de faire progresser un projet de loi ou, au contraire, de le bloquer, au nom de quoi s'en remettrait-on aux démarcheurs plutôt qu'au débat public? Pourquoi le lobby des armes à feu pèserait-il plus lourd que les familles touchées par la tuerie de Polytechnique? Pourquoi les coulisses au lieu de l'agora? Pourquoi la « sensibilisation » discrète plutôt que l'argumentation à ciel ouvert? Loin de contribuer à la transparence dont la démocratie a vitalement besoin, le démarchage repousse dans l'ombre les motifs qui ont effectivement conduit à l'abandon de tel projet de loi ou à l'amendement souhaité par tel groupe d'intérêts. À cela s'ajoute, bien sûr, l'indésirable réhabilitation de la pression financière. Les groupes les plus riches emploient les démarcheurs les plus rentables et n'en faussent que mieux le débat social. Dans le cas du Québec, cela est particulièrement ironique : un État qui se glorifie de ne pas permettre aux personnes morales de financer les partis politiques ferme les yeux quand des démarcheurs stipendiés s'efforcent de peser sur la législation...

Malgré tout cela, la solution ne réside pas dans l'édiction d'une loi. Des règles peuvent, il est vrai, baliser certains aspects du commerce d'influence, mais la plupart demeureront poreuses. Il va de soi, par exemple, qu'un ministre ne devrait pas, en retournant au secteur privé, s'entremettre immédiatement entre le ministère qu'il dirigeait et son nouvel employeur. Quand une ministre fédérale de la Santé devient, du jour au lendemain, la porte-parole d'un puissant groupe de pression du même secteur, il y a évidemment déficience de la fibre démocratique. Mais comment vérifier la description de tâches? Comment intenter des procès d'intention à d'anciens hommes politiques comme Richard French, Marcel Masse ou Clément Richard en raison de leur rapide « déplacement latéral » vers Bell ou Lavalin? Que donnerait une règle s'il est impossible ou odieux d'en vérifier l'application de trop près? Quiconque entretient des illusions à cet égard n'a qu'à tenter un bilan du rôle assumé à Ottawa par le conseiller à l'éthique que le premier ministre Chrétien paie et contrôle.

La solution, elle réside avant tout dans l'adhésion morale de chaque décideur à un civisme intelligent et rigoureux. Si l'exigence morale se raréfie à mesure que progresse l'ascension politique, les conséquences ne peuvent être que dévastatrices. En revanche, le resserrement volontaire des exigences morales produit un assainissement général du climat social et même des pratiques commerciales. C'est ce que croyait René Lévesque quand il a libéré les partis politiques du Québec de la servitude des caisses occultes. C'est d'un aggiornamento comparable dont nos partis politiques ont besoin.

La solution, elle passe aussi par la liberté critique dont Le Devoir vient de donner une superbe démonstration. Quand on sait que ce quotidien est le seul à entretenir une sympathie minimale à l'égard de la souveraineté, on imagine sans peine quels dilemmes furent ceux des journalistes et de la direction. Une presse vigilante vaut n'importe quel artifice législatif; qu'elle en soit remerciée.

RÉFÉRENCES :

Lobbying : le directeur général du PQ a touché 200 000 $, Kathleen Lévesque, Le Devoir, 9 février 2002

Projet de loi sur le lobbying, Communiqué du 13 février 2002, Gouvernement du Québec

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