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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 19 novembre 2001

Des régions toujours orphelines

Un lecteur m'invite à parler du développement des régions du Québec. Beau sujet, mais dont je ne puis traiter que de façon épidermique. Heureusement, l'invite me parvient au moment où le hasard vient de me convier à une journée de réflexion sur ce thème au creux d'une région des environs de la capitale québécoise. Cela me permet de masquer quelque peu mon incompétence en me laissant puiser dans les analyses offertes à cette occasion. Je conserve pourtant la responsabilité de mes excès. Je ne puis m'empêcher de sourire du contraste : il y a un an, je méditais sur le manque d'intérêt que nous manifestions pour les affaires internationales et voilà que le pendule semble avoir couru à l'autre extrême...

1. Les régions, faute de confiance en leur dynamisme propre, faute aussi d'avoir été traitées convenablement par les pouvoirs centraux, succombent aisément aux charmes de la pensée magique. Elles parient sur des structures, alors que les structures ne règlent généralement pas grand-chose. Si elles vivent à proximité d'une entreprise majeure, elles en attendent le salut. Comme si une aluminerie sise dans le décor régional allait tout à coup s'intéresser au développement local plus qu'aux aléas d'un marché mondial régi par un oligopole.

2. Les régions, même si l'exode des jeunes les vide de leurs meilleures ressources et les rend durablement exsangues, accordent encore trop peu d'attention à la formation des jeunes et des adultes. Pourtant, plusieurs régions auraient raison d'affirmer haut et fort que la gratuité scolaire n'existe pas pour elles au-delà du palier secondaire. Certaines régions, comme Baie-Saint-Paul, la vallée de la Matapédia ou Portneuf, ont réussi à se doter d'une antenne d'enseignement collégial, mais dans plusieurs autres régions ou sous-régions, comme Lotbinière, les parents ne peuvent offrir les études collégiales à leurs enfants qu'en les projetant à l'extérieur du décor familier et en payant de leur poche la pension et le transport. Plusieurs régions endurent cette situation sans en percevoir le caractère dramatique.

3. Certaines régions déplorent cet exode de leurs jeunes. Car ceux-ci partent s'instruire et ne reviennent pas. Les régions ne sont ni les seules ni les principales responsables de cette dramatique hémorragie, mais la plupart d'entre elles n'ont pas encore réagi en garantissant aux jeunes une place dans les organismes régionaux de planification, dans les conseils d'administration des caisses populaires, dans les conseils municipaux et scolaires. Pourquoi les jeunes reviendraient-ils si le milieu ne semble pas s'être ennuyés d'eux?

4. Parce que les paliers supérieurs de gouvernement entonnent périodiquement le couplet régional, beaucoup en déduisent que le temps arrive enfin d'un plus grand respect de Québec et d'Ottawa pour les identités et les contributions régionales. On ne semble pas savoir que les grands centres et les appareils politiques ne comprennent que le rapport de force. L'autonomie promise n'échappera jamais longtemps ni substantiellement à la manie du contrôle. Mieux vaut ne pas entretenir d'illusions. De plus, une région quémandeuse n'obtiendra jamais le respect; une région qui articule elle-même ses stratégies verra les politiciens voler au secours du succès.

5. L'esprit de clocher demeure une plaie régionale. Les parcelles de la région se combattent si farouchement que les paliers supérieurs de gouvernement sont dispensés des arbitrages cruciaux. Il leur suffit de dire « Entendez-vous et nous vous aiderons » pour avoir la paix.

6. L'esprit de clocher n'est pas seul responsable du morcellement stérilisant des régions. Le cloisonnement sévit aussi à l'intérieur de la plupart des municipalités. Il suffit, en tout cas, de fréquenter un peu les régions pour constater à quel point les composantes d'une région s'ignorent les unes aux autres. La Chambre de commerce ne sait rien de ce que fait l'école, les organismes sociocommunautaires se tiennent à distance des gens d'affaires, les jeunes et les femmes font l'objet de discours émouvants, mais demeurent à la marge des décisions, les conseils d'administration des organismes régionaux maintiennent leurs élites traditionnelles aux commandes pendant des décennies, il n'y a de contact entre le monde culturel et les décideurs économiques qu'au moment où la culture a besoin d'argent et que le capital réclame de la visibilité.

7. Rares, très rares sont les régions dont le développement peut compter sur le sentiment d'appartenance et de solidarité des gens de la région. Que s'implante un quelconque Wal-Mart et d'innombrables consommateurs deviennent des myopes suicidaires qui croient à d'inexistantes économies et détruisent le chaleureux commerce de proximité. Qu'un type de « dépanneur » connaisse le succès et dix imitateurs viendront parasiter la formule et la stériliser. On multiplie les déplacements en direction des grands centres au lieu d'investir le dollar et le soutien dans ceux qui appartiennent au même tissu social. Complémentarité? Solidarité? Allons donc.

8. Certaines questions, surgies à propos du Tiers monde, devraient trouver leur application dans l'univers des régions. Je songe à Axelle Kabou : « Et si le Tiers Monde refusait le développement? ». Je songe aussi, plus près de nous, à Jacques B. Gélinas : « Et si le Tiers Monde s'autofinançait ». Dans les deux cas, l'appel est le même : ce n'est pas de l'extérieur qu'il faut attendre le salut. Est-ce à dire que les paliers supérieurs de gouvernement n'ont ni rôle à jouer dans le développement des régions ni bon vouloir? Pas tout à fait, mais presque. Cela, cependant, importe peu, car, même dans l'hypothèse où un gouvernement québécois ou central s'enticherait des régions au point de leur consentir autonomie et équité, la sympathie en provenance d'en haut et de l'extérieur ne remplacera jamais la contribution de la région. J'irais plus loin : si la région ne définit pas elle-même ses valeurs, celles que l'on choisira pour elle seront toujours, toutes bienveillantes qu'elles soient, artificielles et vouées à plus ou moins long terme à la stérilité. Attendre son salut, c'est ne jamais être sauvé.

Une anecdote résume le tout. Un ancien premier ministre québécois, à qui de savants planificateurs expliquaient avec suffisance les termes de déconcentration, de décentralisation, de régionalisation, finit par leur répondre : « De ce que vous me dites, je retiens ceci : quand vous parlez de décentralisation, ce que vous voulez en fait, c'est rapprocher les haut-parleurs des gens, pas les micros... » Il avait tout compris. Aux régions d'en faire autant.

RÉFÉRENCES :

Et si l'Afrique refusait le développement? (L'Harmattan, 1991)
Et si le Tiers-Monde s'autofinançait

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