Dixit Laurent Laplante, édition du 8 novembre 2001

Kyoto renaît, la paranoïa menace
par Laurent Laplante

Sans qu'on sache exactement pourquoi ni comment, le protocole de Kyoto, sur lequel on n'aurait plus parié le moindre huard, entame une deuxième vie. Le premier ministre canadien fait partie de ceux qui, de nouveau, en promettent la ratification et qui s'étonnent même qu'on ait pu douter de leur détermination. De quoi autoriser de très prudentes réjouissances. En revanche, le courant paranoïaque qui pousse le gouvernement canadien à accroître les pouvoirs policiers à cause des crimes du 11 septembre sévit avec tant de force que tout démocrate doit se sentir bousculé. Dans l'un et l'autre cas, la vigilance s'impose d'autant plus que le Canada, soumis aux pressions américaines, navigue à vue et se réserve la possibilité d'ajuster son cap selon l'ukase reçu.

Le Japon, qui aimerait bien qu'un protocole ébauché sur son sol se rende à destination, aura quand même surpris beaucoup de monde en se portant au secours de l'entente moribonde. Les motifs de la volte-face, pour sensés qu'ils soient, ne convainquent pas. Le Japon, en effet, se dit conscient d'affaiblir la position concurrentielle des produits nippons en se préoccupant davantage des gaz à effet de serre, mais se déclare capable de compenser ce coût par la création de nouvelles technologies. Le pari est beau et tenable, mais on ne voit pas pourquoi il n'entrait pas dans les calculs nippons dès le départ. Il est plus vraisemblable que le Japon, secoué comme tout le monde par les attentats du 11 septembre, présente comme un choix audacieux et vertueux ce qui sera en fait un nécessaire coup de pouce gouvernemental à une économie hésitante. Le virage est quand même heureux, car le Japon représentait presque la différence entre l'échec redouté et l'aval espéré.

Derrière la décision nippone, on peut soupçonner la pression européenne. Un moment isolée, presque seule à défendre Kyoto contre l'irresponsabilité américaine, l'Union européenne devait à tout prix se trouver des alliés. Le seul espoir d'atteindre le seuil fatidique sans les Américains, c'était de faire basculer le Japon dans le camp de la sagesse environnementale. On se rapprochait ainsi du minimum requis pour que le projet accède au statut de véritable contrainte. Le Canada, craignant de se retrouver presque seul dans le camp américain et de recréer ainsi la situation de Durban, a alors éprouvé le besoin de substituer une attitude équivoque à une autre attitude équivoque. Il avait tout fait pour que sa signature ne lui impose aucun véritable effort; il fait maintenant semblant d'avoir toujours milité dans le camp des défenseurs de la planète. De quoi se réjouir, mais aussi de quoi alimenter une saine méfiance. Tant mieux si le Canada ratifie le protocole de Kyoto, mais rien ne démontre encore qu'il veuille assumer vraiment ses responsabilités. Il suffirait d'ailleurs que Washington exprime un peu lourdement son insatisfaction pour que le Canada s'adonne de nouveau à la valse hésitation. M. Chrétien promet la ratification; il ne sera convaincant qu'après l'avoir donnée.

En ce qui touche au projet de loi par lequel le gouvernement canadien entend accroître les pouvoirs policiers, la vigilance ne suffit pas. Il s'agit, en effet, d'une offensive d'envergure contre un équilibre social qui a fait ses preuves et qui mérite non pas la répudiation, mais le respect. À cette offensive, il faut répondre par une nette dénonciation. Lorsque le Canada, emporté par l'hystérie et la manipulation, a ébranlé son délicat équilibre social en octobre 1970, il l'a fait pour d'aussi mauvaises raisons que celles qu'il invoque aujourd'hui. On peut penser qu'il le regrettera bientôt autant qu'alors. L'expérience n'a pourtant pas convaincu M. Chrétien de se montrer prudent. Il refuse, en tout cas, de se satisfaire d'une mesure temporaire. Il ne veut ni d'une loi tombant en désuétude au bout de trois ou cinq ans, ni même d'un réexamen statutaire de la législation. Autant dire que M. Chrétien entend donner un caractère permanent à l'accroissement des pouvoirs policiers et à l'accréditation d'une présomption de culpabilité. Il s'agit d'une réforme qui n'ose dire son nom, d'une inavouable volonté de répression.

L'affrontement, on l'aura remarqué, est le même dans tous les pays où une partie de l'opinion a déjà pris conscience des risques qui menacent la liberté. En France, par exemple, des groupes voués à la défense des droits fondamentaux prennent le relais des partis politiques qui se défilent les uns après les autres, de peur d'encourir le blâme d'une population prise de panique. De la même manière qu'ici, ces groupes réclament soit le rejet pur et simple du nouveau carcan, soit, au moins, une limite à la durée de la loi. En vain jusqu'à maintenant.

Y a-t-il une part de stratégie dans l'intransigeance de M. Chrétien? Peut-être. Après avoir fait craindre le pire, c'est-à-dire un durcissement définitif de la législation, il pourrait se montrer bon prince en se satisfaisant d'une loi promise à un réexamen périodique ou même à une désuétude garantie. Si tel est le calcul de M. Chrétien, il se trompe en même temps qu'il nous leurre. Agissant sur impulsion de la Maison-Blanche, M. Chrétien n'a certainement pas le loisir de se soustraire par une pirouette aux pressions américaines. Ce qu'il s'est laissé entraîner à promettre, il devra, qu'il ait eu ou non l'intention d'aller jusqu'au bout, le donner. La moindre hésitation lui vaudrait d'être soumis à une multitude de nouveaux ultimatums, à propos du bois d'oeuvre, à propos d'approvisionnements en eau, en pétrole, en gaz... M. Chrétien se trompe s'il pense apaiser l'empereur Bush avec une législation alambiquée.

Ne reste que l'espoir de trouver au coeur de l'opinion canadienne une fermeté comparable à celle des États-Unis, mais orientée en sens contraire. Certes, le pays a déjà maintes fois subi l'assaut du protectionnisme américain, tout comme celui qui consiste à inclure la culture dans les produits marchands. Jusqu'à tout récemment, il a généralement inventé les esquives efficaces et su se trouver des alliés dans la défense des spécificités nationales. Depuis quelque temps, cependant, bien que gouverné par un chef politique qui promettait de briser l'accord de libre-échange, le Canada ne cesse de multiplier les gestes de soumission. À Durban, il s'est honteusement aligné sur l'indéfendable position des pays nantis; aujourd'hui, il importe et impose à sa population une conception punitive et méfiante de la sécurité. Face à cette déroute morale, sachons et disons que nous n'avons nul besoin d'un accroissement des pouvoirs policiers ni d'une brèche dans la présomption d'innocence. Ni pour trois ans, ni pour cinq ans, ni à titre d'expérience.

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20011108.html

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